/!\ TW MALTRAITANCE PSYCHOLOGIQUE, PHYSIQUE

Naissance Avant d’être son — leur — père, c’était un homme insignifiant, et donc un fléau, que la chute du bloc soviétique venait de cracher au monde. Dans un monde que l’argent régit et soumet Dainis, en financier qualifié, faisait fructifier la fracture que le bloc de l’Est tentait de colmater à grands titres de marché et ne pouvait donc pas se refuser un titre de roi. C’est sans doute sa qualité d’aspirant dieu vivant qui a séduit Némésis, si c’est bien une forme d’affection que le mépris qu’elle porte à une arrogance stérile et fragile. Leur histoire commune est insipide et vaguement glauque, comme le sont toutes les histoires d’homme et femme qui couchent ensemble pour jouir de soumettre l’autre. Avant de se séparer de lui, elle lui a prédit des enfants divins avant même de les lui donner : elle lui a jeté des jumeaux comme une malédiction parricide.

6 ans Avant même de comprendre les mots, leur père leur a fait comprendre qu’il ne pouvait y avoir, entre deux personnes, qu’un vainqueur et un vaincu. L’un·e comme l’autre n’avaient jamais eu qu’un nom — un Siegfried germanisé, d’une légende creusée dans la nuit que, d’ailleurs, Dainis ne s’est jamais donné la peine de leur raconter —, et leur père les coiffait pareil, leur faisait partager les vêtements, les élevait jusqu’à ce que l’un·e vainque l’autre. D’aussi loin qu’iel se souvienne, Swan a toujours été des deux peut-être le moins peureux, en tous les cas celui qui n’a jamais eu peur de prendre quoique ce soit. Owl est moins saon rival·e que sa protégée, son double, miroir et exutoire. Iels chassent seul·es, survivent sans éducation dans la campagne retirée de Lettonie. Owl et Swan se nomment mutuellement. Swan ne dort pas seul, frappe, pleure, réclame, chérit, règne, comme le font les dieux. Iel lit et écrit avec grande difficulté, et s’écarte spontanément de ces compétences qui ne doivent pas assurer sa survie.

7 ans Le soleil d’été révèle chez Owl des taches de rousseur que Swan, qui en est privé, tente de lui ôter au papier de verre. Lorsqu’iel ferme les yeux, iel est tiraillé par les ondulations imperceptibles du jugement, depuis la lande lointaine, des prédateurs qui mangent les animaux de pâturage et des hommes qui frappent les femmes — iel ne dort plus seul·e.

8 ans La nature semi-divine d’Owl et Swan s’est éveillée dans l’année et précarise leur situation ; Dainis déménage à New York et les jette soudain dans la civilisation. Il dépose les jumeaux à l’entrée de l’isthme sans un au revoir, ou plutôt un “ils s’appellent Reviens”, puisqu’il ne confie sa progéniture à Nausikaa moins pour les protéger que par intérêt personnel.

Adolescence A un âge incertain, Swan découvre qu’il existe des autres au-delà de lui, de l’unité nucléaire qu’iel compose. Et ces autres, des souris et des dieux, sont des mirages qu’il méconnaît et adore, dont iel convoite avidement les attentions. Swan croit avoir trouvé une raison d’être dans les garçons qu’iel fait espérer sans leur dire qu’iel les aime. C’est un âge aussi où le corps est une prison, et où Owl lui échappe ; c’est donc un âge où Swan donne au monde une nouvelle définition : le monde est vaste et restreint, fait de sels et de nerfs, d’insectes qu’il ramasse, et de divins dictent la valeur de toutes les choses. Swan découvre l’indolence. Swan découvre le silence. Swan découvre que la souffrance est savoureuse et inévitable, et cela lui fait peur.

21 ans C’est acté depuis longtemps que la vie est un combat ; et que le combat est une comédie, que Swan est un chien dans l’arène et qu’iel adore le sport des intérêts pour lui. Iel angoisse beaucoup avant sa cérémonie de sortie — bien entendu, iel ne s’avoue jamais la peur de l’échec, car aucun de ces mots ne fait partie de son vocabulaire — et redoute peut-être plus encore le monde d’après, car il faudra lui trouver de nouveaux mots, à celui-là aussi. Iel réussit à sortir du club des enfants, mais échoue à rejoindre celui des Spartes ; son manque d’esprit trahit trop fort qu’iel manque d’ambition. Iel se réfugie dans la violence évidente de l'arène ; iel rumine et régurgite cet échec sans le comprendre. Ses relations amoureuses sont multiples, courtes et désastreuses. Iel poursuit, pourchasse, veille sur Owl comme son ombre, si ce n'est l’inverse.

22 ans En fait, Swan n’aura jamais appris à dompter l’extérieur autrement que comme un cheval sauvage ; iel y va pour jouer à se faire peur, ou avoir peur vraiment face à son père. Iel n’aura jamais appris vraiment non plus ce que vaut le monde, et Nausikaa spécifiquement, au-delà de la frontière de l’immédiat. Iel voudra demeurer idiot à la clameur de la foule, à créer des mythes et rejouer des exécutions dans l’arène au prétexte qu’il n’y a que les spectacles qui soient encore vivants.
Car iel n’est nulle part, ou à la croisée de Nausikaa et du reste sans faire preuve de justice, ou pire, avec une justice animale et systématique, le fantôme délité d’une nymphe s’attache à lui comme à des fers un soir où iel dérange la forêt (au cours d'une quête, ou simplement d'un accès sauvage). Elle lui dit que des hommes de l’extérieur l’ont trop violentée et que les hommes de Nausikaa n’ont pas su la protéger — le jour elle lui réclame un équilibre final, providentiel, impossible pour asseoir enfin l’implacabilité du destin sur les hommes et la supériorité de Nausikaa ; la nuit, surtout, elle se lamente et invoque ses soeurs. Swan, qui n’a jamais appris à comprendre ni consoler personne, en est terrifié. Le temps s’écoule, partout beaucoup de gens meurent dans l’indifférence, Swan n'y pense que comme à des pièces au fond de ses poches.