défaite. défaite, défaite, défaite ! Il a couru le chien, mouvant son corps empaté jusqu’à la mer, là où le renard ne s’y plonge pas ! Il a fuit dans le soleil, quand le renard perçoit mieux dans les ténèbres ! Il a prit tous les chemins qui le font chien solitaire, et le renard s’il était bête s’épuiserait à courir dans tous les champs, à gravir toutes les montagnes et à explorer toutes les grottes mais il sait. il sait. il a appris.

que rien ne sert de courir, tant qu’il part à point.

enfermée dans sa cage de logement, antigone rumine. aujourd’hui elle se déteste car antigone ce n’est pas elle, car le renard elle ne l’honore pas. aujourd’hui elle se sent, ismène. frêle et piteuse, dans un rôle secondaire.

et quand lucius arrive pour la rejoindre dans sa colère, elle se relève, se saisit d’un cadre où trône fière la renarde photographiée quand le bonheur habillait ses joues — puis elle le fracasse au sol. toute joie est éphémère.

CE CHIEN !

le verre en éclat tapisse le sol, et elle ne bouge plus, une seconde. courte seconde, avant que la plante de ses pieds nus ne s’excite pour danser sur les morceaux de ces petites armes coupantes.

C’est de ta faute aussi, Lucius. C’est de TA FAUTE AUSSI ! Tu batifoles, tu tergiverses ET TU NE M’AIDES PAS ! Mauvais ! T’es mauvais ! T’es MAUVAIS !

de son sang elle peint le parquet, ses yeux observant le dessin de ses maux. sa fougue se stop, son corps devient pierre. le renard saigne. elle grimace. dégoût, colère,
haine de soi
déshonneur,
même quand elle clame que la faute n’est pas la sienne.

J’suis désolée…

faible murmure, noyé dans un sanglot qui veut se faire discret. mais son visage s'affaisse, ses genoux ploient sous la pression du monde.

la rage est un feu qui s’éteint face aux torrents de la peine.

Lucius !

implore-t-elle.

sous son emprise, éprise, méprise, fleur épanouis laisse ses pétales s’envoler au vent pour que de la tige il ne reste plus que son bourgeon, à nu, comme l’éclat de ses sentiments. elle a devant elle la force barbare du cerbère et quand il serre ses doigts empli de colère contre sa gorge frêle, antigone tend les bras, brasse le vide pour espérer, comme une gamine, qu’on la prenne dans les bras. mais lucius lâche.

il peste désormais contre autrui, laisse derrière lui la renarde comme on laisse trainer un cadavre. mais elle renifle, tente avec peine de ranger le trop plein d'émotions dans une boîte, qu’elle laisserait volontiers pourrir au fond de ses entrailles. elle est vivante même dans son propre cimetière ; car rien ne crève, dans ce corps de chimère… tout gangrène, et même les mauvaises herbes trouvent le moyen de faire fleurir de grands jardins.

c’est qui tu veux. c’est qui tu veux tant que ce n’est pas nous.

que cela puisse être les plus ignares ou les plus innocents, la chose est sûre : ce n’est pas eux. voilà comment se convaincre de sa justice, et elle se traîne, mollassonne, agrippe ses griffes à la cheville de son sauveur, de son bourreau. son front rejoint le mollet du garçon, quand elle râle en se redressant, épuisée d’être, enroulant ses bras minces contre la jambe de cerbère. mais sa poigne n’est pas tendre, non. antigone ne connaît pas le miel. elle se fait serpent, pour étouffer le bout de viande.

on a fait tout ce qu’on avait à faire, tout ce qu’on a pu. on est ce qu’on est, lucius, hein ? de sales canidés. j’irai me faire taper sur les doigts si ça peut exciter quelqu’un, j’m’en fou, j’m’en fou vraiment tant que j’peux rentrer ici, tant que j’peux être là, tant qu’on existe pour nous, sous ce petit toit. ah, lucius. j’ai tellement faim.

d’une peu de sommeil, d’un peu d’indulgence, d’un peu de mourir, d’un peu de renaître. mais surtout d’un plat qui lui confirmera, qu’ici ils sont ce qu’ils ne pourront jamais devenir. deux âmes qui n’ont pas à dormir en serrant contre le cœur effrayé, les armes de leur survie.

qu’est ce qu’on mange…

puis elle lâche, antigonne. s’écroule, le dos contre le sol. ça y est, elle est enfin cadavre sur ses terres.

lucius n’est pas docile ; il est aussi éclatant qu’elle. pas une caresse, pas la moindre tendresse. elle l’entend grogner, elle s’en mord la lèvre. sale cabot, il n’est vraiment qu’un sale cabot même s’il dément.

traînée malgré elle, fardeau qu’il détient, elle se tait, admire le monde par dessus son épaule. elle hésite à machouiller son corps, se contente simplement d’y planter ses ongles parce qu’il lui appartient, pas vrai ? pas vrai.

alors pourquoi est-ce qu’il la jette, avec toute sa nonchalance, telle une dépravée ? elle a le regard qui tue portée sur sa proie, mécontente d’être malmenée. sur son corps habillée ruisselle l’eau, et c’est glacé mais ça calme (sauf son regard).

parle mieux, lucius.

se dévêtit le renard, laissant son corps frêle embrasser la lumière tamisée de la salle de bain. elle tire ses cheveux en arrière puis frotte l’eau contre sa peau marquée. rapide fut la douche, et elle se relève, sans pudeur, frotte une serviette sur sa tête puis elle frappe au ventre du cerbère avec cet espèce de torchon trempé.

de toute la clique c’est toi qui te comporte le moins bien. on dit bonjour antigone, ça va antigone ? allons chasser antigone. hein ? antigone. dis le lucius. dis mon putain de prénom pour une fois aujourd’hui.

par delà la colère et la fougue, un brin de vrai. elle crève de faim, d’un peu d’existence, qu’ils ne soient plus des sauvages une seule seconde et qu’elle mérite d’être ancrée dans le réel. antigone fatigue à accomplir sa quête, elle rêve, honteusement, d’être quelconque. ça lui prend quelques secondes, et qu’il le veuille ou non de toute façon après cela elle s’en ira, renard, bouffer un garçon.

c’est épuisant, d’être sur cette terre.

toute dévêtue mais couverte de colère antigone soutient le regard quand lui retient le poignet. chacun dévoile sa force, qu’elle soit dans le contrôle ou la folie et en cet instant, un peu fugace elle le ressent, antigone se sent complète, et continue.

elle déglutit, mord l'intérieur de sa joue pour ne pas jurer des menaces et risquer l’os casser, puis lucius cesse sa rage et se dévoile plus léger.

quand il répète alors son nom, celui qu’elle a choisit avec hargne, celui qu’elle embrasse si vaillamment tant elle se crève à faire ce qui doit être fait, elle baisse les yeux, admet la fin de la querelle et consent à reprendre la vie comme ils l’avaient laissé avant cette journée.

c’est bon on y va.

elle râle et quitte la pièce, direction sa chambre pour se vêtir. ensuite ils iront chasser, tels les monstres affamés qu’ils sont. et peut-être ce soir lui demandera-t-elle encore une dernière fois de l’appeler par son prénom, pour que sa nuit soit plus calme.