la lumière jaunâtre des lampadaires retombe, lasse d’avoir brillé si longtemps, sur les visages des damnés des nuits trop folles. la nuit est bien avancée déjà, certains n’ont pas tenu jusque là, mais force est d’admettre que dans l’agôn, l’heure ne se tient pas limite des cœurs déchaînés. álvaro fait partie de cette foule insaisissable - on a bien essayé de l'assagir, mais on vient bien vite à l’évidence : les pulsions animales sont trop pures pour être arrachées à l'homme. dans la rue adjacente à un bar qu'il connaît bien, presque vide à cette heure-ci, il prend un temps de répit, avant de retourner aux fêtes. adossé à un mur, les jambes croisées comme un danseur, un verre dans la main droite, son téléphone dans l'autre, il passe un appel, puis un autre - sous les allures du repos, álvaro ne s'arrête jamais vraiment, et, éclairé faiblement par les halos du soir, ne tarit pas ses propres lueurs.

il y a, dans la nuit, plusieurs corps qui passent devant lui. il les observe, sirote calmement la boisson qu'on lui a gracieusement offerte - puisqu'il gagne si facilement les faveurs, en profite tout autant. dans les enchaînements sociaux, rien ne marque son esprit autant que la figure qu'il voit s'avancer vers lui, avec intention. dans ses grandeurs, le gladiateur naturel reconnaît les siens - quelques semaines déjà qu'il n'en est plus, mais en garde toujours les contours. swan est de ceux-là ! côte à côte, on les oppose si facilement - difficile presque de les imaginer se tenir ensemble, bien simple pourtant d'apprécier les confrontations tant elles ont pu prendre les couleurs adverses.

et puisqu'il reconnaît là quelqu'un, et qu'il sait, comprend trop facilement quand les regards se croisent, álvaro lui adresse un signe, de la main qui tient encore le verre.

"eh, siegfried, salut !" il ne lae connaît que du nom dont iel se présente officieusement - leurs honnêtetés ne sont passées que par le corps, rendant toute appellation plus profonde superflue. à vrai dire, il n'y a pas plus dans la manière dont il l'aborde, dans le sourire qu'il lui lance. leurs conversations n'ont jamais été très pleines, mais elles avaient au moins le mérite d'avoir argumenté les combats.

"tu vas bien ? ça fait un moment."

question de politesse : pour être tout à fait honnête, álvaro ne sait pas ce qu'iel vient faire là - son regard est intrigué, lance sur swan les curiosités qu'on réserve aux publics des assauts. après tout, lui n'est plus de ce monde là - garde cependant les ferveurs des artistes, du sang. ce sang, le plus écarlate même, semble toujours étrangement recouvrir le corps de ceux qu'il observe ainsi. swan, ce soir-là, n'en fera pas exception.

on place les face-à-face, et l’air est au déjà vu. accolé au mur, álvaro se sait adverse aux enfermements, ne voit pourtant aucune menace dans le geste - puisqu’il se sait capable de s’échapper, puisque son regard est plus haut, survole swan d’un air de supériorité affligeant, pourtant indistinct dans ses intentions. c’est ainsi : álvaro a toujours eu le don pour observer de haut, même ce qui est bien plus grand que lui. ce n’était pas par jugement, ce n’était pas par hostilité, par mépris, bien au contraire - il se voyait toujours, simplement, honnêtement relevé, se portait toujours plus altier.

à son tour, comme pour contourner le silence, il prend une gorgée dans le liquide à vrai dire non-identifié qu’il tient à sa main. c’est écarlate - ça a un goût de fruits, rouges, sans doute, mais il se sait incapable de porter un mot à la contenance, savoure simplement sans poser de question. la lumière des luminaires abîmés se reflète avec ironie à la surface carminée  - ça lui donne des reflets dorés, presque indécents dans la couleur qui prend les airs du sang des dieux. c’est ainsi, c’est l’agôn, on vous dira.

d’un geste net, álvaro passe dans sa poche le téléphone qu’il tenait jusque-là, se fait garant de la toute attention qu’on porte aux interlocuteurs ; puis c’est un rire, simple, qui s’éclate au-delà, sur les murs alentour. on plaisante, après tout. même s’il n’y a rien de bien heureux, álvaro a cette tendance presque maladive à mettre du beau, du joyeux, là où il n’y en a pas, de remplir les espaces sans prendre en compte ce qu’on ne lui laisse pas. ”qu’est ce que tu racontes ? j’habite ici, t’sais. c’est très bien pour moi.” le sourire est en biais, dévoile les canines. ”j’suis bien fait pour ici, en tout cas.” l’espace a sur sa langue le goût des acquis : de ses dents, il passe sa place en vue, la dévore impunément.

et le sourire ne le quitte pas ! se calme, certes, quand il parle, quand il explique :

”c’est sympa ouais. j’sais pas si ça me plaît mieux, c’est juste… pas pareil. mais j’crois que je peux faire quelque chose de bien, là-bas.” c’est ce qu’on lui a dit, et quand les regards sont valeureux, il les écoute - ça lui prendra du temps, certes, mais il a bon vouloir. ”c’est la cheffe qui est venue me chercher. alors je la crois.”

puis il reprend ses formes carnassières, toujours sous les guises des joies cordiales pourtant - les moqueries enfantines sont toujours retournées.

”pourquoi ça t’intéresse ? j’te manque ?”

ça pique, mais ça ne se veut pas brutal, au contraire - il ne fait que s’amuser. sa violence, à lui, est bien plus directe. autorisons le, au moins, à se repaître dans les rivières des attentions, dans les mares de sang ! il fixe swan avec les yeux brillants, trempe ses lèvres, toujours bien amusées, au bord de son verre - qu’il s’abreuve ! oh, comme il se nourrit des sourires, même les plus malins.