Accoudé au comptoir, il observe cette salope défaite passer plus loin ; il attribue "salope" comme il attribue "brune", comme il attribue "blonde" - il attribue "salope" à cette femme car c'est ce qu'on lui a appris. Il ne conscientise ni la teneur ni la haine, ne pas dire, c'est user de subterfuges inutiles, s'approprier le droit à l'effacement. Cette femme est une salope, selon Zoram, c'est une salope à la jupe courte, maquillée - elle a même des bijoux qui donnent l'impression de clignoter tant ils brillent à la lumière, sous certains angles. C'est une salope comme il y a des chiennes, et aussi des connards, puis des chiens, évidemment, pour aller avec les chiennes. Zoram n'interroge pas le langage - c'est une faille ; il ne se questionne pas à la manière dont il a le plaisir de l'ignorance, il goûte à cette possibilité violente de ne rien voir autour de lui mis à part une gloire rêvée. Zoram se sent libre : dans la routine sans frisson, il trouve le bonheur dans un espoir risible et une ferveur déplacée - il attend sans questionner parce que les horizons n'existent pas. Il n'y a que le champ réduit de son futur, tracé délicatement par ses songes, défendu par ses poings et sa hargne ; à trop lui dire qu'il n'a pas sa place au coeur du monde, il a peur d'être délogé pour de vrai. Cette merde immorale qu'il dévore volontiers jusqu'à s'en servir lui-même, sans excès, évidemment, parce qu'on lui fait toujours croire qu'elle est précieuse pour lui créer les illusions de la chance.
Zoram défend la pauvreté de sa vie avec la certitude violente de protéger quelque chose de grand, parce que personne ne lui a volé les mots, jamais - ce sont les pensées qui lui manquent. Alors Zoram nomme mal, voit mal, chante mal la vie pour les illuminés - il a la naïveté méchante des idiots.