| Abel KozlovskyUn parmi les Autres | Messages : 263
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| Où va le monde, Précieux Lun 12 Fév - 23:30 Je ne crois pas avoir changé, c’est le ciel qui a changé. C’est toi, indubitablement, qui te dérobe de moi. Mais je connais tes tours, j’ai appris à les compter sur mes doigts et les rêver, dans la nuit noire, lorsque j’ai retenu le relief de tes côtes et la note de fa sur laquelle tu soupires lorsque tu ne te donnais pas la peine de m’aimer, j’ai appris en même temps ton secret. Je me suis piqué sur tes lèvres pour ne plus me piquer, à l’avance, de la peine que tu me feras. Il fallait que lorsque l’heure viendra de ta trahison, ta trahison de toi envers moi, s’entend, il faudrait que je sois préparé. Lorsqu’on ouvre les portes, je retiens toujours un peu mon souffle, et je dis toujours car c’est une vieille habitude. Tu sais, on s’habitue à tout. Et j’étais prêt.
J’ai plaisir à te regarder et te trouver vieux et laid. J’ai plaisir de savoir que je vivrai plus vieux que toi, car, de toute évidence, tu as déjà résolu que tu étais mort. J’ai plaisir du malheur que tu causes, car il est plus grand, plus large que moi, et plus grand, plus large que le mien ; ainsi, tu ne me déçois pas. Tu es vieux, laid, faillible, et faible. J’ai pitié de toi. Je déteste les prisons, je les méprise et je crois qu'il faudrait toutes les abattre, toutes sans exception, même pour les plus grands criminels, même ceux qui nous font vraiment mal ; alors, pour toi, j'ai la pitié des coupables, qui n'en méritent aucune.
Je suis assis et je découvre avec dégoût et colère pour les murs ce visage émacié que j’ai chéri et embrassé et dont j’ai chéri et embrassé le souvenir pour me veiller dans mes chagrins d’enfant. Je ne suis plus un enfant depuis longtemps, d’ailleurs, j’ai cessé de l’être depuis bien avant, bien avant que tu me connaisses, et je sais que tu m’oublieras. Mais je retiens tout de toi. Je retiens comme le jour, qui filtre par le soupirail de la cellule, tombe dans les rides au coin de tes yeux, et comme il tombe avec la même délicatesse que les soleils des après-midi où tu dormais, assoupi contre moi, à la terrasse de ton jardin.
Bref.
Beaucoup de jolies choses existent. Il y en a des milliers qui me déçoivent moins.
« Ça se voit que tu as toujours été pourri gâté. » Je désigne ta peau, délicate, que je sais pure et fragile, susceptible aux rougeurs de toutes les tendresses. Je la trouve cireuse, tendue, et faible. « Il n’y a que des gens comme toi qui font des caprices pour voir la nature des gens. » Je trace dans l’air ce geste ouvert, de la main, où je loge toujours toutes mes paroles, tous ces bouquets de lame de rasoir invisibles, je les tiens sans te les offrir. « Tu es vraiment stupide. »
Je me tais. Je suis toujours exemplaire en prison. Celle-là ne m’a pas, je me sens libre, et plein de moi-même. Je ne sais pas si j’ai cessé de t’aimer. Je crois que je t’aime pour le vide que tu es, comme je t’ai promis ; la forme de toi, de toute façon, nous est inutile à tous les deux. Et tu as réussi à me rendre meilleur que toi, presque par défaut, alors, ça ne m’intéresse plus. Je peux imaginer ton parfum, et la lumière, qui se diffracte dans la blondeur de tes cheveux et te fait un brûlant halo de soleil, me distrait de la triste pâleur de tes yeux. « Je te quitte, évidemment. » La rage que j’ai pour toi est en moi, je ne peux plus te l’offrir, elle me bouffe et nous dépasse sans nous rejoindre, alors, c’est que nous n’avons vraiment plus rien. « Tu dois me dire quelque chose. » Quelle déception que ces fins !
Je n’en peux plus de tous ces bourreaux et de toutes ces victimes | | | | |
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| Où va le monde, Précieux Mer 14 Fév - 19:07 oui personne n'est fidèle mais pourtant la vie doit rester toujours belle, et peu importe si l'homme reste si cruel avec ceux qu'il aimeIl remarquera le lacet noué à plusieurs reprises sur un des barreaux. Il remarquera l'air livide et mort que même la lumière venant du ciel ne sait sauver, ne sait entretenir. Précieux ne peut se voir dans les miroirs. Précieux ne se voit plus dans le regard des autres non plus, c'est assez différent maintenant ; il ne se reconnaît plus dans ce qu'on lui donne, une fois face-à-face.
Abel se trompe s'il pense avoir changé. Ce qu'il lui offre, assis de l'autre côté, ce n'est que l'extension de ce qu'il connaissait déjà de lui. Précieux ne lui a jamais caché. Il s'est simplement surpassé pour l'acte final, l'exécution et le regard ne trompe pas, c'est le même dégoût - le même mépris ? - ou non, est ce que c'est nouveau, cela ? - cette suffisance - cette élévation sans tendresse - Précieux ne sait plus. Il n'a jamais vraiment regardé Abel, lui. Il ne lui reste que des sensations.
Il l'écoute et il cherche ce qu'il a connu - mais son état a changé. Il n'éprouve aucune nostalgie. Le passé ne lui apporte aucun réconfort, ou du moins, celui qui est mou et chaud, contrairement à tout ici, ne connaît pas le visage d'Abel ; Tout cela. Eh bien. Il est resté assis dans sa cellule. Il le regarde d'assez loin, il ne s'appuie plus aux barreaux pour s'asseoir, ils finissent par lui faire mal au dos à force de s'enfoncer entre ses deux omoplates. Gardes-tu tes larmes pour plus tard ? Tu m'as dit que tu serais triste ? Ou bien attends-tu la cérémonie funéraire ? Viendras-tu, dis-moi, si je meurs ? Tu es convié, tu sais. Il faudrait qu'il dise quelque chose - quelque chose qui compte peut-être, mais quoi ? Que devrait-il dire à Abel ? Son attention le couve enfin. Il s'adresse à lui et non pas au vide. Que veux-tu que je te dise ? Est-ce pour ta thèse ? Si c'est le cas, tu n'as pas de papier, tu devrais noter, tu sais. Ou bien m'enregistrer. Il traite leur relation comme toujours avec l'indifférence des choses qui doivent être faites. Relègue cruellement les sentiments d'Abel à l'étude de la moralité - n'est-ce pas ce qu'il veut ? N'est-ce pas ce qu'il fait lui-même ? Il n'a pas souligné la rupture. | | | | |
Abel KozlovskyUn parmi les Autres | Messages : 263
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| Où va le monde, Précieux Mer 14 Fév - 21:43 Il regardait la cruauté en face. Pas de biais, pas à la dérobée, par l’interstice d’une porte entrouverte sur des secrets bien gardés, pas de travers non plus ; la cruauté, en face, était une pulpe d’iris écrasée, dévoilant crânement ses entrailles, inconsciente d’être verte. La cruauté s’ignore et n’a que des témoins pour la nommer. Abel exerçait sur elle une fascination morbide, et totale.
« Tu voudrais ? Que je sois triste ? » Il le questionnait avec elle, c’est-à-dire, avec la cruauté, qui était leur arme à tous les deux. Abel, pour l’occasion, s’était bien habillé, il se tenait droit, et il fixait, entre les barreaux, Précieux, dont il détaillait cliniquement le portrait émacié. Il ne se cachait pas de cet effort, cérémonieux et inutile, qui jurait dans les conditions de détention indignes et primitives où Précieux était gardé. C’était un exercice de mise en scène, le décalage entre eux, le dénigrement de cette humiliation bestiale, terminale de la prison, le ridicule de l’image où ils s’inscrivaient tous les deux. Donc : il le questionnait. Mais c’était une farce de conversation. « Tu n’es pas un sujet pour ma thèse. » Car Précieux n’en valait pas la peine ? Car il était disqualifié, par sa condition ? Mais aucune de ces moqueries ne serait utile ou réelle. La vérité se suffisait à elle-même. C’était la façon dont Abel lui avait répondu, platement, avec cette appréhension méprisante, qui caractérise les bêtises auxquelles on veut couper court.
Etonnamment, il ne se méprisait pas de l’aimer. Il trouvait cette fois encore cet amour à la mesure de Précieux. C’était une affection latente, large, et absurde, qui n’avait ni place, ni but, ni finalité. Abel pouvait le montrer à Précieux comme les charlatans montrent des bibelots d’argent sur un étalage crasseux, des choses que l’on n’achète pas, que rien ne pousse à acheter, mais qui ont, quand même, la valeur qu’elles ont, et que personne ne leur affirmera. Il inspira. Le parfum de la poussière, disséminée par la lumière, tapissait sa gorge d’un goût familier qui ressemble cliniquement à ce qui s’apparente à de la nostalgie, ou, peut-être, plutôt, le dégoût qu’il faut trouver dans celle-ci.
« Tu vas mourir. » Il le découvrait, la cellule entière, en fait, puisque nous avons fait de l’image une spectatrice à part entière, découvrait Précieux, c’est-à-dire, soulignait réellement son nouveau portrait. Verdâtre, noyé, condamné, mais lui appartenant toujours. Abel battit des yeux une fois. Il avait les yeux ouverts, il le scrutait bien, et ce clignement des yeux, qui lui donnait un air reptilien un peu idiot, marquait tout à coup la nécessité, la taille, et la distance de cette observation. « Rien ni personne ne pourra te sauver de cette éventualité. Tu te figures que ce n’est pas important, puisque tu te figures que rien n’est important depuis longtemps. » Il se tut. « Mais tu vas mourir. C’est une expérience qui n’existe qu’une fois. Ça te dépasse. » Il se tut encore. Rien ne remplissait ces silences. Il se taisait lorsqu’il réfléchissait tout en parlant, c’était une habitude dont il s’apercevait à peine. « Tu vas mourir pour rien, d’ailleurs. Non que les morts aient vraiment leur utilité. » Et encore. Il détaillait en même temps qu’il parlait la façon dont Précieux se tenait, avec quelle rigueur, et de quelle manière il évitait d’autres positions, la façon dont ses cheveux était couchée (de quel côté avait-il dormi ?) et la saillance de ses veines (avait-il encore soif ?) et toutes ces choses, infimes, et inutiles, crucifiaient un dernier portrait du condamné. « Tu aurais dû te jeter sous un train à la place, ou des falaises, comme tout le monde, ça n’aurait pas fait de différence. » Il cligna encore des yeux, plus lentement. Il était envahi d’une certaine douceur face à l’immensité du carnage. Et quand il sortirait, il ferait encore jour, et il sera encore temps pour lui de prendre un goûter. « Ça me regarde si je serai triste. Mais je ne suis pas comme toi. Les choses qui me regardent ont l’importance que je veux leur donner. Tu vas mourir sans avoir au moins accompli ça de ta vie. Tu es seul parce que tu l’as choisi. »
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| Où va le monde, Précieux Sam 17 Fév - 20:11 oui personne n'est fidèle mais pourtant la vie doit rester toujours belle, et peu importe si l'homme reste si cruel avec ceux qu'il aimeJe ne suis pas seul. Tu te trompes. Je me fiche que tu sois triste. Ce sont trois affirmations qui n'ont pas forcément de lien, surtout entre les deux premières et la troisième. Mais il les dit dans le rythme saccadé des vérités qui s'imposent entre eux, qui se sont toujours imposées entre eux, d'ailleurs, Abel dans la méchanceté de ses mots et Précieux dans la méchanceté quotidienne de l'absence de son amour. Je me demandais juste. Tu n'as pas besoin de te justifier. Il chasse la tristesse de leur discussion si elle n'est pas pour maintenant, pas besoin de l'évoquer dans ce cas - cela ne sert à rien de parler de l'absence. Cela n'intéresse pas Précieux, ici il préfère penser à tout ce qu'il a : ses lacets, ses chaussures, la nourriture servie, les visages de ceux qui lui rendent visite et pas à l'évidence que la vie continue ailleurs dans les sentiments. C'est pour cela qu'il ne s'attarde pas sur les vêtements car au-delà de penser que c'est pour lui qu'Abel a choisi cette chemise, c'est aussi penser à ce choix, fait sans lui, c'est à penser à cette porte fermée que lui ne touchera plus jamais - et la tristesse, donc, fait partie de ce monde et pas de celui-ci où ils se rejoignent en l'instant.
Je vais mourir oui, mais pas seul. Tu aimes penser cela car cela te rassure, cela te conforte dans tes ambitions de normalité, dans la manière où tu me forçais à me lever et à manger, car c'est ce qu'il faut faire pour ne pas être seul. Tu y penseras quand tu achèteras ton appartement, pas trop loin des gens, pas trop loin du travail, car tu penseras que c'est ce qu'il faut pour ne pas être seul. Cocher ces cases. Mais si tu ne l'avais pas réalisé jusqu'ici, fais-le maintenant : même dans ma mort, je ne vais pas être seul. Maintenant non plus je ne suis pas seul. C'est ce qu'ils veulent te faire croire pour que tu te contiennes et pour que tu aspires à la décence. Mais en réalité il n'y a pas besoin de cela. Et si tu refuses de le réaliser maintenant, tu le réaliseras plus tard et tu regretteras tout ce non-sens.
Il ne mâche pas ces mots : tout cela pour lui est une limpidité claire et rafraîchissante. C'est ce qui lui a permis de vivre, avant la folie ; Précieux, même en retrait du monde n'a jamais été seul. Il n'y a pas besoin de grand chose de plus que de sincérité pour être aimé. Abel lui est risible, et méprisable, même en dehors de la prison, de l'autre côté des barreaux. Il a croisé ses bras, lentement. Il a étendu ses jambes, tout aussi lentement, sans se presser. Contrairement à Abel, ici, lui a tout le temps du monde jusqu'à ce qu'il meure. Et la mort ne lui fait pas peur. | | | | |
Abel KozlovskyUn parmi les Autres | Messages : 263
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| Où va le monde, Précieux Dim 18 Fév - 1:27 Cette cruauté ouverte était sincère, il le savait, et Abel la trouvait familière et salvatrice ; il s’étonnait du soulagement avec lequel il découvrait sur Précieux le délavement réel du détachement. Il lui semblait qu’il se créait un espace vide entre eux, où l’on supprimait la décence et où l’on pouvait enfin laisser cours à cette expression véritable des relations humaines, de l’idée, en tout les cas, qu’Abel se faisait de la forme pure de leur substance : dure, cruelle, et incandescente. Il était plus expressif partout où Précieux se permettait la mollesse de la méchanceté, et il avait goût d’y mordre ; le soleil déplaçait, sur son visage, un accent aigu et cru de vie, celle-là même qui ne naît que dans la violence.
« Ils ? C’est qui, ils ? » Il l’imitait inconsciemment, mais ce jeu de miroir était plein d’un mépris ouvert et écrasant ; il croisait les bras sur sa poitrine, et il allongeait, lui aussi, ses jambes, longues, qui avaient toute la place, toute la liberté de la place qu’elles occupaient. « Ces élites que tu détestes, j’imagine. Comme le poste que tu occupais avant, comme ton ex, ton frère, la plupart de tes cercles sociaux, du moins, ceux qui s’intéressent à toi ? » Il se penchait un peu vers l’avant. « La norme existe pour que des petits mecs comme toi se sentent vivants en croyant s’en libérer et meurent en pensant avoir fait quelque chose d’unique. Tout ce que tu as fait, c’est gâcher la vie des gens. Le système était déjà défaillant et voué à tomber, mais tu n’as fait qu’empirer les choses sans rien en retour. Tu vas mourir, tu t’en fiches, mais garde tes petits sentiments bourgeois pour toi. » Son coeur battait vite et fort dans sa gorge, et il se sentait lucide et défendu par sa colère, qui plaçait maintenant son amour au bon endroit : dans un endroit défendu, gardé par le mépris qu’il nourrissait envers Précieux, et qui lui laissait toute la place de le considérer. « Ton ex qui a renversé les olympiens, au fait. Avec Cecil et tous les bouffons de leur clique. Je doute que les égarés, du moins ce qu’il en reste, s’en tirent à bon compte, puisque dans ta grande crise de conviction j’imagine que tu t’inquiétais du sort des misérables. »
Il redressa le dos et cette rigueur, ainsi que la fraîcheur soudaine de son éloignement, sur son visage, rappelaient à Abel l’amertume, et la rançon, de cette fin absolue. Il rentrait un peu le menton et considérait Précieux d’un contrepied où le temps et les autres existent encore. Il était terrassé et galvanisé par cette évidence. Cela ne pouvait exister qu’en lutte intrinsèque de l’amour. La platitude familière de cette équation le rassurait.
« Ne t’en fais pas pour moi, en tout cas, » il ironisait volontiers à voix haute, car il n’ignorait pas le mépris de Précieux à son égard, et cela le fit sourire ; « contrairement à toi, je sais déjà ce que je veux et comment je veux les gens autour de moi. » Cette lascivité dans la mort, définitivement, le répugnait, et était le motif, sans doute, de sa colère. Il tenait ses coudes, les serrait un peu, et son pied tapait un rythme rapide et inconscient sur la dalle au sol. Abel ne se cachait pas de cette tension, de l’intensité de celle-ci sur lui. Il méprisait Précieux ; cela, à ses yeux, était synonyme de beaucoup d’autres choses. « Tu as toujours agi comme si vouloir être avec toi était une forme de faiblesse de ma part. Mais je l'ai fait par choix, et j'ai souffert des conséquences parce que je l'ai choisi. Toi, tu penses que t’abstenir du monde suffit à tout régler, mais c’est impossible. » Il se tut. « Tu n'as jamais su exister. Je ne peux pas te prendre au sérieux. »
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| Où va le monde, Précieux Dim 18 Fév - 8:12 oui personne n'est fidèle mais pourtant la vie doit rester toujours belle, et peu importe si l'homme reste si cruel avec ceux qu'il aimePrécieux entrouvre la bouche à plusieurs reprises, habité par la pulsion de la revendication, de nourrir la discussion - et puis finalement rattrapé cette léthargie qu'il y a toujours eu entre Abel et lui. Il l'observe parler, bien, c'est certain, vite, c'est sûr cela aussi, formuler des phrases pleines d'un sens lointain mais qui ne s'accroche pas à lui. Qui ne l'écorche pas. Tu as toujours affirmé beaucoup de choses sur moi. Il constate, quelque part dans le récit qu'Abel fait de lui, il ne sait plus où exactement, presque en l'interrompant dans la litanie. Ce lymphatisme n'est plus de mépris, il s'est endormi vite, il se rappelle d'avant - Tu as vingt-quatre ans. Je ne peux plus comprendre ce que cela fait mais en t'écoutant, je peux supposer. C'est un état des lieux de cet âge - Précieux sait qu'il était différent. Il venait de perdre ses premières idoles, il se rappelle, un an auparavant ; il votait avec la discrétion qui s'efforce d'être assagie au conseil, n'était d'aucun camp. Mais cet état, si différent de celui de son âge, de celui de sa mort, lui fait dire qu'Abel aussi changera aussi profondément que lui et pour cela il trace une distance nette et lui pardonne tout en écartant sa colère comme le chagrin auparavant - elle n'est pas si réelle que cela. Si tu penses savoir, tant mieux. La prison m'avait presque fait oublier le sentiment d'assister à ta vie plus qu'à la mienne, quand tu es là. À partir du moment où Abel avait fini par s'imposer, dans un consentement las et indifférent, y avait-il eu vraiment une vie à deux ? Tant mieux si tu penses que la meilleure chose qui puisse arriver à l'homme est d'avoir le contrôle sur ses désirs. Cela ne me dérange pas si cela te conforte d'imaginer que je suis tout comme tu dis. Tu ne comprendrais pas. Je ne t'en veux pas. Tu ne me connais pas.
Il désigne la prison, loin, la vastitude où quelque part sûrement se trouve la sortie. Lui ne semble pas étouffer de sa condition et il se dit que c'est sûrement ce qu'Abel lui reproche.
Personne ne se laisse mourir par inexistence ou indécision. Tu peux partir si tu veux, je ne vais pas commencer à te retenir maintenant que je suis derrière les barreaux. N'en veux pas à ceux qui restent si un jour ils te parlent de moi et que tu te sens étranger à ce qu'il te restait de moi, leur version a sûrement pour elle plus de fond de vérité que la tienne. Mais je ne t'en veux pas. Tu es jeune.
Il précise, si ce n'est pas évident : Je n'ai plus rien à te dire. Sans amertume ni réelle fermeté. C'est plutôt un lâcher prise : il ne vit pas la déformation de son visage dans le miroir des yeux d'Abel comme une offense ou une injustice, cela fait longtemps que ce n'est plus de lui qu'il veut être compris. Il regarde le sol, quelque part entre ses pieds vaguement écartés. | | | | |
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| Où va le monde, Précieux Mar 5 Mar - 23:10 La prison précédait son deuil, en vérité, et Abel le savait ; cette cloche sordide, par-dessus eux, existait pour contenir maladroitement la forme future qu’il faudrait que son deuil, et celui, en vérité, de toutes les personnes qui n’ont pas autorité à faire justice, que leur deuil donc, épouse la même indolence, la même quiétude suspendue que la prison. Il s’était levé, il serrait les poings à ses côtés, et il lui semblait que le visage de Précieux disparaissait de lui-même, il était rendu à cette succession pénible de formes et d’objets, qui s’alignent dans le monde réel pour dire des choses, et qui sont étrangers. « Moi non plus. »
Il ne partait pas tout de suite. Il laissait s’éterniser cette rencontre pénible, balayant leur échange, aussi plat et sourd que tous ceux qu’ils avaient jamais eu, et qui, véritablement, miroitait leur relation — l’avatar de celle-ci : plate, et sourde. Les briques donnaient à la pénombre de la cellule une couleur de fausse chaleur. Le visage de Précieux, coupé par son inclinaison, se taillait autant dans cette tranquillité des beaux jours, ceux qui sont les derniers, et qui ne se comptent pas.
Abel sentit aussitôt gonfler en lui une colère vive et pincée, car il reconnaissait là un motif éculé, il se voyait rendu à une prison extérieure, une prison qu’on se fait à soit, en laissant derrière soi les morts, que l’on a aimé et qui ne nous ont pas aimés, qui mourront sans rien avoir à dire, et sans regret, donc, sans rien d’intéressant, et ce motif, facile, lui donnait envie de crier. Il toisait Précieux sans sortir. Il était oppressé par l’évidence de l’amour, et la vacuité de celui-ci. Il voulait le frapper. Il fallait chérir ce sentiment, songeait-il ; il préférait sa rage à l’indifférence, et, finalement, il passa une main dans ses cheveux pour les recoiffer, il dévoilait son péché de jeunesse, d’incomplétude, sans pardon.
« Si c’est pour faire ça, ta mère aurait dû t’avorter, ça revient au même. Je ne te dis pas au revoir ni adieu. » Il l’embrassait d’un battement de cil et il consumait sa méchanceté en partant, dont il savourerait, il savait, le regret amer durant longtemps. Et cette cruauté puérile était inutile, sans cible et sans terreau, elle ne prendrait pas mais elle lui faisait justice, elle faisait justice à tous ces gens là, dehors, qui ne demandent rien, ou peut-être qu’elle le soulageait juste, et que cela lui suffisait ; en tout cas, il ajusta son manteau, il sortit, il ne se retournait pas, et se savait parti sans être regardé.
Je n’en peux plus de tous ces bourreaux et de toutes ces victimes | | | | |
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