sous les clameurs guerrières, il riait. à ses pieds, l'adversaire baigne dans le liquide ingrat qui teinte le corps des combattants - mélange de sangs et de sueurs, infâmie ichoreuse à l'odeur si particulière : cette odeur, álvaro, tu la respirais, et à pleine voix, tu riais. les applaudissements retentissent, on crie de plus belle, mais les éclats de sa joie rejoignent pourtant le vacarme avec aise - enfant de la victoire, aujourd'hui encore il triomphe, et le vent semble porter ses exploits.

trois fois, il avait combattu. trois fois, il avait gagné. de la violence brute, il avait fait spectacle - ce n'était pas chose aisée, et aujourd'hui non plus, ça n'avait pas été simple, mais c'était bien ce en quoi il excellait. la danse martiale était celle dans laquelle il avait trouvé son rythme, et il frappait dans le sable de son talon, serviteur dévoué des cœurs réunis pour eux, pour lui. les blessures ne sont qu’obstacles à sa victoire inévitable, marquent cependant les difficultés de maintenir le tempo inlassable des corps glorieux - il les redoute, mais on les célèbre pour lui, alors qu’on l'applaudisse encore, oui, voyez comme il le mérite ! et voyez comme il vous le rend ! remerciements bien exagérés, gestuelle grandiose, saluts multiples au public qui le réclame ; oui, il fait ça pour vous, et pour vous encore, sans égard pour personne d’autre, il broiera les os des hommes, plantera ses griffes dans les chairs pour en extraire l’essence de son être même : vos cris, vos joies, puisqu’ici, il n’y a que ça !

l’ivresse des joies extérieures multipliait la sienne - celle des autres sont temporaires, mais lui ne peut s’empêcher de les maintenir trop longtemps. ainsi, même dans le calme des blessés, dans les repos mérités, il ne tient pas en place. on est venu le soigner, et le gladiateur a demandé à ce qu’on attende encore un peu, qu’il pouvait le faire seul : qu’il y avait surtout bien plus mutilé que lui, qu’il avait ici été le prédateur, et que les carnivores, même meurtris, s’occupent très bien d’eux-même. seul, il reste, et adonné aux répits des chasseurs, assis à s’occuper de ses plaies, il fredonne, heureux - mais voilà qu’on vient le chercher, avec la crainte des gibiers, celle qu’il n’aperçoit même pas ! non, il aperçoit mielikki, et, douce comme elle est, bien plus sage que lui, il lui sourit. lèvres abîmées, joie bien intacte !

”mielikki ! qu’est ce que tu viens faire ici ?”

et soudain il se rappelle que l’image ne lui est pas familière, bien au contraire, il l’imagine redoutée. n’était-elle pas de ceux qui détestaient ce genre de calamité ? toujours vif, il se lève, vient à sa rencontre, se rapproche peut-être un peu trop vite, ignorant tout de ses allures. perdu dans les folies guerrières, il n’imagine pas autre chose que célébration.

”bien sûr que ça va aller, j’ai gagné ! tu as vu ? tu étais là ? c’était super, hein ?” il ne l’a pas vue dans le public, certainement aurait-il redouté ses larmes. chez lui, tout est éclat - même les plus hautes douleurs, les plus terribles des commotions ne parviennent pas à ternir le rayonnement de l’enfant de niké, qui ici se voit paré de ses plus beaux atouts.

puis un instant d’hésitation - non, elle n’a pas l’air si bien en point, et c’est inquiétant. réveil soudain : miel, que viens tu faire là ? n’es tu pas plus blessée que lui, par les violences qu’il conjure ?

”mais toi, ça va aller ?”

on vient le voir, il devrait être flatté, et il l’est, brièvement - il n’est pas compliqué de s’attirer les grâces du gladiateur quand on affirme avoir fait partie de son public, de recevoir un ”merci !” satisfait. pourtant, tout aussi aveuglé qu’il est, il ne manque pas de comprendre que mielikki n’est pas de ceux qui viennent le féliciter. demi mots, hésitations, ça ne va pas. ici, on aime, on affirme, on crie à faire plier ! où sont ici les félicités des regards, les paroles jubilatoires, si ce n’est dans ses propres conceptions ? elles ne sont plus non plus sur son visage - il paraît confus, désabusé.

”eh, j’me suis pas fait massacrer. t’as pas bien regardé.” visiblement outré uniquement qu’on ne le considère pas pleinement comme vainqueur, álvaro ne voit pourtant aucun problème dans les paroles accusatrices, qui auraient parues méprisantes de la bouche d’un autre. n’est-ce pas la vérité, qu’il s’affiche comme sur une scène ? ”je vais bien, puisque le spectacle était bien. je vois pas pourquoi tu t’inquiètes ?”

mais elle veut le comprendre, et ça semble si sincère, et c’est une attention qu’il ne refuse pas - attendri, ses traits s’adoucissent bien vite. bien qu’il ne comprenne pas, qu’on ne le comprenne pas, puisqu’il n’y a rien à comprendre vraiment, il accepte volontiers les efforts qu’on lui communique avec tant de honte pourtant. main tendue vers celle qui l’oppose tant, il cherche à faire le lien entre les deux rives, tâche de finir le pont que miel était venue bien courageusement bâtir - on parle ici de rapports, d’états physiques, n’est-il pas mieux d’approcher par ce biais ? pour apaiser les violences, il aimerait lui montrer, qu’il peut toucher sans force, prendre ses mains dans les siennes : à peine effleure-t-il son poignet qu’elle se retire, et surpris, il fait brusquement de même. un regard bref - il y a encore du sang, le sien, sur le bout de ses doigts.

”pardon”, tout doucement, c’est soufflé, à moitié avoué, par une politesse à laquelle il n’est pas forcément habitué.

embarrassé, il hésite un peu dans ses gestes, semble bien idiot quand sa seule porte de contact évidente lui est retirée. il ne sait pas où se mettre, voilà tout ! puis il se ravise, avec une grande inspiration : résolu qu’il ne pourra communiquer par le toucher, il adopte le deuxième sens qu’il maîtrise le mieux, quand on le porte à lui. bien droit face à elle, d'un geste vif, presque dansant - comme les artistes s'apprêtant à saluer leurs publics, ceux qui voient en leurs spectacles la pleine valeur de leurs actes, et se tiennent prêts à applaudir - il étend les bras, se présente tout entier à ses yeux ambrés.

"regarde moi bien. j'ai l'air d'avoir mal ?"

le corps tuméfié, lacéré, épuisé, semble bien douloureux, oui ! bien sûr, qu'il pourrait avoir mal, et il est même évident que ses nerfs ne sont pas au plus apaisé - mais le visage, le sourire, la portance fière de ses muscles ne semblent indiquer aucune souffrance. au contraire, puisqu'il est heureux ! les douleurs sont pour lui exutoires, et parées des atouts de la gloire, il les considère en joie. saurais-tu, miel, faire de même ? il te l’implore ! observe, il n’y a rien de grave, quand on est serein comme un fou.