naissance
Mentir est hypocrite, disait Omar. Pourtant, son fils en était le fruit. Pour les Mansour, il s'agissait d'un enfant que l'honnête Omar avait adopté. Il ne lui ressemblait pas de toute façon. Ses longs cheveux blonds, ses yeux d'un noir inhumain… Il ne pouvait être Mansour, il était forcément autre.
Ce mensonge, Salim le comprit bien plus tard, n'était pas né de sa compassion mais de sa peur. N'y avait-il pas de plus grand blasphème que d'admettre avoir non seulement trahi son Dieu mais également forniqué avec le mauvais ?

Pour lui pourtant, cela n'avait jamais été réel, il s'agissait d'une fantaisie tout au plus et Omar en avait parfaitement conscience. Il avait préféré une bonne histoire à un bon partenaire comme Roméo et Juliette l'avaient fait avant lui. Mais il était persuadé qu'ils s'étaient aimés, même brièvement.
Alors, peut-être n'était-elle pas tout à fait divine ? Elle l'avait aimé après tout, lui, le malchanceux.

enfance
Depuis toujours, Salim était chanceux.
Tant et si bien qu'il était clair pour tous qu'il n'appartenait pas à ce monde, qu'il n'avait pas tout à fait sa place auprès de ces autres malheureux Mansour. Car il était né mansour, il était né victorieux.

Toute son enfance, il eut l'impression de n'être rien d'autre que le médiateur divin capable d'exprimer dans un anglais parfait la tristesse de sa famille ; que ses larmes ne lui appartenaient pas et qu'elles vivaient depuis toujours dans le cœur de son père, de ses parents avant lui. En réalité, la douleur de l'exil s'était transmise de génération en génération et n'avait laissé que la colère pourrir au fond de la gorge des petits enfants.
Salim, lui, était poli avec sa colère.

Le poids du passé s'abattait en vagues sur ses épaules avant même que l'on en fasse un demi-dieu. Il lui était impossible de comparer les autres enfances à la sienne car il n'en avait vécu qu'une, mais il était persuadé qu'il n'était pas normal. Ce fut une idée qui le suivit toute son enfance mais dont il n'y prêta que peu d'attention.
Salim fut embrassé par une chaleur solaire qui fit taire les pensées trop nombreuses de son esprit. Il eut une grande famille et on lui transmit une culture à laquelle il s'identifia naturellement.

colonie
L'effroi de l'existence d'un demi-dieu sonnait toujours à son douzième anniversaire, là où les nymphes ou les satyres apparaissaient. Pour Salim, ce fut d'un calme perturbant. Il découvrit ses larmes, les siennes. Il découvrit un nouveau chagrin que portait son père depuis sa naissance, un chagrin qu'il ne connaissait pas mais qui se traduisait par des gestes maternels. Des baisers, des murmures, des prières, des promesses.
Salim subit le second exil de son père et sans doute le sien également. Il se réconforta dans sa langue, sa belle langue et s'efforçait de ne parler qu'exclusivement l'arabe. Cela ne dura que deux mois.

Il découvrit qu'il existait une île de laquelle beaucoup en étaient originaires sans forcément le vouloir. Là-bas, il n'était plus unique mais il y trouva quelque chose de rassurant et encourageant dans l'idée qu'il n'était pas l'étranger. Il avait néanmoins conscience qu'au-delà de cette île existait une hostilité que les demi-dieux ne ressentiraient pas tous et à nouveau, il se sentit isolé à sa façon.
Ce fut son dernier exil.

adulte
Un jour, il ne se réveilla pas dans la maison de son père. Et l'odeur de sa nourriture ne le fit pas sortir de son lit. Il souffrit de réaliser qu'il n'y avait aucun.e.s cousin.e., aucuns oncles, aucunes tantes, aucuns grand-parents qui l'attendait dans la cuisine.
Et tout à coup, il découvrit qu'il ne voulait plus être le meilleur du monde. Il voulait simplement rester assis silencieusement, calme, indifférent et satisfait de tout.

Dans un autre univers, ils étaient assis l'un en face de l'autre à la table de la cuisine et passaient en revue la liste des courses.
Ici, là, il le retrouvait dans les courbes de certaines lignes, dans la douceur de certains plats.

Sa mère, elle, n'était jamais loin.