— J'aimerai une augmentation.

Voilà, audacieux, ce que tu avais dit en te plantant devant le bureau d'Alastor. Il est énorme, son bureau, des fois, tu te demandes si tu ne rapetisses pas de quelques dizaines de centimètres quand tu rentres dans cette pièce, car tu te sens toujours horriblement minuscule quand tu plantes face à lui. Mais l'argent venait à manquer, ton imagination n'aidait pas à refréner tes dépenses en plus de ton goût prononcé pour satisfaire tout ce qui a un lien avec ton confort. Et puisque tu jugeais que tu faisais un excellent travail, tu avais, en dépit du fait qu'aujourd'hui encore tu te sentais minuscule, osé demander. Évidemment, l'échec fut cuisant.

Piqué dans ta fierté, tu avais argumenté. Peut-être était-ce là ce qui se rapprochait le plus d'une dispute depuis que tu étais arrivé au Danaé à temps plein. Au final Alastor avait clos la conversation d'un "Vas te faire foutre", ce à quoi tu avais répondu :

— J'y vais de ce pas, enculé !

Et tu avais claqué la porte.

--

Quelque part, Alastor ne t'avait jamais menti. Et ça t'énervait. Voilà deux heures que tu rumines dans la salle du Danaé, alors que l'argent coule et que les employés font ce qu'ils ont à faire. Tu cherches sans trop savoir comment t'y prendre quelqu'un à mettre dans ton lit contre un peu d'argent. Tu es mal à l'aise, mais encore une fois, Alastor t'avais prévenu : si tu voulais arrondir tes fins de mois tu n'avais car descendre et faire le tapin. Tu as toujours amoindri la toxicité de tes autres relations en te disant qu'elles n'étaient qu'un échange de bons procédés avec peut-être (sûrement, c'était écrit dans le scénario, non ?) un happy ending end game à la clé. Soudain, un homme au visage élégant et au sourire aimable d'un peu près 40 ans se plante devant toi. Tu le regardes, il tend la main pour caresser de son pouce ta joue. Et tu te dis qu'au final, faire le tapin, c'était un échange de bon procédé.

--

Il t'a vu partir, tenant la main de ce client dont tout le monde sait qu'il ne faut pas le laisser faire autre chose qu'une partie de poker ou de roulette. Mais toi, évidemment, tu ne savais pas. Il n'était pas sûr que tu savais, il n'était pas sûr que tu aies le droit de t'improviser prostitué quand tu avais passé les mois derniers dans le fond de ton petit atelier à bricoler ce qu'Alastor demandait. T'étais pourtant bien habillé. Aussi bien que les autres qui passaient la nuit à satisfaire les désirs des clients. Mais, encore une fois, il n'était pas sûr que tu aies le droit. Alors, dans le doute, il gagne l'étage, toque à la porte d'Alastor et attend l'autorisation avant d'entrer.

— Hm, patron, j'ai vu le petit bricoleur là, en bas. Je sais pas s'il a le droit de faire le tapin avec les autres.

Un peu mal à l'aise, il se dandine sur place avant de lever un regard incertain vers le fils du dieu des dieux.

— Et j'sais pas si c'est vous qui lui avait demandé mais il est parti avec M. Buford.

Ce poste décrit explicitement une agression s*xuelle et un meurtre, prenez soin de vous, lisez pas si c'est trigger pour vous

— Alors, tu es nouveau ?

Il a le même timbre de voix que le prince charmant dans cette obscure cassette que tu regardais en boucle à la colonie sur la petite télé que tu t'étais bricolée. Superbe, cette petite télé, d'ailleurs. Tu hoches timidement la tête, tu crois avoir cerné le personnage. Il est beau, avenant, lui il aime ce qui est pur et innocent. Le vulgaire le rebute, t'en ai sûr à 95%. Alors tu enterres le Jasmin un peu piquant pour te faire le Jasmin docile et doux. Il t'offre un sourire chaleureux. Tu te fais peut-être la réflexion qu'un tel prince n'avait rien à faire ici sans être quelqu'un de suspect, mais l'appréhension et l'excitation éloigne tout indice évident du genre de monstre qui se tient en face de toi.

— C'est une bonne chose, que tu sois nouveau...

Tu ne comprends pas. Tu ne comprendras que trop tard. Il s'avance vers toi, s'agenouille devant toi qui es déjà sagement assez sur le lit. Il prend ton menton entre ses doigts, approche son visage pour t'offrir le baiser le plus délicat et tendre qu'on ne t'a jamais donné. Tu sens ton cœur fondre, il sent le jasmin. Ça te fait rire. Il se détache de toi pour t'interroger du regard.

— Rien, c'est juste que... Vous sentez le jasmin et je m'appelle Jasmin.

Son regard s'écarquille un bref instant, puis il vient te sourire, comme-ci tu venais d'enchanter sa vie.

— Alors c'est que c'est le destin qui nous a réunies, Jasmin. Tu es donc ma fleur préférée.

Et il le dit avec une telle tendresse qu'à ce stade tu te fiches bien d'être sa fleur, son tapis, son chien ou le papier avec lequel il se torche le cul. Peut-être que ça ne sera pas si terrible au final. Peut-être que tu vas tomber amoureux. Il te plaît en tout cas. Et c'est peut-être parce qu'il te plaît que tu t'approches de lui pour réclamer ses lèvres pour l'embrasser. C'est trop doux, très tendre. Il t'embrasse avec désir mais sans voracité, il te touche, te débarasses de ta veste et ta chemise avec une délicatesse qui te fait sentir procelaine de chine. Tu as le souffle court, te fais plus aventureux quand tu glisses tes mains à ses épaules pour te pendre à son cou. Tu respires sa bouche, sa peau, lorsqu'il s'attaque à ton pantalon tu as cependant le besoin de lui dire.

— Je ne suis pas un prostitué, vous savez.

C'est vrai. Et il te plaît clairement ce prince charmant. Tellement, que tu as envie qu'il t'accepte et voit en cet instant d'intimité autre chose que du sexe.

Puis il te gifle.

Ta tête part sur le côté et, imbécile, tu viens toucher ta lèvre, le goût du sang envahit ta bouche. Sans comprendre, tu lèves les yeux vers lui pour croiser un regard froid et une expression déformée par la condescendance.

— Ne mens pas, putain.

Tu clignes des yeux, tu ne comprends pas. Tu ouvres la bouche mais une nouvelle claque te fait taire. Cette fois, elle si est forte qu'elle te fait tomber en arrière, sur le matelas.

— Que-

— J'ai horreur des menteurs. Vous les putes vous êtes toutes pareilles, soit à être des chiennes vulgaire, soit à vous sentir obligé de mentir en vous faisant passer pour des saints. Tu pouvais pas fermer ta gueule ? Pour une fois que j'avais trouvé un nouveau qui ne sentait pas le foutre...

Il te retourne et tu étouffes un cri. Tu tentes de gigotter mais il est beaucoup plus fort, beaucoup plus rapide aussi. Tu déglutis, commences à paniquer.

— Je suis désolé, j'ai plus envie, lâchez moi s'il vous plaît !

Il tire sur ton pantalon et tu cries.

— NON STOP STOP !

Mais pour seule réponse il t'ignore, tu sens que ton pantalon glisse.

— J'ai payé non ? Alors je fais ce que je veux. C'est pas un putain de bout de viande avarié qui va m'apprendre ce que j'ai le droit ou non de faire. Tu m'as suivi.

Tu entends le bruit d'une ceinture qui se défait et c'est un déclencheur. Tu plonges la main dans la poche de ta veste pour en sortir le canif que tu gardes toujours sur toi, et profitant qu'il s'était redressé pour baisser son froc tu te retournes brusquement.

— Qu'est-ce que-

Tu n'entends plus rien, tu ne vois plus rien. Juste sa gorge et ta lame qui se plante à l'intérieur d'un coup sec. C'est marrant, comme ça a pénétré si rapidement la peau. Tu ne savais pas que c'était aussi facile de planter quelqu'un. Le regard de Monsieur Buford s'écarquille. En le voyant aussi choqué que terrifié tu surprends ton estomac se tordre de plaisir. Tu retires le couteau, tu as du sang sur ta main. Monsieur Buford te regard, sincèrement choqué puis son corps bascule en avant et t'écrase. Tu restes interdit, figé le temps de ses dernières respirations. Puis quand le silence empli la pièce, que tu n'entends plus rien, plus sa respirations agonisante et sifflantes, tu te mets à paniquer. Tes mains tremblent, tu sans un liquide épais et encore chaud rougeau que la peau de ton torse. Tu portes ta main souillée contre ta bouche pour étouffer un cri. Tu as la gorge nouée et le poids du cadavre t'étouffe. Tremblant tu le pousses pour qu'il roule sur le côté. Tu te redresses, la respiration sifflante, ta main retrouve le manque de ton canif que tu tiens fermement. En tremblant, lentement, tu tournes la tête pour contempler le visage figé d'horreur du non-regretté M. Buford. Et, tu te dis que la logique aurait voulu que tu pleures, que tu vomisses, que tu cries, que tu paniques. Mais à ta plus grande surpris, tout ce que tu trouves à faire c'est te dresser à califourchon en sous-vêtement sur lui pour le planter, une fois, deux fois, trois fois.

— JE. NE. SUIS. PAS. UNE. PUTE.

Et c'est à ce moment-là qu'on entre dans la chambre avec fracas.

Le bruit de la porte aurait pu te faire sursauter ou paniqué. Mais tu te sens distant de tout, comme si on t'avait shooté à la morphine non pour endormir tes muscles mais tes sensations. Tu te décales doucement pour te mètres, dressés sur tes genoux, à côté du cœur. À la voix d'Alastor, tu tournes la tête, ne sembles pas vraiment comprendre. Tu as un visage étrangement inexpressif et un regard éteint.

— Vous transpirez.

Et ça te semble étrange, bizarre, Alastor n'était à tes yeux pas un homme prompt à suer sauf s'il le voulait bien. Un peu ailleurs, tu ne réponds pas à ses accusations. En fait tu ne réponds pas à grand chose. Tu lui laisses à loisir le fait de tâter le corps. Il peut voir le coup dans la nuque et les taches rouges qu'on laissé ton couteau contre son torse. Tu fixes le sol, hagard, jusqu'à ce que ton patron pointe son arme à feu sur toi. Tu lèves la tête et les yeux vers lui. Ta bouche reste sceller une poignée de secondes. Le compte à rebours, lui défile. C'est lorsqu'il arrive à cinq que tu réponds. Et ta voix ne tremble pas. Tu te demandes alors si tu es vraiment humain.

— Il m'a frappé.

Tu glisses ta main contre ta joue encore rouge.

— Deux fois.

Tu glisses un doigt contre ta bouche entrouvre les lèvres pour lui montrer la teinte carmin qui souille tes dents.

— J'ai dit stop. Il n'a pas écouté.

Tu regard se baisse sur le couteau, tu sembles prendre doucement conscience de ce que tu as fait. Tu retiens une respiration tremblante, laisses ta poitrine se gonfler de l'air vicié de la pièce.

— Je... Il allait me faire du mal. Il avait ce regard... À ses yeux je n'étais pas humain. Il a baissé mon pantalon... J'ai entendu le bruit de sa ceinture et j'ai...

Tu fixes le couteau, reste silencieux une seconde avant qu'un sourire ne déforme tes traits et qu'un rire sans vie ne s'échappe de tes lèvres.

— Vous savez, qu'en fait, c'est très facile de planter quelqu'un à la nuque. Je pensais qu'il fallait une grande force mais en fait ça s'est enfoncé tout seul... Comme dans du beurre. Haha.

Tu jettes le couteau à ses pieds, lèves les yeux vers l'arme.

— Je ne suis pas désolé.

Et c'est tellement évident que tu te surprends à ne pas l'avoir compris plus tôt. Tu tournes la tête vers le cadavre, à la fois rebuté à part ce corps que tu as toi-même refroidi, mais quelque part satisfait. Il le méritait. Pour lui, tu n'as pas le moindre regret.

— C'était moi ou lui. Pourquoi ça aurait dû être moi ? C'était un connard.

Tu ne sais pas à quoi tu t'attendais. Une forme de soutient ? De sollicitude ? Tu avais tué, certes. Mais qu'était la valeur d'une autre vie face à la tienne ? Pourquoi devrais-tu être navré d'avoir survécu ? C'est comme ça, les gens meurent. C'est toi ou la drogue, c'est toi ou ton créancier, c'est toi ou ton pote, toi ou ta mère, toi ou ton gosse. C'est toujours une question de toi ou de quelque chose d'autre. Et (mal ?)heureusement, tu n'as jamais appris la valeur du sacrifice.

Alastor te dit que ce n'est pas n'importe qui et tu hausses les épaules, vaguement attentif. Toi aussi, tu n'es pas n'importe qui. Lui aussi, n'est pas n'importe qui. Jusque-là, Alastor ne dit rien qui ne mérite d'y donner du sens. Puis il expose le patrimoine du macchabée. Il expose son nom, son "importance". Et, par importance, tu comprends "argent".

— Ah.

Il se prend la tête, tu l'as foutu dans la merde. Et pourtant, tu n'arrives toujours pas être désolé. Il te désigne de la canne la salle d'eau. Tu t'éclipses en te traînant, sans demander ton reste. Tu tournes le robinet d'eau chaude, mais ce n'est pas suffisant. Plus que le sang, c'est le toucher de ses doigts, le poids de son corps, son odeur entière que tu veux retirer. Alors tu tournes le robinet d'eau chaude au maximum. L'eau brûlante vient de suite rougir ta peau et alors... Tu frottes. Comme un forcené, comme-ci tu cherchais à poncer une planche de bois. Tu frottes, pourrais frotter jusqu'à ce que ça saigne. Faut attendre que la chaleur te fasse tourner la tête pour que tu daignes sortir. Tu as oublié tes vêtements à l'intérieur de la chambre. Tu repasses ton sous-vêtement, sors de la salle de bain. Alastor a ramené des produits, tu sens la javel d'ici. Une traînée de sang t'indique que le corps a été déplacé.

— Où est-il ?

Le cadavre.

— Il faut faire disparaître le corps. Pas l'enterrer, pas le noyer, le faire disparaître.

Et il faut que ton intelligence s'active au pire moment. Quand tu verbalises un problème, il faut toujours que naissent la solution. Ton regard passe sur les produits, un le petit bac en plastique rempli d'eau pour éponger la serpillière.

— On peut le dissoudre. J'ai les produits.

Tu suis des yeux la trace de sang.

— Les muscles fondront, les os disparaîtront. Il y aura quelques restes, un genre de bouilli informe de protéine et de collagène mais jette ça dans les égouts et ce sera comme-ci il ne restait plus rien.

Tu lèves les yeux vers lui.

— Plus de corps, plus de crime, non ?

Tu attrapes ta chemise, ta veste et ton pantalon. Tu les renifles, sans l'odeur de Jasmin sur eux. Tu grimaces, manque de vomir même, mais tu n'as que ça alors tu te rhabilles. Tout en passant ton pantalon tu jettes par-dessus ton épaule.

— Pour le reste, le personnel tiendra sa langue si vous leur dites qu'ils doivent soutenir que M.Buford à quitter le Danaé bien vivant. Les images de surveillance je peux les trafiquer, je peux même les modifier pour montrer qu'il a discuté avec tel ou tel membre du personnel. Bref, je peux réparer ma bêtise. Vous pouvez être désolé pour moi et plus pour vous, maintenant.

Ah. Il s'énerve. Tu ne l'avais jamais connu aussi agité. Alastor était calme et tranchant. Il était de cette confiance froide, comme-ci rien ne le surprenait vraiment, comme-ci il n'était jamais pris de court. Mais aujourd'hui il te hurle dessus. Tu découvres de l'humain et du bancal sous sa couche de glace et ça te perturbe.

— Je... Je proposais juste une solution...

Tu baisses les yeux sur ta braguette que tu fermes, la mâchoire serrée.

— Pas la peine de me crier dessus...

Tu repasses ta chemise, en te faisant petit comme tu avais pris l'habitude. Tu grimaces en sentant l'odeur de l'autre macchabée sur le tissu. T'en a rien à battre, rien à faire de ce que ce type était ou non. Apprendre qu'il était une ordonne ne t’apaise pas ou ne te met pas plus en colère. Il aurait été un sain que tu ça aurait été la même chose : il a voulu te faire du mal, tu t'es défendu. C'est comme ça que les choses fonctionnent, non ?

— Pardon ?

Tu relèves la tête, les doigts occupés à boutonner, un peu tremblant, le reste de ta chemise. Ton regard passe de lui au lit, du lit à lui.

— O-Oui.

Ton doigt ripe sur un bouton et le fait sauter. Tu sursautes, te baisses, confus, à quatre pattes sur le tapis pour essayer de le retrouver.

— Mais j'ai déjà vu pas mal de cadavres, avant. Ça ne me fait pas grand-chose... de voir un corps.

Tu poses ta joue contre le tapis, fixe sous le lit pour enfin voir le reflet d'un bouton.

— Ah !

Tu te traîne jusqu'à lui, te met à plein ventre pour tendre la main et arriver à le prendre.

— Du coup, qu'est-ce qu'on fait ?

Tu te redresses sur tes genoux, ton bouton entre tes doigts.

— Je ne vous dis pas quoi faire, bien sûr. Me criez pas dessus, s'il vous plaît.

Tu te fais tout petit. Tu le crois, après tout c'est comme ça que ça fonctionne. C'est lui le patron, c'est lui le boss, c'est lui qui a le pouvoir. Alors il criera s'il le veut et toi t'auras juste à la fermer. C'est une réalité avec laquelle tu deal, parce que t'as appris à respecter et à accepter la pyramide du pouvoir et la loi du plus fort. C'est réalité universelle que tu ne contestes pas, car c'est stupide de contester le fondement même de la vie. Mais quand il s'en prend à toi une nouvelle fois, transportée par la colère (et peut-être l’inquiétude) tu te révoltes. Tu relèves la tête, un éclair mauvais dans le regard.

— C'est vous qui m'avez dit de descendre faire le tapin !

Tu t'approches d'un pas en appuyant un doigt impérieux contre son torse.

— Vous m'avez dit d'aller me faire foutre !

Tu claques ta langue contre ton palais furieux, avant de détourner sèchement le regard. Sa question te fait fermer la bouche, rougir de honte. Le doigt toujours appuyé sur son torse tu lui réponds.

— Non. Il n'a pas eu le temps.

Tu t'éloignes, tournes des talons. Tu peux encore sentir son odeur sur toi. Tu pinces le tissu de ta chemise, résistes à l'arraché de nouveau.

— Je vais chercher les produits.

Tu t'avances en silence et d'un pas pressé jusqu'à la porte avant de t'arrêter en son seuil.

— Et comme je l'ai dit, je trafiquerai les caméras, votre Darryn verra rien parce que y aura rien à voir.

T'as l'air vexé, blessé. Tu tournes la tête vers lui.

— Et personne vous trahira. Les gens sont pas assez fous pour ça, puis les autres vous aiment tout simplement trop pour ça aussi.

Tu claques la porte derrière toi, vas jusqu'à ta chambre sans cracher un mot pour qui que ce soit. Tu embarques avec toi, ta sacoche de travail, les produits et plusieurs larges bassines que tu empiles les unes sur les autres. Tu reviens les bras chargés, cognes dans la porte pour qu'Alastor t'ouvre. Tu balances tout sur le sol, toujours vexé.

Lorsque tu lèves ton regard vers lui, les bidons de produit éparpillé sur le sol et les bassines à côté, t'as l'air de chercher à la défier. Ta bouche se tord, comme-ci tu cherchais à dire quelque chose ou, mieux, à lui dire d'aller au bout des choses. Mais Alastor se détourne, s'empare d'une scie et tu pousses un soupir. Tu mets les bassines en place et commences à retirer les chaussures du cadavre.

— Il faut le déshabiller, je brûlerai ses vêtements plus tard.

Il n'y avait pas d'expérience plus étrange que de dévêtir un cadavre. Si lui retirer ses chaussures t'avais rassuré car tu n'avais pas ressenti grand-chose, commencer à lui enlever son pantalon, en revanche, te fait avoir un haut-le-cœur. Tu viens nicher ton nez dans le creux de ton coude pour ravaler la bile acide qui est soudainement remontée, mais l'odeur sur ta chemise rend la tâche plus difficile. Tu secoues la tête.

— Il fait chier avec son parfum trop cher !

Les mêmes que portent ceux auprès desquels tu ondules les hanches dans l'espoir d'être sincèrement aimé. Mais tu te reprends, tu refuses qu'Alastor fasse le boulot à ta place. Tu ne sais pas pourquoi, mais paraître faible devant lui (ce qui t'arrange toujours pourtant), t'apparaît comme insupportable. Tu lui retires ses frocs, puis t'attaques à sa chemise. Sur sa peau nue, les marques du couteau que tu as planté avec jubilation.

— Vous allez me virer ?

La question sort de nulle part. Tu restes un moment immobile, sa chemise ouverte entre tes mains alors que tes yeux fixent les plaies tâchées de sang.

— Vous le saviez. Qu'il était comme ça, je veux dire. C'est pour ça que vous êtes venu, je me trompe ? Whoua, mon patron à un cœur.

Il va te fumer. Merveilleux. Mais à ce stade, tu te surprends à préférer cette option à celle d'être de nouveau lâché dans la nature comme une âme en peine. En fait, tu penses que tu préférerais n'importe quelle option pour peu qu'elles ne te condamne pas à revenir dans cette pièce ou te faire exilé du Danaé.

— Très bien. Alors fumez-moi.

Tu hausses les épaules, profites de la distraction de la conversation pour finir de mettre à nu le macchabée. La suite est plus sanglante. Alastor te défie de regarder. Tu as l'estomac bien accroché, mais plus que cela, tu as besoin de le voir. Alors tu secoues en silence la tête. Droit face l'horreur, comme-ci voir cet agresseur morcelé puis réduit à rien allait le rendre moins présent dans tes pensées. En fait, il y a presque une forme de justice jubilatoire à voir son beau corps devenir un patchwork. Tu le regardes ainsi découper les membres. Passé un quatrième tronçon, tu te détournes enfin du spectacle pour aller préparer les bassines.

— C'est parce qu'il paye bien que vous le laissez agresser tout ce qui bouge ?

Tu hausses les épaules, derrière toi le macabre travail prend fin.

— C'est pas un reproche. Je comprends, je crois. L'argent c'est le pouvoir. C'est ok. Je comprends.

La suite est un peu confuse. Tu te vois transvaser ce qui a été coupé dans les différentes bassines. Puis, tu te vois renversé les produits, observés quelques secondes l'effet chimique qui en découle, la façon dans le corps fond dans une mousse sanguinolente. Ça te fait étrangement penser au pastilles effervescentes que tu prenais contre les maux de crâne. Le remède n'était pas spécialement efficace, mais la façon dont le solide se diluait dans le liquide te fascinait, gamin.

— Maintenant, y a plus qu'à attendre.

(..)

Il se passe peut-être vingt minutes avant que tu n'ouvres la bouche de nouveau. Assis contre un mur, les jambes rabattues contre ta poitrine, tu l'observes du coin de l’œil.

— Merci.

C'est lâcher sans contexte, sans préambule.

— Vous êtes gentil, en vérité. D'habitude, personne ne s'embarque dans un tel merdier.

Contre toute attente, c'est lui qui vomit le premier. T'aimerais bien vomir, Jasmin. L'odeur te prend le nez, tu te sens malade et nauséeux et tu sais que cette odeur elle va te coller à la peau, qu'elle va te hanter. Mais tu n'y arrives pas. Ta la gorge trop nouée pour ça. Ton corps devenu de marbre, peut-être parce qu'il sait ce que toi tu ne sais pas. Peut-être parce qu'il sait que si tu vomis et craques maintenant, tu ne te relèveras pas. Alors la tête dans la cuvette ce sera pour plus tard. Quand au plein milieu de la nuit tu te réveilleras en sursaut pour te vider et que, tremblant et pleurant tu te tiendras la reste du soir, prostré contre le carrelage froid avant de trouver la force de te recroqueviller dans la baignoire, l'eau froide pour te laver une nouvelle fois.

En attendant, tu l'observes. Avec le goût de la bile en bouche et la fascination en prime. Tu considères ses paroles, finis par te lever pour traverser la chambre en prenant bien soin d'éviter les bassines du regard. Tu rentres dans la salle de bain et fermes la porte derrière toi. Tu te laisses glisser en face de lui.

— Vous avez dit que j'étais un bon élément.

Tu relèves la tête, tu ne souris pas vraiment, mais t'as toujours cette expression douce, presque féminine sur le visage, comme-ci tu ne savais pas faire la gueule, Jasmin.

— C'est bien que vous le reconnaissez.

Tu jettes un coup d’œil à ta montre. Si tes calculs sont bons, et ils le sont tu le sais, il reste encore trois minutes pour la dissolution complète.

— Alastor...

Tu lèves les yeux vers lui.

— Ça ne me dérange pas de vous servir, vous savez. Ça ne me dérange pas d'être un investissement.

Tu t'approches à quatre pattes de lui, aussi désespéré que fou.

— Je peux être le meilleur et le plus précieux de vos investissements.

On dirait que tu vas pour l'embrasser, mais tu te ravises. Finis simplement par te relever.

— Je vais chercher de quoi vider les bassines, ça devrait être bon.