Convoquée à l'autel des morts, Hébé constate que c'est la première fois depuis longtemps qu'un de ses enfants la rejoint ici. Elle ne fera pas l'affront à Abel d'être excitée par sa présence, mais le voir en chair et en os lui réchauffe le coeur. Elle qui s'éprend des hommes du monde, beaux et charmants - elle sourit en constatant que son fils s'approche de ce modèle.

Abel !

Qu'elle crie en levant le bras pour l'interpeller. Elle accourt vers lui, joue l'innocente et se triture les cheveux, charmée.

Que tu es devenu beau en grandissant !

Mais alors qu'elle ne voit rien d'elle dans ses traits, elle perd son sourire et son assurance, pour s'enfermer dans une bulle de mélancolie que seule un geste d'affection envers elle pourrait peut-être percer.

Alors... Tu es mort...

Hébé a soudain l'air profondément triste. Elle retient des sanglots presque grotesques tant ils ont l'air immatures et forcés.

Est-ce que ça va aller ? Pour y retourner ? Il faut que tu sois fort. Tu peux en parler à tes grandes soeurs, tu le sais ? Si quelque chose te tracasse, elles seront toujours là pour toi.

Elle ne peut pas intervenir ni revenir sur ce qu'il s'est passé. Cette histoire ne lui appartient pas. Elle préfère s'immiscer dans un cadre plus intime : celui d'un fils et de sa mère.

Même s'ils ont l'air d'avoir le même âge ;
Hébé peut compter sur son immortalité, et celle qu'elle lui confère.

Hébé relève un regard éploré vers son fils, les yeux embués de larmes extravagantes. Elle ne pleure pas la mort car elle a appris à la côtoyer depuis l'antiquité - deux millénaires à voir ses enfants périr sans jamais pouvoir les sauver - non ! elle pleure l'absence et la froideur d'Abel. Elle accuse les reproches en reniflant et passes une main sur ses yeux en bafouillant. Elle a l'apparence des adultes, l'attitude des enfants et pourtant derrière elle la maturité de l'expérience ; elle règne à l'Olympe depuis l'aube des femmes et des mères.

Oh non je suis désolée, je suis désolée ! Qu'est-ce que j'ai fait de mal ?

Elle demande parce qu'elle a lu dans un livre sur la parentalité positive qu'il fallait ouvrir le dialogue avec l'enfant pour qu'il se développe correctement. Mais Abel n'est plus un petit garçon et elle laisse tomber ses bras mollement le long du corps ; elle est en retard et celui-ci est encore un échec.

Tu sais...

Elle a beau prendre une petite voix, celle-ci porte plus loin que les montagnes de l'Olympe et s'impose comme la marche à suivre.

On est pas ses parents.

Maman, s'il te plait.

Elle s'approche pour poser une main sur son torse. Elle s'autorise la renaissance par le contact. Sens son coeur vibrer sous ses doigts.

Je n'ai pas d'attentes alors je ne serais jamais déçue ! Fais de ton mieux pour vivre avec le moins de regrets !

N'a pas conscience de la brutalité de ses paroles. Elle étire un sourire doux et il semble que son chagrin n'a jamais existé. Dépose un baiser sur sa joue.

Allez, on repart ! Tu peux le faire !!

Elle l'encourage avec une distance cruelle ;
on apprend pas à être mère dans un livre.
on apprend à être mère en étant mère.

Mais la déesse a d'autres préoccupations qui ne tournent qu'autour d'elle.