Camille Camille Camille, ça sait tout de Camille et ça aime Camille en créature, griffes et crocs et pelage brun—un jour, Camille goûtera le sang de son prochain, un jour, Camille boira le vin charnel qui s’offre aux enfants du Christ. Ça sait reconnaître les prédateurs derrière des yeux clairs ourlés de cils en éventail, ça sait lire dans les lèvres molles et les joues roses l’appel du meurtre, de la terre, du limon créateur de la chair : le monde demande un sacrifice, mais il n’est pas l’heure, pas encore l’heure, pas tout de suite.
Ça a traqué Camille à travers les forêts qui forment autour d’elles des cathédrales, que ça nourrit de prières et de psaumes égrenés comme un chapelet au long des courses effrénées dans la ligne du Soleil. Du soir au point du jour, c’est une chasse primitive et belle, d’un animal à un autre, c’est une liturgie qui s’offre sur l’autel du matin sans saigner d’agneau mystique.

Puis, tu as tout gâché.

Mahaut assiste à la métamorphose de la Créature qui s’habille d’une peau humaine avec le dégoût d’une Sainte qui voit la nature parfaite se plier à la bassesse des Hommes. Elle sort de l’ombre d’un chêne centenaire qui abritait son corps éternel et juvénile ; la lumière lunaire dessine sur son visage un triangle clair, ode à la sagesse archaïque des Vierges. Elle m’appellera, si elle a besoin de moi.
L’humus s’enfonce sous ses pas, la marche vers Camille est lente, comme une procession qui se dessine entre les arbres comme une fresque religieuse peinte a secco sur les murs d’une église. Sous la découpe indigo des feuilles qui prendront bientôt le brun de l’automne, ses yeux ne brillent pas, gardent le gris torve des proies—c’est une illusion de carnivore. Le blanc de la Lune dessine un cerne dans le blanc de ses yeux et, dans son faisceau, Mahaut voit la découpe du visage de Camille, tracé au silex dans le noir de la nuit. Je ne joue pas, jamais.

D’un coup, j’ai bondi pour dévorer l’espace qui me sépare d’elle car je veux sentir dans mes mains sa peau, sa chair, son cou ; j’ai posé ma main stigmatisée sur sa joue pour forcer son regard dans le mien, et je veux brûler, brûler, dans le feu de ses yeux.

Pourquoi tu cours, Camille ?