l’ouïe totalement parasitée par les bruits numériques, à travers son casque il n’entend pas grand chose. à vrai dire, comme les sourds, il ressent plutôt les vibrations autour. parce que chez lui, c’est trop mal isolé. quand la porte d’entrée claque, on dirait que les murs vont s'effondrer. quand sa mère marche dans le couloir, le parquet vibre et grince. et quand il pleut fort, le verre tremble. même que parfois, il y a des oiseaux qui s’écrasent contre les vitres. en fait, il ne s'inquiète pas des fortes vibrations et des bruits un peu sourd.
ce qui l’alarme, c’est l’odeur de la pluie. ce qui le fait frissonner, c’est le courant d’air froid qui lui parcourt tout le corps. ce qui pourrait le paralyser, c’est le ressenti d’une présence dans sa chambre.

doucement (prudent), il se retourne, pivotant sur sa chaise, retirant son casque des oreilles. c’est toujours là que le monde devient bruyant, que les gouttes frappent le béton, la puanteur humide, la circulation en bas qui fait écho jusqu’ici, la lumière trop blanche d’un soleil derrière les grands nuages gris. et surtout, une silhouette gigantesque, trempée de la tête au pied, souillant son tapis d’eau pollué. d’abord tétanisé, yong-nam n’ose pas cligner des yeux. la bouche béante, incapable d’hurler, ni même de respirer.

puis c’est sans doute un coup d’adrénaline qui finit par le réveiller - grosse inspiration, il se redresse vite (maladroitement, s'emmêlent presque dans le câble de son casque), et il attrape le premier objet coupant à proximité sur son bureau  (un petit cutter, lui même sait que ça ne ferait rien face à carrure pareille). puis, sourire tordu de nervosité, il réussit enfin à cracher des mots : “t’es qui ? tu veux quoi ?”
parce que dans ses souvenirs, il connaît un ange, mais ce n’est pas toi. celui qu'il connaît n'est pas aussi grand, pas aussi intimidant - ça fait même si longtemps qu'il s'en demande si cet ange était réel.

et plus tu t’approche, plus il sent ses poils s’hérisser, les dents se serrent et la poigne se fait si forte autour de son petit cutter que ses propres ongles ont commencé à s'imprégner dans sa peau. ses écrans derrière grésillent, les lumières clignotent sans rythme et le son à travers le casque devient statique - il ne sait pas trop ce qu’il risque d’exploser en premier - dans sa terreur, il se sent totalement perdu.
il ne sait pas agir assez vite, assez intelligemment ou assez brutalement. en fait, il ne sait même pas s’il devrait se défendre ou se laisser tuer - parce que quelque part, il s’est presque dit enfin ! enfin je vais pouvoir mourir sans en avoir la responsabilité.

la lame toujours pointée vers toi d’une agressivité lâche, le geste est en miroir des tiens sans jamais attaquer. alors c’est avec un fond de perplexité qu’il t’observe t’accroupir (parce qu’il se préparait à un premier coup de l’ennemi). il reste sur ses gardes mais prend tout de même le temps d’assimiler ton discours.
c’est vrai que tu n’as pas l’air de vouloir du mal. et c’est vrai aussi que le temps s’est écoulé depuis… depuis quand exactement ? tu as changé, il a grandi. mais tu es toujours Ange. et est-ce que lui est toujours le même ?
c’était il y a longtemps la dernière fois qu’un ange s’était retrouvé à cette même fenêtre. il y a si longtemps que finalement, la silhouette en est même devenue flou.
tu es toujours Ange.
“... ange, le même ange- mon ange ?” l’ange qu’on pensait presque amie imaginaire. mais un ange imaginaire que l'on pouvait sentir sous les phalanges, qui répondait aux bonjours et bonne nuits depuis sa fenêtre.

“mais-” c’est totalement injuste “ça fait plus de dix ans-” même plus exactement “treize ans !” et rare mais pas inévitable, la voix s’est légèrement levée “pourquoi t’es jamais venu me chercher ?” capricieux des abandons “je croyais- t’existais même pas” parce que c’était plus simple à accepter. “c’est pas juste.” car rien n'est juste à ses yeux.
dans sa colère, il s’est retourné un instant, ressentant un milliard d’émotions - il avait envie de t’en vouloir, de te détester, de ne plus croire à son ange. mais il se sent presque soulagé, content que tu sois finalement venu après tant d’années.

et après quelques secondes de silence, il revient, s'agenouille à son tour pour être au même niveau que toi “... je préfère angel. mais je crois ça ne me dérange pas si toi tu m’appelle yong-nam.” la voix de nouveau plus basse, naturellement monotone “je sais pas encore si je te pardonne.” la colère est pour le moment trop grande “mais je mens si je dis que ça m'intéresse pas de savoir où t’étais.”
raconte moi des histoires.