bientôt, il aura sur midas retrouvé son emprise.
cette pensée seule devient son unique point de repère, et c'est aux profondeurs des enfers qu'il relègue la haine qui lui tord les entrailles. de l'ordre de l'évidence, la balance de la justice penchera toujours de son côté - il s'en persuade, fantasme déjà sa revanche de l'offense subie. avoir égaré son bras-droit aux mains d'un autre est une défaite ; le récupérer dans les rues de l'atè, une humiliation.
c'est une femme qui l'y guide : une étrangère dont il n'a jamais vu le visage. ou peut-être l'a-t-il déjà aperçue, sans le savoir, sans s'en souvenir. dur à dire, car il lui semble à présent qu'elle est de ces créatures qui ne s'oublient pas. la mort au fond de l'oeil, il est monté dans la voiture sans un mot, et le sang s'était glacé, agacé par la sensation d'une dangereuse urgence.

la politesse dont elle fait preuve sonne faux. l'esprit échauffé par son entrevue avec emon, encore fumant d'une honte injustifiée, il y perçoit un péril insupportable. de toute évidence, elle ne le connaît pas : elle saurait qu'il n'a jamais l'air heureux. pourtant cette fois, sous l'air morne se dissimule la défiance, éveillée par sa voix légère et ses gestes gracieux.
je t'en pose des questions ? il la prive bien entendu du vous, qui relève pour lui d'une faiblesse à laquelle il ne s'identifie pas. qu'elle lui accorde donc ce respect, il le reçoit sans satisfaction, simplement comme une évidence. il n'est pas d'humeur à jouer la courtoisie et l'hypocrisie lui est un supplice. il se dit que de son côté, elle lui accorde ces paroles conciliantes par plaisir de la torture. dans ses expressions sibyllines, il aimerait ne voir qu'une incommodité futile.
mais la méfiance est de mise.
je n'ai aucune raison d'avoir peur. il pourrait dire, je n'ai aucune raison d'avoir peur de toi, tant son sourire lui inspire la menace. (sourire qu'il ne lui rend pas.)

elle coupe le moteur et il ne l'a pas quittée des yeux, pas une demi-seconde. le silence est long, plus long que le temps lui-même, et enfin, il ouvre la portière, s'extirpe du véhicule sans conviction aucune. à la vue de la façade de l'immeuble au fond duquel pourrit midas, il est déjà écoeuré. dis-moi comment tu l'as trouvé. l'ordre est monotone, détaché, trahit une absence totale de confiance. il pourrait exiger, également, qu'elle lui rende compte de son état, mais ce serait témoigner d'un intérêt trop personnel. alors il se contente de la mise en garde : si tu me mens, je finirai par le savoir.
il s'agit en réalité d'un présage. de leur alliance, il ne sortira rien de bon.

comme pour lui renvoyer ses failles, elle lui expose un amusement aux antipodes de sa colère. sans le savoir (ou le sait-elle ?) elle jette de l'huile sur un brasier déjà fumant.
un instant, seraph pense à l'odikinésie comme recours. il le justifierait par la curiosité et non par l'orgueil : il s'agit d'évaluer à quel point il lui serait aisé de briser ce sourire torve, sous lequel il aperçoit une menace qui ne dit pas son nom. peut-être même parviendrait-il même à allumer, sous ces paupières diaphanes, une étincelle aux nuances du courroux. ainsi, soumis à la même ardeur, ils communiqueraient enfin à armes égales. mais ce n'est pas le moment, ni l'endroit ; au fond de lui, la certitude d'une entité dormante qu'il ne devrait pas réveiller.
simca, c'est ça ? il préférerait ne pas savoir, de sorte à ce que leur relation demeure impersonnelle. mais cette fois, ce n'est pas à lui que revient le luxe du choix. tristement faible en l'absence de son fidèle bras-droit. ton frère, mh.... il se passera ici de commentaires : la morosité du regard est d'une éloquence suffisante. déjà, l'idée d'un futur portrait de famille réussirait presque à lui envoyer un frisson le long de la colonne ; peu sensible à l'instinct de préservation, il reconnait néanmoins ce que ce tableau lui peint de redoutable.

c'est qu'elle insiste, pourtant, à vouloir susciter chez lui la peur. le regard lourd et impatient, il se tient devant elle prodigieusement immobile, et c'est une distance respectable qui s'instaure entre leurs silhouettes dans ce couloir glacé. ce bâtiment vétuste, il veut déjà l'oublier. tout entier occupé à ne pas laisser simca entrevoir le frémissement de son épiderme, il articule, péniblement. tu es insultante. tes histoires ne m'atteignent pas. c'est qu'il n'est pas des morts, mais bien des vivants : les fantômes, intangibles, étrangers à son monde, ne lui inspirent pas la crainte - elle, en revanche ? il peut la voir, la sentir, la toucher. pousse-toi.

la pièce est vide. au centre, une image, qui lui déplait tant qu'elle en est provocante, obscène. midas, souillé à n'être plus qu'un animal. et surtout, il n'est pas là ! seraph gronde. où est-il ? cette fois, c'est d'un pas fervent qu'il rompt la distance. simca tient toute entière dans son ombre - il fantasme de l'y avaler sans autre forme de procès. ça ne me fait pas rire. où est-il ? rends-le moi. le spectacle projeté sur l'écran lui est insupportable, mais cette désinvolture l'est encore davantage : c'est une offense, une moquerie face à la honte qui lui retourne les tripes. sur ce corps gracile et minuscule, il déploie sa présence, lui insuffle le poids de sa colère. qu'elle ploie, de cette simple proximité ; qu'elle étouffe, même, si possible !  

entre les cils de simca, une lueur que seraph reconnaît sans plaisir. est-ce vraiment la peur qu'il provoque en elle ? à la vue du feu allumé au fond de ses prunelles, ce même feu qui repeint les joues diaphanes, il comprend qu'elle lui ressemble peut-être un peu. d'aussi près, il voit clairement cette affectation morbide si familière, celle qui inhibe l'instinct de préservation et échauffe les sens.
ressaisis-toi. l'ordre est ainsi soufflé à son adresse seule, impitoyable autant qu'intime. il décèle, sans besoin d'invoquer ses pouvoirs, le tremblement de son souffle, l'exaltation toute particulière aux proies coincées par les prédateurs, trouvant une certaine jubilation dans l'imminence de leur mort.
comme guidé par l'instinct primal relégué en permanence au fond des tripes, il n'en est qu'irrité davantage, se découvre violent à la vue de cette vulnérabilité apparente - il se doute qu'elle n'a pourtant rien d'inoffensif, tout de redoutable, mais c'est qu'il pourrait presque la démembrer à mains nues.

alors, rattrapé par son impulsion, il l'écoute à peine - dès lors qu'elle lui a donné les indications dont il avait besoin, c'est d'un coup de pied maîtrisé qu'il fait sauter la serrure de la porte d'un bruit sourd. il lui semble que sa patience s'érode de seconde en seconde, pour n'être réduite plus qu'à un fil endommagé. et sur ce fil, la voix de simca court, danse, virevolte sans considération. épargne-moi tes états d'âme. bien sûr que non, il ne sait pas ce qu'elle lui raconte, et puis il s'en moque éperdument. il ne se soucie que de ce qu'il peut toucher, sentir, imaginer. (midas, dans cette cave au fond du couloir.)

la clé tourne péniblement dans la serrure rongée par la rouille. brutalement, dans une plainte terrible qui a tout du mauvais présage, la porte de la cave s'ouvre enfin.
tout de suite, l'odeur. indescriptible, elle occupe les sens, et c'est d'un grincement de dents que seraph réprime un haut-le-coeur. l'escalier qui s'enfonce dans les tenèbres de cette pièce vétuste accompagne chacun de ses pas d'un chuintement qui agace ses tympans.
il en voudrait presque à midas : c'est par sa faute s'il doit s'incarner dans un tel décor !
et le voilà, ce malheureux bras-droit. au centre de la pièce, sa silhouette décharnée se découpe avec incertitude. si misérable que le soulagement n'est pas de mise. seraph fulmine.
midas. il ne dit pas mon frère, à vrai dire il lui arrache ce titre : le temps des retrouvailles, il n'est plus réduit qu'à son prénom, lui-même dénaturé par cette faiblesse si offensante qu'elle en est blasphématoire. parle. sans appel. dis-moi ce qu'il s'est passé, ou plutôt dis-moi ce dont tu te souviens, et cela, il lui ordonne sans un geste esquissé dans sa direction, la voix acérée, aiguisée par le dédain.
dans son dos, la présence de simca l'encourage à se montrer cruel.

midas a l'air de souffrir. mais ce n'est pas de la compassion qui anime seraph, non, rien que de la pitié déclinée sous toutes ses nuances, dont certaines dangereusement proches d'une colère irascible. qu'il souffre ! le chef sparte est convaincu qu'à sa place, il ne se serait jamais trouvé enchaîné dans ce sous-sol vétuste. il écoute ses explications avec l'exigence de celui qui est déjà déçu.
cecil... il expulse ce nom de son système comme il cracherait par terre, avec dédain. on reconnait effectivement, dans ces stratagèmes, la lâcheté propre à l'ambassadeur. mais encore une fois, le doute, insidieux, prend à l'estomac - l'impression d'une pièce manquante pour compléter ce pathétique tableau.
midas grogne, faiblement, fébrilement, à l'image d'un petit animal blessé usant de ses derniers recours. seraph déteste le voir ainsi, fulmine de l'entendre. je te regarde comme je veux. ferme-la et estime toi heureux que je soies venu te chercher. la prochaine fois, je te laisserai pourrir. chaque mot est articulé consciencieusement, et l'on pourrait penser qu'il s'adresse alors à un enfant capricieux, turbulent, tant il le prend de haut. il préférerait l'intimité de leur domaine, mais simca se tient dans l'ombre, alors c'est avec un formidable détachement qu'il délivre son sermon.

elle parle, aussi, et la simple mention de ce frère qu'elle invoque d'un air soucieux suffit à lui contracter la machoire. c'est d'un geste de la main vaguement agacé qu'il ponctue ses paroles. ezra, oui. ils se connaissent déjà, bien entendu. dans un coin de sa tête, seraph se voit attraper midas par le col et lui hurler sa frustration dans les tympans. à la place, il n'affiche qu'un sempiternel air maussade. si tu avais jugé bon de m'informer de son existence, on n'en serait pas là. je me demande à quoi tu pensais en te tapant un égaré, puis je te vois comme ça et je me souviens que tu ne penses pas, tout simplement. le plus cruel, c'est qu'il donne l'impression de penser à voix haute, le visage formidablement fermé, le regard terriblement dur. il ne le quitte pas des yeux, d'ailleurs, et c'est d'un simple geste de la main qu'il intime simca à le rejoindre. a-t-elle été informée de la décision d'emon ?
nous avons passé un accord. il ne dit pas pour te récupérer, mais il veut  que midas s'en sente responsable. tu leur dois la vie, alors c'est la moindre des choses, tu ne penses pas ? toi qui ne jure que par les vieilles traditions, tu seras donc ravi d'apprendre qu'on organise un mariage. cet ezra, j'espère qu'il en vaut la peine.
un temps. cette fois, il s'accroupit, juste en face de lui : lui donne à voir l'ombre grandissante sous ses paupières. ces mots là, il ne les accorde qu'à lui : tu n'as pas le choix, de toute façon.

serait-ce déjà la guerre entre les spartes et les égarés ? non, seraph le refuse. ce n'est qu'une épreuve de plus, une occasion de se mettre en spectacle devant un public qui le verrait écraser midas sous sa semelle. des deux côtés, ça tangue, ça gronde, et il reste immobile, luttant contre chaque terminaison nerveuse pour ne pas céder lui-même à la fureur. il demeure accroupi, tout près de midas, ses yeux noirs ouverts comme deux portes menant tout droit au tartare.
OH SI, JE PEUX LE FAIRE, LA PREUVE. ce grondement sonore, il le puise directement de sa cage thoracique, alors il donne l'impression de ne pas vraiment crier : c'est qu'il tire sa voix des tréfonds des enfers.
je crois que t'as mal compris. je t'ai dit de la fermer, pas de me raconter ta vie. t'avais même pas dix ans que j'utilisais déjà ma bite alors tes histoires, je m'en contrefous. la vulgarité comme seul moyen de communication, c'est à ça qu'ils en sont réduits. à son sens, elle n'est qu'un outil de plus, une figure stylistique à employer pour raccourcir sa laisse, resserrer le collier de dressage. c'est tout proche de son visage qu'il lui assène dans un murmure qui n'a rien de nécessaire, tout de gratuit et d'impitoyable : s'il faut, ton ezra, je l'enculais avant que tu ne viennes au monde. il y a, dans la présence de simca, une menace indescriptible, alors cette injure, il la réserve à lui seul, dans un chuchotement doucereux.

réfléchis, pour une fois dans ta vie. je te conseille vivement de ne pas faire le malin. je te ramène au domaine. tu baisseras la tête et tu la fermeras. un sourire sans joie étire ses lèvres. le reste de son visage demeure gravé dans le marbre, figé à en faire peur, tant l'expression qu'il y a peinte semble fausse. oh, je sais que c'est dur pour toi, mais je crois en toi, midas, tu sauras te tenir, pas vrai ? à moins que tu ne préfères t'humilier davantage.

enfin, il se redresse, fait quelques pas en arrière. contemple une dernière fois le spectacle du cadet warren les genoux au sol, prosterné malgré lui à ses pieds. il sait que lui aussi, il a senti la température chuter ; lui aussi, il a relevé les caresses glaciales qui lui effleurent la nuque. s'il le détache maintenant, saura-t-il comprendre que ce n'est ni le lieu, ni le moment de se livrer au courroux sparte ? dans le rire incrédule de simca, un péril vrombissant qu'il ne faut pas provoquer davantage. seraph se tourne vers elle, comme un automate. si sa politesse est manufacturée, sa honte, elle, est bien sincère : sache que ça ne m'amuse pas non plus. je lui ordonnerais bien de te présenter des excuses, simca, mais vois-tu, même ça, il n'en est pas capable. un soupir retenu, un mouvement de tête traduit son abattement. on l'assimilerait presque à une courbette pudique. tant pis pour les injures à son clan, tant pis pour la haine de cette quasi-étrangère qui lui sera bientôt trop familière - il doit rester digne.

d'un geste brutal, il défait les attaches qui retiennent les chaînes aux murs. tu as entendu, midas. on s'en va. et il n'aura qu'à porter le poids de ces fers aux poignets sur le chemin du retour.