Le Céadas à cette odeur particulière de fin. En ces lieux, les puits de lumière ne sont qu'un rappel cruel du temps qui passe, un rappel du fil des moires qui s'effile, prêt à rompre. Et le silence. Ce silence.

Il ne sait pas pourquoi il est venu. Parce que c'est la dernière fois, ça, il le sait. Non, ce qu'il entend par pourquoi, c'est pour quoi. Pour entendre quoi ? Pour dire quoi ? Il l'ignore. Sur le chemin, il a eu le temps de ressentir mille émotions. Colère, chagrin, peur, mélancolie, nostalgie, amour ? Non, pas d'amour. L'amour est mort depuis longtemps. Pour autant, à crépuscule de la vie de Précieux, Bellamy a fini par ressentir un genre de "respect".

Parce que Précieux ne vivrait pas longtemps. C'est acté. C'est écrit. C'est promis. Précieux va mourir. Précieux va partir. Définitivement. Aussi, aujourd'hui, ce sera sa première et dernière visite. Quand il quittera Le Céadas, il ne le reverra pas. Il pourra plus voir l'éclat de ses yeux. Plus voir son expression dégoûtée. Quand il quittera Le Céadas, ce sera comme-ci il l'avait enterré lui-même. Parce que Précieux va mourir. Parce que Bellamy a voté pour ça.

Bonjour.

Sa cellule est semblable à celle de Duke. Bellamy se laisse glisser contre les barreaux pour s'y adosser. Il sort une cigarette, en tend une à travers les barreaux.

Fume. Tu n'en auras plus l'occasion après.

Il sent la vigne l'étreindre. Il lève d'instinct la nuque, il ne se débat pas. Quelque part, du fond de son esprit malade et fatigué, il se demande s'il a sincèrement envie de lutter. Si Précieux serrait. Si Précieux étranglait. Est-ce que ce serait par devoir ou envie de vivre qu'il lui broierait le cœur pour l'achever ? La réponse, n'est pas si évidente que cela à trouver.

Chef des Spartes qui n'avait qu'une seule mission, mais qui a été assez bête de l'oublier parce que son ex-amant lui a fait son numéro victimaire.  Il tourne très légèrement la tête de sorte à ce que l'éclat bleu de ses yeux rencontre celui de Précieux. Tu veux entendre la bonne nouvelle, Précieux ? Tu as gagné.

Il ne sourit pas.

Tu es derrière les barreaux, tu vas crever, mais tu as gagné.

Et ça n'aurait jamais dû se passer ainsi. Les faits auraient dû être différents. On aurait dû acclamer leurs idées. On aurait dû faire naturellement front ensemble. On aurait dû être un. On aurait dû accepter de sacrifier ses libertés pour le bien commun. On aurait dû. Mais ça n'avait pas été le cas.

Rien ne me ferait plus plaisir que de tous vous laissez mourir. La vérité, Précieux, c'est que depuis l'intrusion de Duke, je vous trouve tous indigne.  Lui le premier. Il ne lui pardonne pas. Il se souvient. Cracher dans la main qu'il lui a tendue, ça il le comprend. Mais pour lui ? Tout ça pour lui ? Les cadavres ? L'hydre ? Vous êtes des enfants pourris gâtés et ingrats. Nausikaa vous a accueilli et choyé, mais vous préféré la dénigrer et cracher sur ceux qui tentent de la sauver. Alors peut-être que vous méritez tous qu'on laisse cette foutue ville tomber en ruine.  Son regard glisse sur le plafond. Depuis ton arrestation, je n'ai de cesse de penser que ça me plairait de vous voir tous pries en chasse à l'extérieur par les monstres, à supplier, misérables, pour un foyer.

Il sort son briquet, le lève prudemment, comme pour le convaincre qu'il ne rien faire de mal. Il allume la cigarette de Précieux pour la tendre entre les barreaux en se tordant le poignet.

Mais je ne le ferai pas. Tu as raison, je suis sans doute trop fou pour ça désormais.

Il ferme les yeux. Il a besoin de lui dire.

Ce n'est pas moi qui vais te tuer, Précieux. Cet honneur ne me revient pas.

Lui aussi, a envie d'une cigarette. Lentement, il s'en allume une et laisse son regard suivre les veloutes de fumées s'élever. C'est drôle. Les voir là, tous les deux, a cracher des horreurs avec un ton morne, comme-ci l'horreur n'avait plus rien de vivant.

Oui et regarde ce que tu fais. Tu te venges en tuant des innocents. C'est à peine balancé avec reproche ou méprit. À ce stade, tout ne tient plus a que du simple constat. Je suis d'accord ceci dit. Il y a un vrai problème.

Et peut-être Précieux a-t-il raison. Peut-être étaient des sangsues. Peut-être rendaient-ils les gens misérables. Après tout, c'était quelque chose d'observable. Léon ? Plus là. Nate ? Plus là. Diane ? Plus là. Lazare ? Plus là. Ivy ? Plus là. Certains avaient trahi, d'autres avaient été écartés, d'autres encore ont été perdu et laissé. Les amis qu'il avait au début de ce chemin ne sont plus là désormais. Et Bellamy le sait, ce n'est pas Duke que les a arrachées par la force. Mais Bellamy se demande alors si la misère de ses anciens proches n'est tout simplement pas dû au fait que vous êtes faibles. Il tourne légèrement la tête vers Précieux, son souffle encore chaud contre son oreille le hante. Il emportera ses murmures avec lui, il le sait. Vous vous laissez devenir misérables. Et vous en rendez responsables les autres. Vous vivez dans une utopie. Vous n'acceptez pas que pour rendre le rêve réel, il faut en passer par-là. Il soupire, ça ne lui fait plus si mal finalement de le dire. Tu aurais pu changer les choses Précieux. Cette situation, c'est toi qui la choisis.

Et il va mourir.

C'est la dernière fois qu'on se voit.

Il ferme les yeux. N'en est pas spécialement heureux.

Je ne suis pas d'accord. Son ton se fait plus froid. Je suis bien plus grand que toi. Je ne suis pas un trentenaire pleurnichard qui se déresponsabilise de ses crimes. Il se décale et se relève. L'espace d'un instant il songe à broyer le cœur de Précieux, seulement il a promis quelque chose à Seraph. Il n'a pas le droit. Dans le fond, tout ne revient qu'à toi. Pauvre Précieux. Qu'est-ce que tu as souffert. Et minable que tu es, tu tentes d'expliquer l'inexplicable. Ta mère, toi, mais qui s'en fiche Précieux ? Quand comprendras-tu que le monde entier s'en fiche ? Tu n'es rien. Tout ne se résume pas à toi. Il fronce les sourcils, furieux. Nous sommes en guerre, nous avons l'avenir de nos adelphes sur les épaules et si tu es là aujourd'hui c'est uniquement parce que tu n'as jamais su penser à rien d'autre qu'à ta petite gueule d'ange. Non, Précieux, les gens n'ont pas le droit d'être faible, pas quand ils veulent être sur le devant de la scène.

Il écrase sa cigarette sous son pied. C'est la dernière fois qu'il le voit. Il le sait. Pourtant il n'arrange rien. Peut-être parce qu'il n'y a plus rien à arranger.

Tu as raison, j'ai du travail. Adieu, Précieux.