1414 C'est une fille de la guerre, de ces guerres qui durent cent ans et qui existent toujours en fond sonore.
Ça a reçu de sa mère, la première, l'amour des belles guerres : celles que l'on gagne. Athéna trouve, dans les entrailles d'un royaume endeuillé qu'on ne nommait pas encore la France, un Amour d'un temps, avec une femme lettrée et pieuse qu'on avait mariée pour faire alliance.
La fille qui naît est belle, de cette beauté médiévale qui ne se traduit plus maintenant, au grand front où dort la foi et à la peau claire des enfants purs qui ne souffrent pas du travail.
Mahaut est reconnue par sa mère divine : elle est sa digne enfant. Elle est reconnue aussi par un père noble qui ne tarde pas à disparaître dans les méandres d'une bataille historique qu'on chante encore aujourd'hui.

1429 Les jeunes filles nobles de son temps grandissent dans les lettres, la chasse et la prière, loin des malheurs de la guerre, qui n'est qu'une présence lointaine.
À quinze ans, dans l'enfer de l'invasion, elle rencontre la Pucelle : en fille d'un père emprisonné par les Anglais, elle la rejoint ; se saisit d'une épée, porte son étendard et se promet compagne vierge.
Et c'est l'amour, l'amour le plus grand que peuvent vivre les jeunes filles ! L'amour de Dieu et du combat.

1431 Et j’ai vu, quand ils ont brûlé Jeanne dans le grand brasier infernal, et j'ai pleuré, oh, comme j'ai pleuré !
Jeanne est morte et Mahaut condamnée au couvent : elle aime la dévotion des sœurs et partage l'amour du Christ, passe ses journées en prière—mais elle sait, oh, elle sait ! que le vin n'a pas vraiment le goût du sang. Sous les vitraux des chapelles, elle crie, pleure, implore et Dieu est muet.
La Chasse passe cette année-là par les immenses forêts de France qui, malgré le sang, malgré le fer, malgré la mort, regorgent d'un gibier laissé libre par les hommes affairés à se chasser entre eux au nom de frontières et de royaumes qui ne veulent rien dire. Les chiens aboient, les marguerites s'écrasent sous les pas du cortège, et Mahaut rejoint Artémis comme elle avait rejoint Jeanne ; se saisit d'une lance, porte son étendard et se promet compagne vierge.
Et c'est l'amour, l'amour le plus grand que peuvent vivre les jeunes filles ! L'amour de la Déesse et de la chasse.

des siècles en désordre Les années défilent sans linéarité. La Terre est une sphère qui s'enjambe d'un pas. La chasse est un simulacre de la violence qui l'assoiffe sans l'abreuver car il manque le chant du bronze qui embrasse le bronze et le sang versé des impies ; la vie est sans douleur, sans pénitence, et toutes les forêts ressemblent à l’Éden (elle a écrasé, une fois, de son talon, la tête d'un serpent).
Il y a la paix, la guerre, les révolutions, les têtes tranchées, les rois juvéniles, la guerre encore, charnier sur charnier dans les grands champs à la terre vierge ou dans les barricades ; ça sent le sang, l'humus, le métal, la poudre et la chair, et parfois, rien. Elle ne peut que les voir de loin.
Ça court les forêts à l'affût du levant : grâce à Dieu, le matin vient toujours.

Le temps est long.

1980 Elle s'arrête de courir après le Soleil et la Lune qui ne dévient jamais de leur axe. Les siècles se couchent comme le jour et la vie sur le Golgotha.
L'île est une prison à peine plus petite que le monde. Elle y reste, c'est son tombeau. L'ennui n'est rien, elle est patiente : dans trois jours (trois semaines trois mois trois ans trois siècles) viendra sa résurrection.

2013 Trente-trois ans après son arrivée à Nausikaa, elle rencontre Seraph et voit en lui toutes les promesses de la Guerre.
Trente-trois ans, ce n'est jamais anodin.

2016 (tw scarification) Artémis lui refuse de rejoindre ces demi-divinité-e-s qui croient connaître la bataille sans avoir vécu sa violence ; alors Mahaut se mutile pour rejoindre son Christ en gloire.
Face à Artémis, pour montrer ma dolence, j'ai pris mon couteau ; j'ai vu mes yeux une seconde en miroir dans le plat de la lame, puis j'ai transpercé ma paume de la pointe bien affûtée, jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'elle ressorte par le dos de ma main. À droite, d'abord, et puis à gauche, les stigmates de notre Seigneur, amen. J'ai voulu crier, mais je ne l'ai pas fait : j'ai donné à la terre le sang versé, je m'en souviens, c'était dans le désert.

Artémis a dit fais comme tu veux, et elle a rejoint les Spartes.

2023 Et si je meurs aujourd'hui, je serai sanctifiée. Je ne le mérite pas encore.

Crucifiez-moi !