Du silence, enfin.
Juste des livres, des pages, des mots l'emmenant ailleurs. Si Ellair n'est pas aux bains ou en train de se battre, c'est ici qu'il erre. Nombreux sont les livres qu'il a déjà lu, et avec le temps le choix se fait pour lui de plus en plus dur. Comment faire mieux que les classiques qu'il affectionne ?
Et pourtant, c'est déjà plus de trois livres qui occupent ses mains.
Ses yeux vont de titres en titres, et parfois, se posent sur un quatrième de couverture, parfois sur les autres usagers de la bibliothèque, ceux de l'autre coté de l'étagère, priant pour ne pas devoir interagir.
Sauf ici.
Ce visage, entre les livres, Ellair le reconnait.

C'est lui.
C'est le visage qu'il n'arrive pas à oublier. Celui qui revient le hanter dans ses rêves alors qu'éveiller, c'est celui qui l'évite et qui ne se tourne jamais vers le sien. Avec lui, ce sont les souvenirs au terrain d'entrainement qui remontent, la douleur de ses flèches, la douceur de ses lèvres aussi.
Yeux dans les yeux, les secondes se sont envolées.
Ce n'est que quand Satya se détourne de lui et part qu'Ellair se reprend. Les livres qu'il avait amassé jusqu'ici, il les lâche, les laisse tomber au sol pour poursuivre le fils d'Aphrodite.

- Satya !!

Le nom résonne dans la bibliothèque.
Ellair doit accélérer le pas pour tenir son rythme et continuer de le suivre à travers les rayons. Ah, il ne voit que son dos, c'est tout ce qu'il voit depuis leurs derniers échanges !

- Satya, attend !

Des appels au silence depuis l'acceuil,  à leur égard.
Ellair grimace légèrement et s'empresse, pour attraper le poigner de son ami. Il s'arrête, la  poigne fermement agrippée pour stopper sa fuite.

- Pourquoi tu me fuis encore !? Explique moi !

C'est une impression désagréable de déjà vu...
Cette fois, il chuchote, conscient d'être dans un lieu d'étude et de lecture.
La frustration n'en est pas moins réelle, elle gronde à travers ses murmures, mais jamais ses yeux ne se détournent de lui. Ils attendent tristement son regard, s'il daigne enfin le lui accorder.

Quel soulagement de retrouver la colère dans les yeux de Satya. Les siens y répondent naturellement, le confronte en retour, dressé devant lui, sans relâcher sa prise en réponse à son courroux silencieux.
Puis, quand il les soustrait au regard des usagers de la bibliothèque dans la précipitation, les invitent dans cet espace étroit, Ellair se laisse faire gronder. C'est avidement qu'il accueille ses reproches, incapable de détourner le regard. Il accueillerait à bras ouverts toutes ses insultes après son silence tant qu'il lui adresse encore la parole, tant qu'il peut les écouter comme s'il les lui chantait, contre le mur, leur cabinet, leur petit univers de fortune.

- Non, je n'ai pas oublié que tu m'as laissé saigner par terre !

Un peu de colère en retour de celle de Satya, grondée rien qu'au souvenir de ces blessures qui lui avaient fait plus mal que les autres, sans être plus ou moins importantes que les précédentes. C'est sa fuite qui avait porté le coup fatal.
De là, il comprit le courroux de Satya envers lui, cette fois là où il a battu en retraite.
Dans la confusion, Ellair est rentré chez lui. Par habitude, il a refusé de se soigner -chez qui irait il se soigner de toute façon ?-. Alors maintenant il reste encore les marques de cette soirée sur sa peau, comme si hanter son esprit ne suffisait déjà pas.

- Tu racontais n'importe quoi !

Ellair n'avait rien compris. Il n'y avait rien qui n'allait pas chez Satya, il ne comprenait pas pourquoi il lui compliquait la tâche, et puis, oui, il s'en souvient très bien, trop même, de la suite.
Un léger soupir pour introduire le silence qui suit, pendant que la boule au ventre joue lutte avec son courage.

- Je n'ai rien oublié.

Le ton est plus calme. Ce n'est pas l'audace à laquelle il s'attendait de sa part, juste un aveu au regard planté dans celui de son ami d'enfance tandis qu'il se rappelle de cette soirée, du gout fugace de ses lèvres et de l'ambiance des bains.
Et par lâcheté, il abandonne ses questionnements et ses dilemmes. Tant pis si les mains sont moites et que ça tambourine fort derrière la cage thoracique, l'olympien prendra peur après s'il le faut. Cecil lui disait que ses intuitions sont toujours vraies, alors le molosse n'a qu'à lui faire confiance et chouiner après s'il avait tort, se reclure dans la violence pour épuiser l'embarras, comme un vrai Sparte.
Il s'écarte de son mur pour s'avancer vers Satya, l'obliger lui à se retrouver dos à la porte.

- Refais le.

Encore une fois il fuit les mots, ils lui font peur.
Mais cette fois, il se laisse tenter.

Mérité quoi, d'être tourmenté pendant un mois ? Pour une raison que Satya se gardait de lui dire, de sentiments devant lesquels les deux fermaient les yeux de toutes leurs forces ? Passer un mois à chercher sa silhouette près de l'arène sans la trouver, sans réponses à ses messages et surtout, un déni qui fatigue à taire les "et si?".

Son col pris au piège sonne comme un échec. Le souffle retenu, il attend les menaces sourcils froncés, les vicieuses moqueries aussi. Ellair l'aurait laissé faire sans vriller, car il aurait raison de se moquer de lui et de lui rappeler qu'il est bête d'avoir seulement imaginé parcourir la peau d'un vieil ami du bout des doigts ou de mériter ses lèvres. Que cela ne le sied pas, et qu'à choisir, plutôt un homme que le chien de Cecil Warren.
Mais le coup ne vient pas, les insultes non plus.
Satya provoque uniquement un rapprochement plus marqué, qui le force à nouveau à retenir son souffle et à prendre conscience de leur proximité.

Toi, refais le.
L'horreur. Satya n'a pas besoin de le traiter de lâche, le voilà de nouveau dos contre au mur, l'instinct lui soufflant de fuir à nouveau. L'imaginer invite le rouge à son visage prestement, l'embarras invite la grimace à son tour, crispe son corps entier alors que la tâche lui serait facile, à cette distance.

- C'est ce que dirait un lâche.

Satya l'a déjà fait ! Pourquoi pas une seconde fois ?
Ellair l'a déjà fait, mais aujourd'hui cela semble trop compliqué.
Aucun mot ne vient pour combler le silence qui le gêne, d'ailleurs il finit par tendre l'oreille ; pas un son. Il n'y a vraiment qu'eux, Satya, Ellair et son corps figé, le coeur au bord de l'implosion.
Il a mal de s'imaginer des tendresses qui seront retournées contre lui, d'être pointé du doigt pour avoir été faible pour un garçon, celui avec qui il a grandi, même s'il n'y a rien de mal à cela.

Tant pis.
S'il devait mourir de honte, ce sera dans un cagibi. Et si Satya devait rire de lui, Ellair n'aurait même pas la force de le tuer sur place, oh non.
Alors il inspire, presque en colère -c'est l'angoisse-; c'est comme un pansement, il faut le retirer vite, passer à autre chose. Le laisser lui faire si mal qu'il ne voudrait plus de Satya dans son esprit. Ses yeux se baissent pour ne pas y lire la malice qu'il y imagine et se concentre sur l'objet de sa tourmente et de sa demande.
S'infliger tout ce qui lui fait peur une fois pour toute, et lever la main à son visage. Finalement oser venir caresser sa joue du bout des doigts et éliminer le peur de distance qu'il restait à franchir pour venir chercher ses lèvres.

Oh, le rouge le conquérit entièrement à sa remarque : Ellair offusqué qu'après ce courage, celui des lâches à l'abris des regards, Satya le provoque ainsi. Il montre les crocs, souffle le début d'une réplique. Elle mourra dans un souffle entre deux baisés.

La lutte est à l'avantage de Satya, qui manque de faire trébucher l'ancien Sparte sur un balais suite aux avances -ces outils tomberont contre le mur à son passage maladroit-, alors qu'il accusait la charge passionnée d'un léger recul.
Il y a trop à goûter, trop à sentir, trop à écouter, trop à voir mais Ellair a déjà fermé les yeux. Les soupirs de Satya lui coupent le souffle, se mêle aux tambours du sang qui pulse a travers son corps. Ce dernier cède, répond à l'autre qui l'assaille; la main venue cueillir timidement le visage aux traits délicats réaffirme sa prise. Puis, elle glisse de sa joue à ses cheveux, où ses doigts les enserrent et vient faire reculer la tête juste assez pour cesser ses assauts.
Ce ne sont que quelques malheureux millimètres qui les séparent, venus refuser à Satya ses baisés pendant de longues secondes.

- Ah, t'es jamais satisfait...

C'est comme à la crique. Ni  l'un ni l'autre ne veut plier le genoux en premier, qu'ils se dévorent du regard où qu'ils s'écorchent la peau de leurs armes.
Et puis, c'est sa faute.
Il est parti, la dernière fois. C'est peut-être aussi la faute d'Aphrodite, parce qu'il ne peut pas détourner son regard de lui, n'a jamais pu, encore maintenant il profite de cette pause pour enfin oser admirer ses cils, ses yeux, ses lèvres,...

- Je ne te laisserai pas t'enfuir cette fois.

Il y a des années des désirs enfouis à rattraper, des kilomètres à parcourir du bout des doigts à la poigne avide sur la peau qu'il lui présente pou rattraper ce temps perdu à deux. Ellair entamera ce parcours en reprenant la main dans cette lutte secrète, ramenant son ami dos à la porte sans plus aucune timidité -Satya s'est prouvé mainte fois capable de lui tenir tête-. Il vient l'embrasser, cette fois conquérant, libérant ses cheveux pour venir chercher ses hanches et s'en saisir. Il veut voler son souffle et toutes les remarques mordantes avec. D'ailleurs, s'il entend une seule autre insulte, il se complairait bien à le mordre.