il y a quelque chose d'insolite à retourner sur le champ de bataille après la guerre : les corps sont déjà ramassés, les morts sont pleurés, bientôt regrettés. ceux qui sont morts pour de bon, bien sûr.
seraph est venu seul puisqu'il a déjà triomphé une première fois, conquis ce territoire hostile dont toute violence a disparu. ne reste à contempler qu'une terre désolée, sur laquelle on devine qu'il y a autrefois eu la vie, le sang, les cris, la foule. il y cherche les derniers vestiges d'honneur et de droiture ; le sang sparte versé là, par goût belligène du sacrifice.

sohel, te voilà, c'est une salutation particulièrement expressive - seraph ne s'embarrasse d'habitude que du prénom. ainsi, il exprime quelque part la satisfaction de l'avoir retrouvé. sur son visage, un léger sourire qui, sans être soulagé, apparaît réjoui de constater son loyal acolyte en un morceau. fidèle à lui-même et donc indéfectible, sohel ne déçoit pas. quelle plus grande fierté sinon que de mourir à la guerre, pour revenir sanctifié de cette élévation, de ce sacrifice ? en ce visage familier qui a presque vu les enfers, seraph reconnait ses espérances d'ascension les plus lointaines.
sa voix se veut tranquille, légère : je suis venu te chercher. comment te sens-tu ? il demande par politesse, une politesse qui cherche à faire de la désinvolture une performance. c'est qu'il pense à réprimer la question, celle qui démange, agace, torture l'esprit. mais à quoi bon ? il doit savoir. est-ce qu'il t'a parlé ? et la retenue dont se parent ses mots ne suffit pas à dissimuler la curiosité fébrile, déférente du croyant.

la tape sur l'épaule de sohel est une formalité pour seraph. il se dit que son fidèle demi-frère n'a pas l'air bien sonné et qu'il ne lit sur son visage aucune sidération ; rien qu'une résilience à toute épreuve. cela le satisfait. il répond donc sur le ton de la conversation, avec la simplicité que l'on accorde d'ordinaire aux sujets banals et impersonnels : oui, plutôt. tu as l'air en forme, toi aussi, pour quelqu'un qui revient des enfers, surtout. il apprécie de ne pas l'entendre se lamenter, y retrouve la dignité qu'il compte poursuivre face à sa propre mort.

s'il ne se réjouit pas de ce que lui présage le sourire de sohel, seraph l'ignore superbement pour n'y réagir que par le plus grand sérieux - la désinvolture instantanément mise en échec par le mystère de sa réponse. il ravale une question traître (parce que tu penses qu'il viendrait te rendre visite si tu n'étais pas mort ?) qu'il ne considère pas digne de lui. à la place, un haussement de sourcils, un constat sobre : la revanche est une belle philosophie s'il s'agit de le rendre fier.
la fierté du père n'est-elle pas leur plus grand objet de convoitise ? seraph sait qu'il la poursuit comme il brûle d'effleurer le divin. ainsi il a du mal à apprécier l'appréhension du message que sohel ne lui dévoile pas tout de suite ; son visage s'est débarrassé de sa façade implacable pour afficher une moue vaguement préoccupée. dis-moi, c'est un ordre, et tout le monde sait que seraph n'aime pas qu'on le fasse répéter.

l'insolence de sohel, dans son avertissement, fait comprendre à seraph qu'il se réjouira difficilement de la nouvelle. il n'apprécie pas non plus cette proximité avec laquelle il le nomme, papa ; seraph n'appelait même pas sa propre mère maman, pourtant mortelle et faillible, alors c'est là une familiarité toute affectueuse et humaine qui lui semble de mauvais goût lorsqu'il s'agit du divin. il a croisé les bras, le regard posé sur ce demi-frère qui cherche encore à le faire attendre pour mieux l'écorcher.

la sentence tombe : c'est un coup porté au coeur. seraph retourne les mots, se prépare à les digérer. il lui faut rester digne. mieux que ça, tu dis, et l'on sent, dans cette répétition songeuse du verdict assassin, qu'il refuse de céder à la provocation. ce n'est pas le bouillonnement de son sang qui l'ancre à son ascendance, mais bien son besoin d'accomplir sa destinée et de mourir noble, fier et droit sur le champ de bataille. il brûle de vaincre - et se rend à peine compte qu'ares appuie là où ça fait mal, et qu'il n'est lui-même qu'une progéniture qu'on pousse à la violence !
sohel veut savoir quels sont ses manquements, et cela agace l'ego de seraph, qui lui renvoie cette fois un regard grave. j'ai vaincu l'hydre, mais il s'est enfui. la prochaine fois, je le tuerai, la promesse est énoncée dans un grondement avide et sourd. alors qu'il me regarde bien.

seraph a posé la main sur la nuque de sohel. sa poigne est ferme, un peu trop peut-être, afin de combler la distance. il lui murmure : je ne t'en veux pas, mon frère. mais prends garde à ne pas me regarder de haut. il ne t'a rendu visite que parce que toi, tu es mort, là où moi, j'ai survécu. contenue, sa brutalité ne brillera que sous le regard de son père.

puisqu'il est assez proche pour sonder son visage dans ses moindres nuances, seraph constate que sohel a compris - il voit aussi qu'il s'autorise l'insolence mais décide de gracieusement l'ignorer. s'il avait lui-même eu l'honneur de recevoir les louanges paternelles, ne se serait-il pas pavané ? ainsi il sait accorder son indulgence ; si cette dernière se pare de condescendance, seraph préfère se considérer magnanime.
il ne veut pas corriger sohel au sujet de sa témérité : c'est là une vertu qui a fait ses preuves jusqu'à s'imposer comme constante dans leur collaboration de presque dix ans. à ce demi-frère combattif même rescapé des enfers, seraph accorde encore sa confiance.

il s'imagine la promesse, celle selon laquelle il exécuteront leurs ennemis de concert. c'est beau, peut-être trop beau pour être vrai, mais puisqu'il faut bien croire, j'attendrai le jour où tu ramèneras la tête du minotaure. il le dit néanmoins en espérant faire mieux. s'il y a quelqu'un capable d'admirer ce sang monstrueux répandu sur ses mains ; s'il y a quelqu'un de destiné à briller sous le regard paternel ; ce doit être lui ! lui et personne d'autre. il faudrait alors qu'il tranche les têtes le premier. je prends ton défi au sérieux. ce sont là les racines d'une rivalité qui a sa place chez les spartes.

un sourire s'est invité sur les lèvres de seraph, un sourire approbateur auquel on trouve quelque chose de carnassier - c'est qu'il brûle déjà d'en découdre. peut-être trouvera-t-il aussi un prétexte à abîmer sohel, rien qu'un peu, en injuste revanche du message qu'il a pris tant plaisir à lui délivrer. je me réjouis de te voir de retour, mon frère. la fermeté de sa poigne, lorsqu'il lui tapote l'épaule, traduit un certain engouement. on rentre.