« j'aurai préféré crever pour de bon... »

tu tiens ton visage dans la paume de tes mains, ton corps assit à la table du salon que tu as déjà dressé, d’une simplicité exaspérante. le temps défile, silencieux ; tu patientes — non, tu penses, et c’est un bordel assourdissant dans ta tête. impossible de faire taire le diable qui murmure ses idées, impossible d’écouter ta démence qui te hurle de tout renverser.

tu voudrais faire de cette rencontre le plus macabre des spectacles, donner raison aux rumeurs, précédé ta réputation fièrement et sans pudeur. tu voudrais être fou (ne plus simplement le jouer, l’air innocent.)

mais tu n’en as pas le droit. tes efforts t’ont mené où tu es — ce n’est pas bien loin mais c’est confortable, bien qu’épuisant. tu repenses à dionne, à la lune que tu aurais été lui décrocher pour qu’elle te félicite bêtement d’être vivant mais à son regard éreinté qui t’implore par pitié alexander pas la lune juste quelques étoiles et encore, une pincée de poussières…

toque à la porte (ici tu as fermé à clé), tu soupires, renifle, tire tes cheveux en arrière avant de te lever et rajeunis ton corps d’homme mûr qui peine sa jeunesse. en ouvrant la porte tu fais disparaître le doute et la tristesse qui s’étaient installés au coin de tes yeux verts, souris par réflexe à madeleine. peut-être avait-elle eu le temps d’observer le désespoir se fondre dans ton regard devenu espiègle.

« ma deuxième sœur préférée ! entre, je t’en prie. quel plaisir de te voir. »

mais sur ces mots tu l’ignores, rejoins la cuisine sans lui proposer le moindre confort. elle trouvera où poser sa veste, que faire de ses chaussures, et où te rejoindre. en y pensant, tu comprends que tu veux bâcler cet évènement.

« j’ai tout préparé. les couteaux sont ici, l’économe là, tu as des saladiers, je te mets le four à préchauffer, et, tiens, poivre sel oignon. » tu te retournes, elle ne t’a pas encore rejoint. toi qui voulais rire à lui faire croire que tu allais la laisser faire seule… tu es trop pressé, alexander. ça commence déjà à t’irriter. « madeleine ! le boeuf bourguignon va pas se faire tout seul ! »

tu la retrouves dans le salon. « en cuisine ma bonne dame. »

tu lui pointes la pièce du doigt, puis tape deux fois dans tes mains, les yeux ronds. tu t’attends à un cri, un râle, une critique qui te ramènerai à ton titre de salopard, pour mieux t’aider à l’incarner. tu as besoin aujourd’hui d’un peu d’aide pour être aussi détestable que l’on te connaît.

le peu que tu as répandu s’accroche déjà au cou de madeleine qui ne perd pas une seconde pour pester de sa voix cristalline à quel point tu es misérable dans tes mots ; tu en souris.

les bras croisés, tu t’adosses à l’encadrement de la porte pour observer ta soeur se hâter dans chacun de ses mouvements — elle veut contenter tout le monde pour ce repas de famille, pas simplement t’obéir. tu aimerais applaudir sa vivacité d’esprit, mais t’interdis (pour le moment?) le moindre effort qui pourrait te rendre sympathique.

« si tu allais mal tu me l’aurais dit sans que je ne te le demande… »

tu roules des yeux mais tes lèvres ne font que sourire. tu la rejoins à la tâche, ne crains pas la menace du couteau.

« tu ne ferais pas de mal à ton grand-frère ! mais je peux t’apprendre à l’utiliser si tu veux… »

léger coup d’épaule contre elle, tu ne la regardes pas vraiment manier l’objet : tu sais qu’elle ne le prend que comme un vulgaire ustensile de cuisine, bon à trancher du jambon et à couper des patates — quand toi tu connais la sensation de l’avoir entre les mains en découpant le corps d’un homme sans vie. pour t’éviter le moindre débordement tu te contentes d’empoigner l’économe de d’éplucher les carottes.

« tu es pleine d’énergie dis moi. quelque chose te met en joie ? je pensais que comme abel tu viendrais à reculons, le visage sombre et crispé. mais ma soeur tu es si jolie ; en toutes circonstances. ça cache quelque chose. et si ce n’est pas pour nous… c’est pour quelqu’un… ou pour toi. tu veux en parler à ton grand-frère adoré ? » le son de ta voix mue vers plus grave et secret. « tu sais, avec un éplucheur, je peux te faire aussi mal qu’avec un couteau. ne nous menaçons pas veux-tu ! dionne en serait triste. »

ta tâche effectuée avec rapidité, tu saisis un autre couteau derrière vous pour entamer la coupe des légumes.

« et puis j’ai juré que je ne vous ferai jamais de mal. je ne suis pas si terrible. n’est-ce pas ? »

tu empruntes aux enfants complimentés leur sourire juvénile et nonchalant, quand madeleine avoue tes talents d’analyste. un rien qui savaient réchauffer ton cœur nécrosé — une affirmation positive qui n’existait qu’une fois dans une vie. voilà comment tu vivais l’instant.

puis une voix s’érige, et tu tournes la tête vers elle, le visage soudainement grave. l’idée que l’on pénètre chez toi comme à ton bureau d’hôpital suscitait en toi une rage démesurée, que tu devais toutefois étouffer dans l'œuf. rien ce soir ne devait donner raison à la méprise constante qui règne sur ton nom. tu inspires, déposes le couteau que tu tenais trop fermement dans ta main. maddy affirme une seconde fois comme tu es sage et il n’y a que ces brides d’amour pour apaiser ton irritabilité.

« je n’ai aucun secret pour mon ambassadeur, tu le sais bien. » tu mesures tes mots, ton frère n’a pas la même patience que madeleine. ni même un quart de sa candeur. tu vois dans ses yeux la sincérité de son mépris à ton égard, ce que votre sœur parvenaient aisément à dissimuler avec poudre et mascara. sans le souligner tu constates toutefois l’absence de contact qui vous tient si éloignés les uns des autres. drôle de famille ; tu esquisses un fin sourire, amusé de voir trois inconnus faire semblant d’être unis.

tu donnes le couteau que tu tenais à abel, lui qui semblait prêt à faire sa guerre. c’était divertissant ; son air un peu perdu. « tiens, je t’en prie. j’ai fait le plus gros. » tu voudrais abuser et étendre ta parole, te présenter en héros mais tu es persuadé qu’en te limitant à ton plan tu aurais les mêmes résultats qu’en étant insolent.

« tu as rencontré quelqu’un ? de qui s’agit-il ? » tu laisses tes cadets finir de cuisiner, servant devant eux quatre verres de vin apportés par maddy. tu ne trouvais pas pertinent d’expliquer pourquoi tu servais (toujours) une coupe de trop. peut-être le savaient-ils ; sinon s’en fichaient-ils. peut-être demanderaient-ils aussi, tout bêtement.

« et ta journée, abel ? »

tu apprécies le silence qui meuble entre vos conversations, te demandant si, et quand quelqu’un viendra à faire allusion à ton comportement étonnement stable. ou bien, plus pervers encore, tu bouillonnes d’impatience de les entendre critiquer ton existence alors que tu demeures silencieux.

« j’ai accordé à maddy de finir le travail plus tôt aujourd’hui. ravi d’apprendre qu’elle a pu en profiter pour se pouponner. »