les jours sont longs et je n'aime pas la mer ; les vagues m'harcèlent, reviennent toujours comme pour espérer cette fois-ci toucher mes pieds. je la vois, moi, étendre ses doigts, étirer l'écume sur le sable, et j'accuse la lune d'être sa complice. je prononce coupable la marée qui me condamne à rester sur moins de terre que lorsqu'elle se retire. elle, honteuse ou peut-être en colère, défaitiste dans tous les cas. moi je n'aime pas la mer, l'océan non plus, les mares me répugnent et les lac m'ennuient ; les rivières je les accepte tant qu'elles ne débordent pas de ces sentiments que je ne veux plus voir. les seules eaux que j'aime, c'est celle qu'on ne voit pas (loin, dans les entrailles de la terre, les nappes) et celle que l'on ne peut éviter (céleste, venue de là-haut, la pluie). les deux me permettent de boire. c'est peut-être pour ça.
ou alors était-ce parce que -parce que là-bas, au creux de la terre, je pourrais hurler sans que jamais d'autres ne puissent entendre, ou alors parce que, ici, sous la pluie, je m'imagine danser sans qu'on ne puisse me le reprocher.
il ne pleut pas. il ne pleut pas et j'aime la pluie, pourtant je ne peux m'empêcher de penser que lorsque la pluie tombe, elle roule, puis elle rejoint la mer, ou les nappes, mais surtout la mer, et alors ne me trahit-elle pas ?
il ne pleut pas et c'est moi qui donne mon eau, du bout des feuilles et sur l'épiderme ; les cheveux de la nuque plaqués dans un orange foncé couleur cuir usé. il est tôt mais il fait chaud, et déjà les stomates se sont fermées, elles ont dit : aujourd'hui est un jour trop difficile, et je les comprends (elles sont moi, de toutes façons). l'aube est cruelle : elle m'enlève tous les cadeaux de la nuit -ceux que, j'en suis sûre, la lune m'envoie pour se faire pardonner de vouloir aider la mer à me noyer-, et de la rosée il ne reste qu'une fraîcheur absurde face au rouge du ciel.
absurde, absurde, absurde aussi ces corps qui viennent ici comme si la porte était un accueil pour doléances, absurde ces gens qui me cherchent quand je suis toujours au même endroit, absurde ces inconnu-es qui pensent trouver les réponses en se confrontant à des choses qu'iels se savent trop couard-es pour réellement les dompter.
alors quand tu m'interpelles sans la moindre politesse, ou alors plutôt trop tardive, je ne lance qu'un regard froid, une tête à peine tournée de quelques millimètres ; pourquoi devrais-je te donner de mon temps ? on dirait que tu ne veux pas sortir. et, alors, des autres que celleux-là, je n'en veux pas.
je ne veux pas de toi.
je ne veux pas de toi comme je ne veux pas de la mer : il y a là des choses qu'il vaut mieux laisser à leurs places.
je ne veux pas de toi mais tu t'imposes et de ce corps il n'y a rien de beau il y a l'odeur des chimies sous tes bras et la vengeance dans tes yeux -je la vois, tu sais ? ta mère, et je ne veux rien avoir à faire avec toi ou avec elle ou avec vous ; mon temps est précieux, je dois l'utiliser à attendre.
la déclaration paraît presque forcée et elle a l'air d'une blague -un meme, comme on m'avait fait grâce de m'expliquer, ou quelque chose en rapport avec tik-tok peut-être, qu'importe ! une blague de mauvais goût, un absurde qui est sensé faire rire, une dépravation de l'humour digne de la jeunesse d'aujourd'hui. les yeux sont froids, ils disent : tu ne m'as pas parlé.
merveilleux. d'un ton monocorde, d'un sarcasme brûlant et antique, l'écho dit j'en ai rien à foutre et sa puissance est démultipliée par l'absence de son élocution. j'ai besoin d'une clope. c'est trop tôt pour ces conneries-là. le paquet est déjà dans ma main, et bientôt la cigarette décore mes doigts. le briquet fait un bruit de menace, et le papier brûle. je regarde la flamme un instant, avant de refermer sèchement le métal sur lui-même. moi, j'cherche la tranquillité de faire mon boulot normalement. ma destinée, tu vois. une pause, suivi d'une inspiration remplie de fumée. si tu veux pas sortir ... les doigts qui miment un départ imminent, immédiat, instantané. un ultime sourire serré, malhonnête, s'affiche. bon vent, dit-il. je souffle dans la même direction.

la mer montera oui, mais la pluie tombera aussi. je crois qu'elle essaie de s'enfuir. je crois qu'on est pareilles, qu'on est sœurs alors, et les sœurs ont ce lien spécial qu'elles se comprennent dans une douleur qu'elles seules connaissent : elle est différente de celles communes aux adelphes ou aux frères ; elle a cela de plus qu'elle existe depuis si longtemps qu'elle paraît ancrée dans les gouttes -mais les gouttes ne peuvent être ni ancre ni encre, alors elles se transforment en grêle, et de leurs souffrances pleuvent des couteaux de glace. cette douleur-là a cela de spéciale qu'on ne peut pas couler avec elle, ou l'écrire encore et encore ; elle est vécue, imposée plutôt, et de mes cheveux longs pendent des choses que l'on ne demande à personne d'autre.
alors nous fuyons, moi et la pluie. et, parfois, après un long voyage dans le sol dur et froid, on trouve une nappe.
et, parfois, on retourne juste à la mère.
la fumée s'échappe de ma bouche. c'est un nuage de plus. abritera-t-il mes sœurs un jour ? non. ce nuage-là est de ceux qui les tuent, mon arbre et ceux des autres. peut-être est-ce une autre manière de les sauver.
alors, à quoi je sers ? à plus que tu ne le comprendra jamais. c'est là une chose bien humaine, que d'associer tout à un but. la nature n'a pas de but. elle vit, et c'est tout.
c'est probablement pour ça que je dépéris.
ce n'est pas grave. je sers à remettre les idées droites à celleux qui font l'idiotie de me défier. mh. l'épée n'est pas sortie de son fourreau, il n'y en a pas besoin. les coups partent à une vitesse non surhumaine, mais déjà bien trop pour les gens comme toi -ceux qui ne font qu'attendre, et juger, mais qui jamais n'oseront se bouger. et pourtant, n'est-ce pas le rôle de ta mère ? tu vois : toi aussi tu la fuis.
le fourreau en bois tape à des endroits précis (derrière le genou, au-dessus de la cuisse, sur le talon d'achilles). ça suffira pour te mettre à terre. les impacts laisseront des ecchymoses. j'enlève la cigarette de ma bouche, prend une bouffée d'air frais. dis-moi, swan l'arme valse dans ma main libre, elle danse mieux que les tiennes ; je t'ai vu, dans l'arène, et je t'y ai trouvé pitoyable. as-tu déjà vu un monstre ? vu, rien que vu ! encore moins approché ou combattu, et je n'ai pas la réponse mais je m'en doute : celleux qui combattent comme toi, en faisant fi de la logique, en hurlant à l'instinct, à la violence providentielle, ne restent pas en vie. tu as tord, tu sais. ce ne sont pas les lâches qui survivent. c'est celleux qui ont de la chance, et qui savent rester humbles.
je laisse le silence un instant. la lame cachée par son enveloppe repose sur la jugulaire. si tu étais arrivé à la dernière étape des spartes, tu aurais pu me combattre. j'aurais sûrement refusé. bien d'autres auraient réussi à te battre. tu ne me vaux pas. alors, tais-toi.
tais-toi, et laisse les grand-es décider ; laisse-les, parce qu'iels savent plus, et mieux. je n'ai pas besoin de répondre mais je me sens généreuse. je tire une latte, enlève l'arme de ta proximité. si je suis encore là c'est qu'il n'y a rien de mieux. juge ton opinion, ou alors juge les tiens, plutôt que moi. je suis encore là parce que la porte c'est moi.

j'avais besoin de cet impérialisme égoïste, injustifié, pour rendre mes coups plus méchants. je le sais : lorsque je m'énerve, je commence à m'attacher. c'est là un défaut étrange, que de vouloir le meilleur pour celleux qui m'agacent de ne pas savoir mieux ; et encore pire, que de leur donner alors même que je trouve qu'iels ne le méritent pas. j'ai des hypothèses à ce sujet. aucune ne me fait plaisir, alors je les ignore.
ça a fonctionné assez longtemps, ça fonctionnera encore.
face à toi, l'agacement est évident. il râle, il souffle, il grogne, mais il reste dans son enclos, comme un taureau près à tuer son toréador. mais toi, t'as même pas de chiffon rouge, t'as même pas de quoi faire illusion, non ? t'es juste un homme. je ne mets plus de h majuscule parce que l'humanité m'ennuie plus qu'elle ne m'émerveille, et les fumées qui s'accumulent dans l'air ne me font pas croire aux jeux de lumières. je suis injuste. je le sais bien : tu es à demi divin. mais je crois, qu'au fond, c'est bien pire encore. regarde, comme ça te fait croire que tu as raison, comme tu parles avec le présent des vérités générales, avec l'aplomb de celleux qui ne questionnent rien d'elleux : comme un-e idiot-e. tu tentes le sort avec ces provocations que tu crois innocentes ; ne câline pas la lame, elle voudra sinon te retrouver.
non. c'est un refus immédiat, des plus simples, complet. irréfutable. jamais je ne me battrais contre toi. pas ce toi-là. peut-être, plus tard. quand tu aura grandi. ah ! ça veut peut-être dire : quand tu sera vieux. je ne sais pas. certain-es apprennent vite, par chez vous. mais toi ? toi tu es stupide.
toi t'es stupide et tu dis des choses qui n'ont aucun sens. toi t'es un-e menteur-euse, c'est sûr, tu dis des choses comme tu les penses mais ce n'est pas la vérité et quelque part en toi, tu sais que ça ne l'est pas. ça se voit. ça se sent. t'as des yeux qui ne veulent rien de bon au monde. tu montres tes blessures non pas par honnêteté, mais pour qu'on en soit dégoûté-es ou qu'on les vante.
moi, je n'en dirais rien.
je n'en dirais rien car quoi dire à ces gens qui parlent sans qu'on ne puisse les comprendre ? ma sœur, ma sœur, ah ! ma sœur. bien sûr. probablement. il faudra être plus précis-e. j'en ai quelques centaines. et pourtant l'épée se baisse, elle revient dans son fourreau ; et pourtant la cigarette reste en l'air, et je la tapote pour que les cendres tombent (dans l'herbe, peut-être que je veux y mettre feu pour arrêter de penser à des choses irraisonnées). j'ai arrêté de respirer un instant. il y a quelque chose dans l'air que je n'aime pas. mon sixième sens me dit : elle a été là. mais ce n'est pas possible. ce n'est pas possible alors j'ai tord.
je crois que je n'aime pas savoir que mes sœurs traînent avec des gens comme toi. c'est ironique, non ? j'ai fait bien pire déjà. tu ne veux pas savoir. c'est un fait ; et dans cette phrase miroir de toi, je justifie mes mots par l'expérience. par le savoir !
la crainte me motive à trouver des justifications.

la cigarette se consume et le temps est long. j'aurais pu espérer, un instant, que swan soit un divertissement intéressant ; hélas ! il a la stupidité des moins de trente ans, des enfants pas encore totalement debout, des pseudo-adultes qui pleurent quand il faut calculer ses impôts. si je te demande, que tu dis, d'un aplomb sans faute oh, combien j'aurais aimé avoir droit à cette hargne dans ma jeunesse ! mais ce ne sont pas des choses qu'il faut autoriser aux petit-es, pour une bien bonne raison : plus rien alors n'est à respecter.
et tu commences par moi, tu mordilles ma prestance comme si elle était faite d'un bois mangeable ; non, swan, recules, tu ne connais rien de mon essence, elle pourrait peut-être te tuer, il ne faut pas croire les arbres, les buissons, les fleurs : ils ne disent rien, laissent les humain-es se tromper, et se vengent en silence. tu crois que je ne fais rien ? la nature se bat depuis toujours.
mais qu'en saurais-tu ! au fin fond de ton appartement, le cul sur ton canapé, à ne pas lire les journaux ou à ne pas écouter la télé, tu ne sais pas. tu ne sais pas, les tsunami, les tempêtes, les feux de forêts, les canicules d'été, les blizzards, les eaux qui s'évaporent. tu ne sais pas ; ailleurs, partout, nous sommes là où tu ne le saura pas.
et dans ces pensées génocidaires, j'en oubliais les victimes d'avant. celles que je n'ai pas rejointes, pas encore revues, celles qui sont parties de la surface et de ma mémoire nébuleuse. celles que j'ai pleuré, celles pour qui j'ai souri. celles qui partagent ma sève, celles qui peuplaient mes forêts.
tu sens l'écorce. tu sens l'écorce et la terre fraîchement retournée. ce n'est pas normal. tu dis n'importe quoi, ça n'a aucun sens, et ce n'est pas normal. tu as parlé de sœur, mais qu'en connais-tu ? tu ne peux pas comprendre, alors pourquoi en parles-tu comme ça ? ah ! tu ne connais rien au vrai combat non plus, et pourtant ça ne te gêne pas pour en crier les fausses leçons partout, alors moi je doute de toi -je doute et pourtant mon esprit me dit elle est là. elle est là et je ne la vois pas. elle est là mais son visage est flou et son arbre aussi et son nom m'échappe. elle est là et je l'ai aimée, je l'aime encore, et je ne sais plus. qui ça, swan ? vas-y, donne-moi son nom, si tu le peux -si tu peux faire quelque chose en cette terre ! sois clair-e ou vas-t'en. et si tu ne le peux pas, ne me laisse pas tes soucis ; j'en ai assez déjà, parfois ils sont si nombreux que je vois flou et que je contemple les vagues en me demandant si le corps d'une nymphe flotte comme le bois abandonné.