L'odeur s'était intensifiée - tellement forte, tellement puissante, tellement envahissante que Duke avait tourné autour de la bâtisse comme un rat piégé, à l'extérieur du monde qu'il était censé pénétrer. Les monstres ne sont pas les bienvenues dans les hopitaux et Duke se doit d'être patient. Le sang lui monte à la tête et ses jambes flagèlent nerveusement, jusqu'à se raidir. Dans son accoutrement, il n'étonne personne. Les rues de New York n'échappe pas à la misère, et Duke se fond dans le décor d'un parvis pollué par les cadavres ambulants de déchets humains, et par les corps inanimés de ceux qui sont piqués à la recherche de vitalité, jusqu'à trouver la mort.

Personne ne fait rien.
Pas même Duke - qui ne pense qu'à cette fragrance entêtante qui l'a conduit ici.

Bellamy.
Duke se sait certain sans vraiment pouvoir l'être. Cela ne peut être que lui. C'est son parfum, sa folie. Il n'y a que le fils de Dionysos pour sentir aussi bon et pour l'appeler, au travers de ses miasmes délicieux, aux portes de leur petit paradis.

La faim rend l'Hydre agressive. Duke déambule dans la zone, à la recherche d'une solution toute faite à ses problèmes. Lorsqu'il tourne à l'angle d'une ruelle, ses lèvres glorifiées de rouge délavé s'étire en un sourire dément. Il s'approche du conducteur de taxi et l'enferme dans une illusion si réaliste que ça le fait hurler, et l'homme décampe en remontant l'avenue, abandonnant son véhicule derrière lui.

Duke se glisse sur le siège conducteur. Les clés sur le contact, il démarre la voiture et commence à faire le tour du quartier, guettant les mouvements aléatoires de Bellamy, dont le parfum demeure dénaturée par un mélange âcre de bétadine et d'éther.

Duke s'arrête sur la voie réservée aux taxis. Il chasse violemment la vieille qui l'appelle, et manque d'écraser son petit caniche sous ses roues en reculant. Pile au moment où Bellamy sort par les grandes portes.

Par ici mon ami !

Mais ce n'est pas Bellamy.
Etrange - Duke le scrute dans le rétroviseur et lui étire un sourire. Sans attendre de permission, il appuie sur la pédale de l'accélérateur et conduit.

Et conduit.
Et conduit.

Mais jusqu'où ?
Duke est frustré. Ce n'est pas Bellamy sur la banquette arrière et pourtant l'odeur reste délicieuse. Elle se répand dans tout le véhicule, à un point tel qu'elle rend Duke nauséeux. Il pourrait en vomir sur ses propres genoux tellement ce demi-dieu sent divinement bon et qu'il lui donne l'eau à la bouche.

Le faux Bellamy s'agite. Il a reconnu la mauvaise direction et la destination qui s'avérerait peut-être bien finale pour lui. Pas Montaux, pas Nausikaa mais bien Brooklyn, à l'orée d'un bâtiment industriel dans lequel Duke pourrait bien lui faire cracher sa véritable identité - et un avertissement pour son cher frère qu'il rêve d'étreindre et d'étrangler.

Toujours en roulant, sans regarder devant lui, Duke passe un bras sur son dossier et se retourne.

Tu l'as dit bouffi ! Je crois que j'ai perdu l'adresse exacte ! Et si tu me faisais confiance ?

Il sourit et dévoile ses dents jaunis par la clope et la drogue. Duke a encore des traces de maquillage à moitié effacé sur le visage. Il n'a pas eu le temps de se faire beau pour son chéri.

Tu n'es pas celui que je veux mais tu feras l'affaire.

Il appuie sur un bouton qui verrouille toutes les portières.

Toi et moi on est parti pour une loooongue aventure.

Il ne sait pas d'où ça vient mais il a retrouvé son appétit.

Parce que le piaillement du fils de Dionysos le stresse, ou sûrement un peu par arrogance ; Duke appuie sur des boutons au hasard dans l'espoir de déclencher l'auto-radio de la voiture. Les rétroviseurs extérieurs se ferment et se rouvrent ; les essuies-glace se mettent à laver le par-brise ; la musique se lance enfin, diffusant une douce mélodie, celle qu'on entend généralement dans les maisons de retraite pour apaiser les personnes âgées - ou dans les chambres en soins palliatifs pour donner envie de mourir plus vite. Duke laisse échapper un rire sordide.

Une rançon ? Pour quoi faire ?

L'Hydre n'a que faire de l'argent. Déjà à la vieille époque, les villageois ne pouvaient troquer leurs moutons contre quelques drachmes. Il n'y a toujours eu que la chair fraiche et le feu dévastateur pour apaiser sa colère et soulager son appétit. Duke n'a que ça à l'esprit.

Il donne un coup violent dans le volant et la voiture dérape sur le bitume, traverse un grillage et fonce vers un bâtiment isolé, soulevant la poussière terreuse à chaque crissement de pneus. Et quand il freine, c'est au milieu d'un terrain vague, face à une bâtisse en métal.

Il se retourne une énième fois, un peu décoiffé par le trajet.

Je n'ai pas prévu de t'échanger contre quoi que ce soit.

Duke place ses deux mains sur le volant.
À cet instant il pense ;
ça serait marrant de mourir encore une fois
De mourir pour de bon ! Mais ce n'est pas un prix assez élevé pour sa sentence.

C'est un voyage sans retour !

Il active le pouvoir qu'il maitrise le mieux. L'illusion leur fait croire (à tous les deux) que la voiture a foncé dans le mur.
Mais son pied sur l'accélérateur, le taxi démarre et s'écrase, déclenchant l'airbag avant. La ceinture de Precieux l'empêche de se percuter dans le parbrise et le retient, marquant sa peau et secouant son cerveau. Les deux sont sonnés mais un seul seulement est immortel, bon sang !

Le choc n'est pas suffisant pour mettre Duke hors état de nuire. Le levier de vitesse a perforé son estomac mais son pouvoir de régénération s'occupe déjà d'essayer de le soigner. Il geint de douleur, preuve ultime du fait qu'il est en vie. Les portières déverrouillées par sécurité, Precieux en profite pour s'échapper. Quand Duke ouvre les yeux, le paysage est nébuleux et ses sensations inexistantes. Il glousse d'un rire hystérique, tire sur le levier pour l'extraire de son abdomen.

REVIENS ICI BELLAMY !

Il hurle à s'en déchirer la voix. Ouvre la portière et se libère en vitesse. Il manque de trébucher lorsque ses pieds s'enfoncent dans la boue. Mais ça ne dure qu'un temps.

Precieux court déjà à en perdre haleine. Duke se redresse, ses plaies ont disparu et son appétit le rend plus rapide et furieux. Il ne tarde pas à le rattraper. Se jette à ses pieds pour le faire tomber. Precieux s'écrase la tête la première contre le grillage, et Duke plante ses ongles dans ses chevilles. Aveuglé par la folie qui se dégage de lui comme elle se dégageait de lui la dernière fois qu'ils se sont affrontés - Duke ne retient pas ses coups et affirme ses goûts. Il va le dévorer.

Et pour relever sa saveur, il l'écrase de tout son poids et lui mord l'épaule, appuie sur sa tête pour l'enfoncer dans le stupre et la mélasse.

Je suis ta fin. Et ce n'est que le début...

Arrive-t-il à marmonner à son oreille, la gueule imbibée de son sa chair et de son ichor.

Et soudain -
le vacarme dans sa tête s'éteint. Il avait suffit d'un interrupteur pour provoquer le déclic. C'est un autre genre de folie qui se joue de lui. Duke a la clairvoyance des sains d'esprit. Il se redresse, les doigts toujours marqués dans la peau de Precieux, aussi ferme qu'une céramique poreuse qu'on taillerait à la main. Duke devient le sculpteur ; ses yeux voient pour la première fois. Ce n'est pas Bellamy, c'est un autre rejeton du Dieu qu'il a toujours envié.

Sous son corps, la dépouille encore vigoureuse de Precieux s'agite faiblement. Le goût du sang s'imprègne du palais de l'Hydre et accentue sa malacie. Il recrache les résidus de chair par terre, quand bien même certains morceaux se sont coincés entre ses dents. Il racle ses molaires du fond et les fait grincer. Duke entrevoit la réalité et s'en retrouve pour la première fois écoeuré.

Qu'est-ce que tu m'as fait...?

Il chope avec acuité la nuque de Precieux et lui relève la tête. À la fois confus par sa propre nature et horrifié par la clarté avec laquelle il la perçoit désormais, il est déboussolé.

Je comprends.

Ce pouvoir qu'il convoitait tant depuis des années ; il peut à la fois dérégler et soulager. Il peut prendre autant qu'il peut donner. Duke le veut ! Duke convoite ardemment cette capacité, c'est pour elle qu'il traque Bellamy depuis plus de dix ans. Est-ce que ce dénommé Precieux pourrait lui offrir ? Se satisferait-il de la mort du frère pour atteindre celui qu'il désire ?

Mais très vite, le silence assourdissant est remplacé par l'intensité des psychoses qui reviennent au galop. Duke hurle et se tient la tête, acculé par le choc d'une ligne parfaite submergée par un ras de marée. Il attrape une barre de fer à proximité et assomme Precieux d'un coup à la tête.

(...)

Adossé au mur de l'entrepôt, Duke guette le repos de sa proie. Il a pris le temps de le trainer à l'intérieur, de l'attacher vulgairement à une chaise à moitié rouillée. Des lors que ses paupières tremblent, Duke l'enferme dans une illusion bien calculée - parfaitement maitrisée. Precieux pense se réveiller dans une chambre d'hôpital. Le décor approximatif pourrait le tromper mais la force de l'émotionnel accentue la supercherie. Precieux, dans son monde imaginaire et imaginé, oublie qu'il est blessé et pense s'être endormi - avoir cauchemardé - au chevet d'un parent qu'il n'a jamais laissé. Duke est dans cette chambre avec lui. Il joue avec une mèche de ses cheveux délavés. L'océan l'a complètement noyé.

C'est qui pour toi ?

Pour la première fois depuis longtemps, il chantonne l'air que la mère de Bellamy appréciait écouter.
Heartaches... My loving you, they're only heartaches.

Duke s'arrête de chanter. Son esprit malade doit se concentrer à faire perdurer l'illusion dans laquelle il les a enfermé. À chaque clignement de cils, les personnages du film vacillent. La couverture du lit médicalisé vibre, les cheveux de l'endormi deviennent translucides. Ça ne dure qu'un millième de seconde - c'est presque impossible pour l'oeil humain de discerner ces imperfections, et pourtant !

Il n'a pas beaucoup de temps. Il y aura un moment où Precieux réalisera que les informations envoyées par son cerveau ne correspondent plus à sa réalité - et ça sera crucial. Duke a des réponses ; l'inconnu.e devient donc une mère et les traits se figent dans ceux qu'il connait vraiment. Ce n'est plus la maman de Precieux mais celle de Bellamy. Elles n'ont pas quitté leur maison. Il n'y a qu'elle pour aimer cette chanson.

Duke ne chante plus. Son estomac insatiable gronde d'une fin, tenu affamé à s'en tordre les intestins, concentré à faire perdurer l'illusion dans laquelle il s'est perdu. Il en a assez.

Ce n'est pas toi que je veux. Mais ça sera elle que j'étoufferai dans son sommeil si tu ne me donnes pas... SI TU NE ME DIS PAS !

Les branches de lierre sur son chemin, il les repousse d'un geste rageur. Il fond vers Precieux et plaque ses deux mains sur les accoudoirs qui retiennent ses poignets. Il se fiche de lui faire mal, il se fiche de souiller ses propres visions.

Je veux que tu me dises tout... Precieux... Mon beau Precieux... Dis-moi tout ce que je veux entendre et je l'épargnerai.

Il tente de corrompre l'âme du fou pour en attirer un autre. Duke est convaincu que les mortels peuvent être bien plus monstreux que

lui.

Livre-moi Bellamy. C'est tout ce qui m'intéresse.

Lui ne l'intéresse qu'à moitié.
Peut-être que ça peut changer.

Duke est démasqué. Son obsession pour Bellamy (toujours lui, toujours lui !) donne des indices sur son identité. Il n'en a que faire - ce qu'on pense de lui, d'être pathétique ou non ; il est trop vieux et trop immuable pour prendre à coeur ce que pourrait lui héler son repas. Mais pourtant, les informations arrachées (trop facilement) à Precieux ne lui conviennent pas. Elles ont des relents de frustration. Il ne se laisse pas déborder, se préserve de la prochaine vague en rétorquant d'une voix trop doucereuse pour ne pas dissimuler un voile de cruauté.

Dix ans qu'il se terre comme un lapin dans un clapier.

Il aurait pu dire vous mais Duke préfère le punir autrement. Son imagination s'est habitué à la peur des hommes. Il suffit de leur montrer un peu de souffrance - pas forcément la leur ; rien de mieux pour attiser les pleurs que de provoquer les cris de ceux qu'ils aiment. Une torture triviale mais qui ne se démodent jamais.

Oh oh.

Son regard s'assombrit, il garde une main fermement agrippée à un de ses poignets, l'autre se loge sous son menton pour lui relever. Il a un sourire féroce et dément.

Tu imagines ? Qu'elle puisse mourir pour un frère que tu détestes, par un monstre qui t'a pris pour un autre ?

Il hausse les sourcils, faussement outré par cette affirmation, qu'il a pourtant construite de toutes pièces. Parce que ça dépend de lui.

Ça serait horrible !

Derrière Duke, la marionnette émet des sons semblables à des gémissements de douleur, alors même que son corps se contorsionne sous les draps.

À moins que...?

Il se penche, lui souffle à l'oreille.

Tu l'appelles à l'aide !

Duke passe son doigt sur la joue de Precieux, dessine le contour émacié de ses pommettes creusées.

Ça serait machiavélique, tu imagines ! Mais je pourrais me montrer... hm... magnanime.

Il n'a même plus honte de mentir.

Le sang-froid de Precieux est aussi intriguant qu'il est frustrant, agaçant, lassant ! Duke se mord l'intérieur de la joue. Il aurait pris son pied de l'entendre supplier, ou au moins d'assister à la déformation lente de ses traits, horrifiés et implorants. Mais sa proie reste de marbre, aliénée par la suffisance de son sursit. Ah ! Que cette bénédiction est affligeante, en un sens. Duke reconnait là l'hubris des fils de Dionysos.

Deux vies, deux chances de bien s'amuser.

Mais Duke ne sourit plus. Il ne s'amuse pas vraiment. Quelque chose cloche dans son système - son plan s'effrite et ses illusions aussi. Que se passe-t-il ? Qu'est-ce qui a changé ? Duke ne se sent plus terrifiant.

Qu'est-ce que tu crois qu'il se passerait, si tu me mettais en colère ?

Duke sort le couteau caché à sa ceinture. Il l'agite devant le visage de Precieux, dissipe le rêve pour le ramener à son véritable cauchemar. Le bâtiment, la solitude, l'inexorable qui se dresse dans l'évidence de sa vulnérabilité. Duke a bel et bien cessé de jouer. Le chantage ne prend plus.

Je vais t'égorger comme un goret puis j'irai m'occuper de ta mère. Rappelle toi bien que tout ça est la faute de Bellamy et de personne d'autre. Déteste le et préviens-le, s'il n'a pas le courage d'affronter son destin par lui-même, je viendrai sur Nausikaa et je massacrerai autant de demi-dieux que possible, j'écraserai tout ceux qui se dresseront entre lui et moi.

Sous ses jambes maigrichonnes, drapées d'un jean aux couleurs délavées, le sol tremble et Duke manque de s'écrouler. La terre est stable mais l'esprit, lui, subit son énième ras de marée. Ça ne le fait pas marrer. Pas cette fois. Pas du tout, même ! Ses doigts s'agrippent fermement au manche du couteau, que la moiteur de sa paume rend glissant. L'idée qu'il puisse faiblir le rend malade, alors même que sa vérité suffit à le faire trembler.

C'est de ça dont tu as peur ?

Il regarde autour d'eux. Joue avec l'arme entre ses doigts. Par maladresse, il la lâche, et la lame se plante pointe vers le sol dans son pied. Duke pousse un cri de surprise. Il réprime un geignement de douleur et se penche en avant pour extraire le couteau de sa chair.

PUTAIN ! Tu y crois toi ? C'est fou ce que ça fait un mal de CHIEN !

Il ose se plaindre alors qu'il n'a déjà plus rien. Duke soupire - d'une expiration longue et bruyante.

De quoi parlait-on déjà ? Ah oui, ta mère, pas ta mère... Je ne sais pas, il faudrait y mettre un peu plus d'émotion. Montre-moi à quel point tu préfères que ça soit toi et pas elle.

Duke ne prend pas de plaisir à tuer des mortels, sauf quand il faut se nourrir - et encore. Mais dès lors qu'il s'agit de torturer des demi-dieux, l'engouement devient sincère.

Sans prévenir, il plante son couteau dans la cuisse de Precieux, et attrape d'un geste vif son menton dans une main, de sorte à tirer son visage vers l'avant. Capturer ses plus beaux moment, s'ancrer dans son dernier instant.

Enfin, on y est. Duke contemple d'une extase impudique la décrépitude de Precieux, égal à lui-même quand la fin s'amène. Suppliant, désespéré, nauséabond. C'est ainsi que Duke aime ses adversaires ; de héros grec à âne bêta ! Il lui manque quand même cette étincelle de jouissance - quand la brebis fait les gros yeux et tente, par tous les moyens, de rester digne. Bellamy avait ce regard quand il le gardait prisonnier à l'Acheron. Il avait aussi ce regard quand ils se sont fait face à nouveau au festival. Pourquoi Precieux s'obstine à rester misérable ?

Il a le potentiel, le même grain de folie inhérent à son ascendance. C'est ce qui le rend si attractif, si potentiellement délicieux. Duke fantasme la chair de Bellamy depuis plus de dix ans. Plus les minutes s'étendent et plus il se dit que... Precieux pourrait peut-être faire l'affaire pour les dix prochaines, finalement.

Chut...

Agressé par les pleurs de Precieux, Duke s'affaire à le calmer.

Tu fais ça très bien... Tu fais ça très bien.

Ses doigts glissent à sa joue et instaure une proximité malaisante, accentuant la complicité imaginaire de Duke vis à vis de leur relation imaginée. D'une douce carese, il rassure l'animal qu'il guide progressivement vers l'abattoir.

Ce que je veux ? CE QUE JE VEUX ?! MAIS C'EST LA TOUT LE PROBLEME PRECIEUX ! Je ne peux pas... Je suis un être civilisé... J'obéis à Mère... C'est ensemble qu'on emmerde les Dieux ! Un doigt d'honneur à ces immortels mais on doit les remercier un peu, quand même... Aaaah... oui.

Duke ponctue la fin de sa tirade par l'extraction du couteau de la cuisse de Precieux. Comme il s'en doutait, le sang coule abondamment.

Si j'ai touché l'artère c'est fini pour toi.

Il dépose un baiser sur son front et lèche sa main grossièrement, de sorte à pouvoir lui plaquer ses beaux cheveux blonds gominés.

Si seulement j'étais libre de faire ce que je veux... Au moins je suis libre de faire ce que je veux de TOI ! C'est une belle morale, hm ?

Il s'accroupit devant la chaise sur laquelle Precieux est ligoté et trace des cercles avec la pointe du couteau sur son genou, de sorte à le sentir tressauter.

Enfin ! Enfin Precieux partage ses rêves. Duke a enfin son attention capturée et captivée. Il dévisage sa proie comme son égal et hoche vivement la tête, enthousiaste et plein d'engouement envers son fantasme. Oh, mais qu'est-ce que lui aussi, rêverait de voir Bellamy les regarder. Dionysos est hors d'atteinte dans son esprit mais l'idée lui plait et le titille.

On aura fini par se comprendre...

La voix de Duke est doucereuse, chuchotée avec amour et interdit. Il est galvanisé par la scène et voir Precieux dans cet état le rend sincèrement heureux. Il s'oublie peu à peu et dodeline la tête au rythme d'une musique imaginaire.

J'en rêve aussi Precieux, j'en rêve aussi !! Mais comment faire pour qu'ils sachent ? Je ne sais pas, je ne pense pas... que ces marques-là restent après la mort.

Il l'acte dans son euphorie, Precieux va mourir et cette perspective rend Duke encore plus hystérique.

Mais tout à coup, la surprise fait tout retomber. Precieux a vomi et Duke arque un sourcil. Il ne sait pas s'il est dégoûté ou fasciné. Il ne jugera pas - les caprices de l'estomac font parfois des siennes. Il se redresse et tant le bras pour essuyer du pouce ce qui a un peu coulé de ses lèvres. Sur un ton plus neutre, il propose :

Je pourrais te taillader et te garder en vie, quelques temps. Assez longtemps pour que ça reste, pour toujours, sur ta jolie frimousse. Comme les miennes ! Tu as vu ?

Il se penche et essuie le coin de ses lèvres, où persistent des cicatrices tracées par des serres.

Ça, c'est l'Aigle qui me les as faites.

L'Hydre n'arrive pas à comprendre - est-ce de la folie ou du mépris ? Un peu des deux et ça serait parfait. Precieux s'abandonne à la volonté de Duke mais exprime, tout de même, sa peur d'avoir mal ; Duke n'a pas pitié, il n'a pas été programmé pour ça ; cependant l'extrême politesse de sa proie le force à considérer un leste de cruauté.

Trop aimable.

Duke tapote la poche de son pantalon dégueulassé par la boue de tout à l'heure. Au niveau de ses hanches, un renflement se dessine, plus bas que ses os. Il en sort un rainphone et le fait jouer entre ses doigts.

J'ai ramassé ça tout à l'heure, c'est à toi ?

Il étire un rictus qui trahit cette fois son hostilité. Et elle est assumée. Duke se souvient que Precieux a menti tout à l'heure, en parlant de son portable. Il ne se trouvait pas dans sa poche mais dans celle de Duke.

Tiens bon mon mignon, ton calvaire est bientôt terminé.

Il déverouille l'écran en le mettant face à la tête de Precieux puis cherche du bout des doigts (comme s'il avait peur de se salire) dans les applications l'appareil photo. Il se recule pour cadrer puis prend un premier cliché de Precieux ; il réitère l'action, mais cette fois en se plaçant derrière lui afin de capturer un beau selfie. Avec sa main libre, il fait le signe de paix.

Sans rien dire, il cherche les contacts, trouve celui de Bellamy et lui envoie les deux photos. Il rajoute un coeur puis jette le portable un peu plus loin. Il ira vérifier les réponses plus tard ; s'il y pense.

C'est l'heure. D'abord, je te sors les viscères. Ensuite j'irai m'occuper de ta gentille petite maman.

Duke trottine jusqu'au couteau échoué à côté de la chaise. Il pointe la lame sous le cou de Precieux et lui remonte le menton. De haut, il le domine et a l'audace de le déprécier.

Une dernière volonté ?

Il joue du poignet libre pour fixer sa montre. Il n'a pas de montre.

Il lui tranche la gorge sans même le regarder. Espérant dépeindre une statue de cire, figée dans l'horreur.