le soleil brûle mes omoplates comme toujours à cette heure-là ; moi je n'ai pas besoin de crème solaire, ma peau reste blanche de la couleur du bois (celui à l'intérieur, qu'on ne voit pas, secret jusqu'à ce qu'on sache qu'au fond je suis tendre -tendre mais pas trop, tendre moi oui parfois, mais mi-dur le bois, comme on dit, comme on mesure, comme on juge pour construire des maisons dans des villes toujours plus grandes toujours plus larges avec toujours plus de voitures et toujours plus de gens et toujours plus de piscines et toujours plus de vide, toujours plus de cheminées et toujours plus de fumée, ah les mauvais jours on voit celle de new york, et même les feux du pays encore plus au nord, et ça ne me fait pas rire parce que je sais qu'un jour j'en mourrais sûrement ; ça ne sera pas les monstres ni les dieux qui m'auront tuée : ça ne sera que les petits parasites humains, qui grognent et qui hurlent dès que ce n'est pas assez simple, et je pense à tout cela sans savoir que j'étais presque visionnaire).
parce que, oui, leon hurle et grogne. ça ne s'entend pas, il ne le fait pas éhontément, mais ça se sent dans ses mots. peut-être, en réalité, que la rigidité de son dos l'empêchait de se mettre en colère. je descends de ma branche (la mienne). je n'ai pas accepté de parler et pourtant tu continues ; de toutes manières, on dirait que tu n'avais pas envie d'être poli. que ça te faisait serrer les dents au-delà des douleurs, que tu te contenais comme d'habitude, comme on le voit toujours -enfin ! pas comme avant, quand tu étais si petit que c'en était marrant. et toute cette violence, où était-elle allée ? ne me dis pas dans les mots, je n'y croirais pas.
j'aurais pu dire félicitations quand tu annonces ta victoire, ou alors comment vas-tu ?, ou peut-être même ah ! enfin. ç'aurait été de mauvais goût, et par conséquent j'hésite à le dire, mais j'ai la sensation que j'aurais bien assez de moqueries à te donner par après. oui, parce que pour te jeter des cailloux, il faudra que je me mette en hauteur, et alors je serai hautaine, hautaine pour ne pas te laisser m'atteindre, moi et les autres assigné-es à une porte qu'on haït moins que nous.
alors je ris, je ris comme si ça ne me faisait rien, comme si je n'avais pas douté de moi tous les jours depuis l'incident, comme si je n'avais pris la hache du bout des doigts et qu'elle était restée bien trop longtemps dans ma main. où j'étais ? où j'étais ?! tu crois que tu as l'autorité de me demander ça, leon ? ce n'était pas des questions chez moi non plus. le dialogue n'en était pas un, il ne servait à rien.
non, à rien, si ce n'était à faire sortir ces monstres horribles qui se doivent d'accuser d'autres de nos défauts, de nos faiblesses, de nos défaites.
et, alors, il fallait que je renchérisse.
ah ! mais soit : j'étais en jour de repos.
les yeux ne te lâchent pas. c'est qu'il faut en voir tout le spectacle.

et le voilà : le clown et le rouge sur ses joues ; les cheveux en pétard qui vont avec, il ne manque que la boule sur le nez et, bien sûr ! bien sûr, le sourire, dessiné au khôl bien exagéré. si tu le veux, leon, je pourrais brûler mon arbre -ça te rendrait content, sûrement ?- et des cendres j'en ressortirais un charbon que j'étalerais sur tes lèvres pour en faire une courbe qui semble si peu naturelle chez toi. oh, tu savais être en colère, je crois bien que c'est même tout ce que tu es pour moi, et je me demande alors : que te reste-t-il quand tu ressens autre chose ? as-tu toujours l'impression d'être toi ? parce qu'alors ! alors tu es un menteur, et tu n'as pas la rage au ventre. t'es pas un vrai survivant. t'es pas comme moi, pas comme moi et les flammes que je me force à fantasmer plutôt qu'à en craindre l'arrivée.
mais toi, avais-tu peur ? avais-tu peur ? PEUR ?
oh, leon, je m'agace parce que tu gâches ma journée. petit demi-dieu si peu résistant, à se plaindre d'un rien oui vraiment : vous serez toustes mort-es demain, tu le sais ? leon ! leon, oui, la porte c'est moi l'ombre du couchant qui s'étale sur ta face, qui dit : je suis bien plus grande, et de là-haut je veille comme tu ne saurais jamais le faire ; et de là-haut, je suis bien plus que sur-humaine. et je ne te permettrai pas d'insulter mes subalternes ; es-tu stupide ? à ton avis, qui a appelé les secours qui t'ont sauvé la vie ? ou alors, aurait-iel dû descendre, et rajouter un corps à la pile bien entamée ? ah, j'imagine que c'est ce qu'arès aurait voulu. mais je n'apprends pas aux autres à être des idiots. parce que toi tu n'as pas le droit aux méchants mots mais moi je me le donne, moi je peux parce que je sais ce que c'est de perdre des gens pour de vrai, mais toi t'as perdu qui, leon ? à part ta fierté ? à part ton utilité ? oui maintenant les gens pourront rire ; iels diront : leon n'a rien pu faire, ahahah ! comme ce qu'on dit déjà de moi quand l'aigle s'est échappée de nos bras. mais c'était pas ma faute. c'était pas- j'ai gardé la porte, et rien n'est passé ce jour-là. non, rien.
et quand tu as failli mourir -pour de faux, parce que visiblement même ça tu n'aurais su bien le faire-, je le redis : iel a bien fait. alors, demandons plutôt, et toi, leon, t'étais où ? toi le combattant ! toi le héros, devrais-je dire ?! celui qui a battu l'ancien-ne gérant-e de l'arène !! celui pour les diriger toustes, ces gladiateur-ices impitoyables ! où était-il, celui-là ? où était-elle, la légende ? je ris, à nouveau, parce que je sais très bien : il n'aurait jamais rien pu faire. peut-être n'était-ce que des racontars, finalement. et que nous n'étions que des fraudes, toustes les deux.

la condescendance se partage, ou alors peut-être se propage-t-elle -virus qui infecte ces gens-là, celleux qui utilisent des mots contre les autres à défaut d'essayer de les comprendre, ou pire : d'oser se regarder dans le miroir. nous savions déjà -hein leon ?- que cette conversation ne servira à rien. il ne s'agissait que de cracher venin et poison sur le sol devant nos pieds plutôt que sur les faces défigurées de nos ego. parce que ! parce qu'on y tient, à leurs physiques, bien plus qu'à leurs santés.
alors l'insulte -ah ! la pique, l'affront digne de la maternelle, l'avanie sans public- ne fait pas mouche, parce qu'elle fait rire. je ris parce que sinon je pleurerais. en réalité, j'avais tord. on parlait pour se prouver qu'on était encore là. vivant-es. pour de vrai, pas qu'avec le myocarde. c'est marrant, tu sais, leon ? moi il me suffit de regarder mon arbre pour savoir. pourtant, quand j'ai vu la pourriture tout au centre du tronc, j'ai décidé que ce n'était pas la vérité. que ce n'était pas un bon indicateur. que ce n'était pas moi -et alors, pour la première fois, j'ai eu peur de vouloir être humaine.
mais non. la réalité, c'est que j'ai peur d'avouer de ne plus vouloir être là.
voilà ce que je garde. ma dignité.
je garde bien plus que ce que tu oserais imaginer. et là-dessus nous n'étions pas étranger-es ; parce que si je te retournais la question tu pourrais dire : la grandeur ! la compétition ! le spectacle ! les techniques ! le talent ! l'envie ! et n'aurais-je pas pu donner les mêmes réponses ? mais, effectivement, je me doute que tu ne peux pas comprendre. je ne l'ai pas compris avant 400 ans à garder. un éclat d'histoire (la mienne) t'es donné, oh n'essaie pas de le planter dans ma peau dans mes yeux dans mon cœur : c'est du bois qui vient de moi. et, encore, EXACTEMENT ! tu regardais. mes bras se croisent, l'air toujours suffisant. si tu as toutes les réponses, pourquoi venir m'embêter avec elles ? ah, non, tu as tord sur un sujet.
l'index s'est levé quand il a été appelé, ce un comme un geste qu'on a appris à un chiot, lui qui attend sa friandise après s'être bien comporté. c'est qu'il faudra bien me remplacer le jour où je déciderai de partir. parce que c'est moi qui choisira ; c'est un fait, on dirait, et personne n'en doute, parce que la porte c'est moi, la porte c'est moi, la porte c'est moi, et moi je ne suis plus rien d'autre qu'une porte qu'on ouvre, qu'on ferme, qui ne va nulle part, et personne ne reste là pour garder compagnie à une porte déjà ouverte. quand j'étais fermée, on venait me voir, tu sais ? on pleurait sur mon bois, mon épaule, on me suppliait et on me racontait des choses, mais qu'existe-t-il de plus banal qu'une porte qui laisse passer ? parce que vois-tu, leon, c’est cela effectivement qui nous différencie : tu subies ta vie comme un enchaînement de conséquences. c'était ironique, je le sais, mais toi tu y croira parce que c'est la pièce que je joue depuis des centaines d'années déjà. tu ne savais pas, leon ? les nymphes décident rarement de leurs sorts. nous sommes obligées de chasser nos amours sous l'ordre des dieux, de nous condamner pour leur échapper, d'être les accusées condamnées alors que pourtant acculées -je suis chanceuse de n'avoir jamais été aimée de zeus.
je vis ici, depuis. la grandeur n'habite pas les nymphes, on la garde pour les héros comme toi ; alors je n'ai d'épique à inspirer, et je n'ai pas de forêt non plus : tout ça, c'est vous qui me l'enlevez.
oui, un jour je partirai. je ne crois pas que je le choisirai. l'éternité chaque jour paraît plus courte.