Tes doigts s'agitent, maladroit, sur le nœud de ta cravate. Un art que tu maîtrises mal, pour ne pas dire que tu ne le maîtrise tout simplement pas. Voilà près de cinq minutes que tu t'acharnes mais rien n'y fait. Tu finis par le jeter au sol, jettes un regard par-dessus ton épaule pour surprendre Seraph avec une expression aussi fermée que la tienne.

— T'as quoi à tirer la gueule ? Aux dernières nouvelles, t'as validé ça.

Tu ne lui épargnes pas ta colère. Tu encaisses depuis des semaines les tapes dans les dos et les ricanements de tes adelphes et camarades Spartes. Ils avaient... IL avait fait de toi un bouffon, un clown, t'en étouffait. T'as le cœur retourné par la frustration. Tout le monde s'en sort. Tout le monde gagne du galon. Alors que toi... Tu rattrapes ta cravate reprend ta bataille contre les nœuds bien faits qui ne sont pas pour toi.

— Et me reproche pas d'exister, espèce d'hypocrite. T'étais bien content que je casse de la gueule d'égaré en ton nom, t'étais bien content d'avoir quelqu'un pour brailler à ta place. Je me suis jamais autant sacrifié que pour toi. Je joue à ton jeu malgré moi, à ton avantage.

Par miracle tu arrives à nouer l'affreux accessoire. Tu restes planté là, interdit devant la glace.

— Je t'aime mon frère. Mais laisse moi te dire que t'as mis un pied dans ta tombe.

Tu te retournes, le bouscules de l'épaule avant de quitter ton salon. C'est l'heure.

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Le brouhaha du temple t'agresse. C'était censé être ton heure de gloire mais tout n'a que l'apparence d'une vaste mascarade. L'humiliation te prend à la gorge, l'espace d'une seconde, tu songes à tout plaquer. Il te suffirait de crier, tu te jetterais sur cette enflure d'Emon pendant qu'il est secoué pour lui trancher la gorge, Sohel te suivrait, tu n'aurais qu'un cri de guerre à lancer et des dizaines de Spartes se lanceraient dans la salle pour souiller ce temple de merde du sang de cette bande de merdeux au nom d'Arès. C'était l'option suicidaire, mais c'était l'option pour sauver ton ego, pour réinstaurer cette glorieuse crainte autour de toi. T'en étais à considérer très sérieusement cette option lorsque les voix se sont tuent pour laisser Ezra et Simca s'avancer vers l'autel. Tu serres la mâchoire, tu jettes un coup d’œil à tes alliés, puis à Seraph. Tu le défies de détourner le regard. Qu'il contemple comment tu joues bien ton rôle. Lorsqu'Ezra arrive à ton niveau, tu lances un regard entendu à sa sœur. Tu sais. Elle sait. Votre "accord", t'en connaît les conditions.

— Hey.

Tu lui offres ta main avant de te tourner vers le maître de cérémonie. Tu n'écoutes que d'une oreille le blabla de David, trop occupé à observer du coin de l’œil ton futur mari. Tu notes qu'il a fait un effort, mais t'es pas convaincu. Tu maries un maigrelet faiblard et chétif. T'as la haine.

Tu t'avances pour signer le contrat, tu manques de trouer le papier tant tu appuies fort. Les échanges de bagues, le "oui" franc qu'on lance pour ravir le cœur de cette bande de bouffon qu'est votre public, puis tout le reste. Lorsqu'enfin vient le moment de faire face à Ezra pour l'embrasser tu essayes, rien qu'une seconde, sincèrement, de l'aimer. Ce serait peut-être plus simple. Ezra tu le connaît, ça aurait pu être pire. Ouais. Seulement voilà, ça aurait pu être mieux aussi. Tellement mieux. Tu l'observes en silence, t'imagines le voir autrement que comme un jouet auquel on est trop attaché. Si seulement tu pouvais l'estimer. Si seulement tu pouvais ressentir autre chose que cette attache malsaine. Mais quand tu le vois, tu ne vois que la personnification de tes échecs, de tes faiblesses. Quand tu le vois, tu te vois comme ils vont tous te voir et ça te file la nausée. Tu te penches sur lui pour cueillir ses lèvres, glisse une main contre sa joue, l'autre contre le bas de son dos. Il y a des viva autour de vous mais tu jurerais entendre la voix de ton père se moquer.