Lorsque le tintement de la porte d'entrée se fait entendre, Quill lève la tête de son occupation - en l'occurrence, transplanter des semis d'un plateau vers une multitude de petits pots, assis par terre sur la terrasse à l'arrière de la boutique. C'est un travail méticuleux, qui l'absorbe toujours étonnamment jusqu'à ce qu'il finisse avec des courbatures partout en oubliant d'utiliser les muscles que la tâche ne sollicite pas directement. Il se déplie avec des raideurs déjà présentes ; sans doute que le nouvel arrivant l'a sauvé d'oublier de prendre un break pendant deux heures de plus.

Quand il rentre dans l'échoppe, il se dirige derrière le comptoir en essuyant ses mains sur un chiffon qui pendait de sa poche arrière. Et il sourit, content de voir un visage connu.

- Ah ! Bonjour.

Ça a des airs de soulagement, comme introduction ; il ne doit pas faire de petit laïus pour expliquer ce qu'on vend là, ni essayer de déterminer ce qu'il veut. Essayer de déterminer comment il s'appelle, ça pourrait être bien, vu qu'il passe souvent. Il s'était dit qu'il allait demander la première fois, mais il s'était perdu en explications sur les différents composants d'une bougie qu'il venait tout juste de finir et il avait complètement perdu le fil - ou la mèche, dans le cas présent. Depuis, il n'a pas osé. Ce gars-là n'a pas l'air de quelqu'un qui se satisfairait d'un rire gêné comme explication si, par hasard, il s'était présenté formellement et que Quill a complètement oublié. Il ne peut pas totalement exclure l'option.

Tout ça ne le rend pas moins détendu, même si ça reste à l'arrière de sa tête. Il jette un coup d'oeil à l'extérieur - le vrai extérieur, celui où il fait gris, avec une horrible petite bruine. Derrière lui, la porte ouverte vers le jardin laisse entrer lumière, chaleurs et bruits de grillons. Et une poule, aussi, qui l'a suivi avec curiosité.

Son sourire se fait un peu désolé.

- On a vu mieux, comme temps.

On a aussi vu mieux, comme tentative de conversation. Ce n'est pas qu'il n'a pas envie de discuter, il a toujours très envie de discuter, au contraire - c'est juste qu'il oublie un peu comment, quand il vient de passer deux heures à démêler des toutes petites racines de toutes petites plantes pour les mettre dans des tout petits pots, avec des mains pas vraiment faites pour le détail et la fragilité.

Il s'éclaircit la gorge.

- Je peux vous aider ?

Quill attend.
Et ça se voit, qu'il le laisse retomber sur ses pattes et déterminer lui-même pourquoi il est là. Il a un air de patience absolue sur le visage, plus qu'avec les clients qui hésitent - ce n'est plus de l'hésitation ici, c'est plutôt qu'il s'est égaré, peut-être même plus que d'habitude. Quill ne va quand même pas lui faire remarquer qu'il est dans une boutique, si...?

Il ne peut pas s'empêcher de sourire quand il lui propose de l'aide. C'est mignon, venant de quelqu'un qui a l'air si rigide. Il force rapidement son expression à plus de sobriété, ce n'est encore une fois quelqu'un qu'il ne veut pas vexer, il pourrait le gronder.

- On va dire que oui.

Ce n'est pas simple, de ne pas être bizarre en désignant d'un geste les nombreuses bougies en étalage ; il tient une échoppe, il n'a pas pour habitude de cacher la marchandise. Il se mordille l'intérieur de la joue comme pour se sortir de sa gêne, et puis c'est lui qui hésite.

- Mes excuses si c'est un peu, euh, direct...

Avec la pause qu'il marque, ce n'est en réalité pas du tout direct. Il n'a pas l'habitude de sortir de son cadre avec les gens qu'il ne connaît pas. Sa voix s'adoucit d'un ton, avec des airs de compassion. A l'arrière de ses pensées, il prie avec ferveur pour que ce ne soit pas déplacé.

- On dirait que vous avez eu une longue journée. Si vous voulez profiter un peu du soleil avec une tasse de thé... Il n'y a pas foule, aujourd'hui.

A nouveau, un geste - vers la porte arrière, cette fois. Avec l'espoir de détourner complètement l'attention de ces très embarrassantes bougies. Il n'en sait pas plus sur son nom en deux phrases, mais il peut voir sa peau, et il se demande si le soleil lui manque aussi, sur Nausikaa. Quill peut réguler la lumière au dessus de chez lui, mais c'est l'atmosphère parfaite pour son jardin, pas l'humidité écrasante de la Louisiane en été, ce n'est pas exactement pareil s'il n'y a pas presque de la vapeur dans l'air. Il ne peut pas présumer, évidemment, mais s'il y a une chance, il choisit de la saisir.

Quill a beau se méfier des gens, il y a quelque chose dans l'homme en face de lui qui lui donne envie de tendre la main.

Quill penche légèrement la tête sur le côté, en signe d'écoute - et de patience. Il a l'impression d'apprivoiser un hérisson, que cette apparence sans tache va se transformer à tout moment en un manteau d'épines, mais il essaie quand même de laisser le main tendue. Il est récompensé au final, et il lui offre en retour en sourire en le guidant au jardin.

- Je dois avoir de ça.

Il y a sur la terrasse, contre le mur de la maison, une cuisine extérieure, et il met quelques petites bûches dans l'espèce de barbecue de briques sur lequel il pose une bouilloire en métal après l'avoir remplie d'eau. Il laisse son invité observer. Lorsque l'homme retrouve sa voix, il a bougé vers une arche sur le côté, où pousse un jasmin lourd de fleurs qui s'épandent dans l'air chaud. Il en cueille quelques unes.

L'odeur capiteuse au creux de sa paume lui est familière aussi, surtout quand il l'agrémente de thé vert d'une boîte en métal ; c'est un choix plaisant, qui lui fait se dire qu'il avait peut-être raison sur le soleil. Lorsqu'il y pense, les nuages s'écartent doucement, pour laisser passer des rais de lumière aux contours définis, flaques de lumière dans la verdure.

Il n'a pas besoin de parler, ni de le connaître, mais il fait un effort, parce que c'est sans doute étrange, et on dirait qu'il oscille entre domesticité et respect professionnel plus vite qu'un métronome. Il lui sourit après être revenu s'appuyer contre la cuisine, cherchant à nouveau son regard. Il y a encore des petites plantes partout sur les dalles en terracotta, et il se dit que cet homme sérieux n'a pas l'air à sa place dans son désordre.

- Je sais bien qu'on ne se connaît pas, mais vous passez souvent et vous n'avez jamais l'air de chercher grand chose. Je me suis dit...

Ses doigts pianotent sur une porte en bois fixée un peu de travers sous le comptoir rudimentaire, qui cache mal des pots de fleurs vides. Il y a des réserves de pots partout ; il n'a jamais assez de pots. Il est distrait. Il y a quelqu'un dans son jardin, ça arrive, mais rarement. Ce n'est pas nécessairement négatif, il assume son invitation, il traite juste le visuel.

- Je me suis dit que ça devait vous détendre de flâner. Peut-être qu'il y a des choses familières dans la boutique - quasiment personne ne vient vraiment de Nausikaa, vous savez ?

Il rit vaguement, mal à l'aise, et la bouilloire siffle et le sauve de son brouillon de pensée qu'il ne sait pas comment exprimer sans vexer personne.

- Enfin, je m'invente des histoires sur les clients. C'est stupide, mais vous n'avez du coup pas l'air si inconnu, c'est ma conclusion.

Il penche la tête pour marquer son accord - il fait calme. Le genre de calme qui n'est pas silencieux, il est rempli de sons qu'on oublie mais qui manqueraient s'ils n'y étaient pas. Quill verse l'eau, le thé et les fleurs dans des tasses très artisanales, très bancales, résultat d'un bref intérêt pour la céramique. Après un coup d'oeil vers son invité, il s'oblige à ne pas être gêné d'utiliser sa vaisselle tordue et il lui apporte la tasse, la anse présentée en premier.

Il prend sa propre tasse avec un son pensif dans la gorge.

- Une fleur d'Aphrodite.

Le liquide plisse à la surface quand il souffle doucement dessus, les mains serrées comme si le thé les réchauffait. Il savoure juste, en réalité, les odeurs qui s'en dégagent.

- J'en ai un peu plus loin, mais ils sont plutôt simples. Si vous voulez une pousse, je peux arranger ça.

Il est terriblement bien placé pour savoir que ce n'est pas pareil, un bouquet de fleurs coupées et une plante vivante - et aussi, que les offrandes qu'il vend ont aussi leur office pour les demi-dieux eux-mêmes. Ce qui plaît à leur parent semble les apaiser, Quill a des théories sur le sujet, et la déduction coule ici de source car Satya est d'une beauté qu'il s'est appliqué à ne pas trop remarquer. Sans doute que c'est idiot, mais il lui semble que ce n'est pas de sa faute, qu'il ne veut peut-être pas attirer les regards, de la même manière que lui ne veut pas nécessairement certains effets de ses pouvoirs.

Gentiment, il lui sourit.

- Quill, c'est très bien, pas de monsieur qui tienne, Satya.

Et puis, il rit, avec moins de gêne qu'avant. Voilà donc un métier qu'il n'avait pas attendu, mais il aurait sans doute dû.

- Et, non, je ne vais pas à l'arène. C'est plus de l'entêtement que du pacifisme, ceci dit. Je devrais passer au dessus, surtout pour quand je sors de l'île, mais... Les vieilles habitudes ont la vie dure.

Quill voit Satya rougir - sans doute que son offre lui fait chaud au coeur. Il lui semble que peu de gens sur Nausikaa s'attardent sur les choses qui font du bien à l'âme, entre le combat et les affaires politiques. Lui, il a été élevé dans l'optique que les dieux, quels qu'ils soient, quels que soient les noms qu'on leur donne, ne sont là que pour l'âme, pour la nourrir et la guider ; c'est très différent que de penser qu'il faut se battre pour eux.

Il hoche la tête et prend un peu de thé, avec un coup d'oeil vers ses outils.

- Ce sera avec plaisir.

Dès qu'il aura fini sa boisson, il ira chercher quelques jets d'oeillets à mettre dans un pot. Curieusement, l'idée lui plait. Il doit bien vivre, mais quand il peut faire des cadeaux, ça lui parle beaucoup plus.

L'idée de s'entraîner arrête ses pensées un court instant, avant qu'il ne rie un peu.

- Non, non. Ce n'est vraiment pas souvent, juste une poignée de gens. On peut dire que vous êtes dans un club très fermé.

C'est une bonne manière de se donner le temps de réfléchir, se concentrer sur la question. Il a des principes, il a des entêtements. Il n'a pas voulu se battre, jamais, il a refusé d'être soldat, un rouage d'une machine qu'il déteste par principe, mais...

Il tourne la tasse entre ses doigts, nerveux.

- Je ne sors pas tellement. Parfois, je fais l'un ou l'autre marché à New York, quand j'ai du surplus. Ou une sortie.

Et il ne s'y sent pas en sécurité, c'est bien ce qui le fait hésiter. Des années d'opposition sont toutes gonflées dans son esprit, sans doute que ce serait se trahir lui-même que de prendre les armes. Sans doute, aussi, que ce serait sage.

- Mais pour tout vous dire, je serais tenté, mais aussi, gêné de m'entraîner maintenant. Je dois avoir le niveau des gamins, j'ai toujours, euh... boycotté ?

Plissant le nez d'embarras, il a le réflexe de frotter d'une main l'arrière de sa nuque.

- ... On va dire que j'étais pas l'élève le plus agréable, pour les entraîneurs de l'époque.

Quill rit à l'écoute de la question, d'un éclat franc. Il ne lui passe pas par la tête qu'il voudrait un compliment, puisqu'il l'a invité ; c'est déjà en soi une exception, même si d'autres ne le perçoivent pas forcément.

- Une bonne impression, on va dire. Vous avez l'air...

Il le considère comme si le mot correct allait s'inscrire sur son visage, lui donner un indice. Les mots qu'un visage né d'Aphrodite, ceux qui viennent en premier, ne lui conviennent pas ; il n'aimait pas juger sur le physique.

- Vous avez l'air de quelqu'un de très droit.

Pour Quill dans ses vêtements de travail en lin, avec ses multitudes de pendentifs et les liens de couleur autour de ses poignets, il y a quelque chose en Satya qui évoque définitivement la rigueur. Ils sont opposés dans leur présentation, dans l'aura qu'ils donnent, mais il choisit de lire dans cet aspect polissé une volonté de bien faire, il n'est pas exactement certain de pourquoi.

Sa proposition lui fait passer une main dans ses cheveux, un geste de gêne, justement.

- Ah, et bien...

Il se sent embarrassé par une proposition directe qui lui ferait confronter ses ddoutes, même s'il sait déjà qu'il va l'accepter. Il choisit d'expliquer d'abord.

- J'ai... juste... refusé de participer. La plupart du temps. Même pas séché, plus... m'asseoir sur place et croiser les bras. Je me suis saboté de toutes les manières que j'ai pu trouver.

Son nez se plisse, ses joues se colorent un peu.

- Disons, que... Il est arrivé qu'il y ait... des pluies torrentielles qui rendent l'arène inutilisable...? Et que, euh... Une arme ou l'autre fasse paratonnerre...?

Le pouce de sa main qui tient la tasse frotte contre la céramique nerveusement, et il rit.

- Mais si vous vouliez bien m'aider maintenant, si c'est sérieux, je n'ai plus quatorze ans, je vous promets !