plusieurs nuits qu'il passe à ses côtés sans que l'autre ne le sache. abrité par les ombres aux coins des rêves, il ne s'est jamais aventuré à le saluer en songe. à vrai dire, l'objet de cet aberrant désir ne s'est jamais attardé ne serait-ce qu'une seconde sur son visage insignifiant (sait-il même que tu existes ?) probablement pas - et pour le sempiternel souffre-douleur, passer inaperçu est déjà un don des cieux. (contente-toi d'être invisible).
mais ça, il n'y a pas pensé - il serait plus juste de dire qu'il s'est évertué à l'ignorer; une prise d'élan pour mieux chuter.

c'est sans réfléchir qu'il a acheté ce dvd, trouvé dans un disquaire sans intérêt, dont le titre le ramenait aux échos familiers d'une soirée qu'il lui a volé sans scrupule - l'oeil intrusif du corps astral ne connait pas l'intimité, la piétine sans honte avec une puérilité toute candide.
(connais-tu même son prénom ? oui, mais tu ne pourrais pas l'utiliser de toute façon, toi qui n'est autorisé qu'à la formalité impersonnelle des noms de famille. ça ne t'empêche pas de l'avoir vu, sous sa forme la plus pure, de savoir quel être se dissimule derrière l'effrayante beauté de ce costume à visage humain;
n'est-ce pas un peu rassurant, de voir qu'il est ordinaire dans sa différence ? ce fils d'aphrodite dont la simple apparence suffit à te faire trembler, lui aussi, il est mortel, répugnant, égocentrique et vain).
accommodé à contempler sans jamais se refléter dans le regard d'autrui, il n'a pas douté de cette familiarité - se dit qu'il l'a percé à jour, qu'il l'a sans effort débarrassé de cet honteux costume. qu'importe que ce qui s'y cache soit pire encore, ikal a toujours su tout pardonner.

au comptoir de la réception, il ne parvient qu'à feindre (mal) l'indifférence face à celui dont il a attendu le retour malgré lui. ce n'est qu'au-travers de ses cils qu'il ose le dévisager. bonsoir, monsieur. chambre 237, comme d'habitude ? du bout des doigts, le cadeau se fait remarquer, ce film qu'il n'aurait jamais identifié s'il ne l'avait pas vu par les yeux d'un autre. c'est pour vous. au cas où ce n'était pas clair, et il pourrait rajouter car je sais que vous l'aimez, ce film, il n'y avait qu'à constater l'émoi dont il a su repeindre votre visage d'ordinaire indéchiffrable,
il ne sait pas - ou ne saisit pas - la vraie signification de son geste. la maladresse puérile n'a pas connaissance du caractère intime, indicible de cette offrande.

par ce présent, ikal a aussi fait don de sa personne.
c'est petit à petit qu'il a nourri, cultivé son intérêt pour zana hysenaj, ce client à l'inquiétante présence. à force de l'observer, il a fait fleurir les bourgeons de son affection.
alors la première fois qu'il lui avait été donné de contempler le spectacle de sa luxure, il avait été si révulsé ! lui qui pensait trouver une forme de pureté de l'ordre du divin, il n'avait pas voulu voir que l'objet de son admiration s'abandonnait aux penchants primaires du charnel. pour sa prestance, sa posture, sa diction, sa propreté, il l'avait fantasmé pur, avant de réaliser qu'il était inexorablement humain, terriblement ordinaire. et alors, ikal avait été touché par cet être dont il croyait connaître toutes les failles.

c'est d'une maladresse un peu fiévreuse qu'il avait voulu lui faire preuve de leur proximité, lui offrir un gage de son adoration. sans un mot, il aimerait lui dire je vous comprends, je vous vois, il accorde son abnégation à celui qui n'a rien demandé, confesse alors sa faute - il l'a vu, en effet, alors qu'il n'en avait pas le droit.
cette voix qui prononce son matronyme pour la première fois lui fait l'effet d'une caresse avilissante. il n'ose pas imaginer le timbre suave s'approprier son prénom.
vos désirs sont des ordres, murmuré dans un frisson imperceptible, déjà il s'est levé, peut-être un peu trop précipitemment, desservi par son enthousiasme. voulez-vous que je porte vos affaires ?
il ne saura pas si le cadeau lui a plu. dans un coin de sa boîte cranienne, l'appréhension revêt la forme d'une ombre menaçante. (tu n'aurais pas du.) devant la porte 237 se découpe la silhouette de sa fatale erreur. il lui semble que cette pièce tant de fois occupée sous sa forme astrale rejetterait son enveloppe s'il osait y mettre un pied.
et voici, monsieur. y'a-t-il quelque chose d'autre que je peux faire pour vous ? harponné par les pupilles dissolues de ce regard qui capture la lumière, il demeure planté là - petit animal ridicule et pétrifié, ployant sous la stupeur de ses propres instincts.

ikal ne devrait pas être là. conscient de n'être qu'un intrus, il s'agite. tout ce que vous voulez monsieur... derrière la politesse servile on décèle une vaine urgence. il n'est pas à sa place, et c'est à présent qu'il habite cet espace de son corps de chair et de sang que cette réalité le frappe sans détour.
trop tard, la porte est fermée. il le connait bien, le bruit du verrou : cent fois, il l'a attendu dans l'espoir d'un nouveau spectacle auquel on ne l'a jamais convié. observateur indésirable, il s'est nourri des scènes ennuyeuses et obscènes; s'est comblé du sacré comme du blasphème.
déjà, il est soumis tout entier au tremblement qui secoue d'ordinaire les animaux sauvages à l'approche d'un feu de forêt, d'un déluge, d'un cataclysme... (ce tête-à-tête dans le secret d'une chambre d'hôtel, tu n'y as pas le droit !) la proximité de ce visage séduisant a tout d'une agression et repeint les joues d'ikal d'un embarras confus aux nuances outrancières, si bien qu'il entend les accusations sans vraiment les comprendre. zana hysenaj n'a pas porté sur lui de grondements sonores, et surtout, il ne l'a pas touché, pas encore -

non, il ne le touche pas, il le saisit, le capture, et c'est suspendu entre deux battements qu'ikal doit lutter contre la délicieuse nausée de ce terrible contact. j-je.... pathétique, comme il bafouille, tout occupé qu'il est à rattraper son coeur parti à l'envolée ! je suis d-désolé.... il a compris qu'il ne peut pas mentir, alors il n'en faut pas bien plus pour que les larmes lui brûlent la rétine. lui qui s'est accomodé à récolter les fautes des autres - plus amères mais aussi moins lourdes à porter - n'aurait jamais pensé faire face aux conséquences de ses propres actions. que c'est cuisant...! il lui est là impossible de puiser en lui-même un quelconque semblant de mansuétude.
je vous ai observé, c'est vrai, je vous prie de m'excuser, les poumons vidés de leur oxygène, il s'interrompt le temps d'une inspiration éperdue, m-mais c'est seulement parce que je n'osais pas venir v-vous parler je vous jure....

le cerveau déserté de toute image saine, il ne pense à rien qui ne lui ferait pas risquer l'escalade. l'objet de son effroyable désir a découvert son vice. il ne peut rien lui arriver de pire.
bien entendu, il se trompe.
les tempes tourmentées par la fièvre, il n'a pas eu l'idée de détourner les yeux. dans un battement de cils qui chasse la buée, reformée aussitôt, il implore : s'il vous plaît, ne me regardez pas comme ça.... de quel droit osez-vous porter sur moi la marque de votre dégoût ? je vous ai vu ! je sais à quels travers vous vous abandonnez ! au fond des prunelles d'ikal s'est ouverte une porte donnant sur les tréfonds fumants, gangrenés de sa carcasse : sujet à la malédiction, il renvoie, sans le vouloir, le reflet du dédain qu'on lui inflige.
je ne cherchais qu'à vous plaire...
alors cessez de prétendre, ne dénaturez pas votre beauté de ces expressions factices ! je vous connais mieux que vous ne le pensez.

(violence)
c'est vrai : ikal a vu, inévitablement, ce qu'il n'aurait pas dû voir. le regard brouillé par les larmes suspendues à ses cils, il sait maintenant qu'il en paie déjà le prix.
zana hysenaj retire son gant et il frémit, les yeux fixés sur les doigts lentement dépliés dont il redoute le contact autant qu'il le désire. il envisage un instant le recours aux pouvoirs en ultime rempart, mais la douleur le prend de court. le bruit de la gifle est terrible ; c'est une violence inouie qui l'envoie plusieurs pas en arrière, le coeur tambourinant contre ses tempes. il en est si stupéfait qu'il ne pense pas à couvrir sa joue encore brûlante du coup. à vrai dire, il n'a pas le temps de comprendre ce qui lui arrive : son dos s'enfonce dans le matelas, sa tête bascule en arrière et de sa gorge ne parvient à s'échapper qu'un geignement plaintif et lamentable.
l'objet de son désir le surplombe dans toute sa splendide cruauté, impitoyablement tentateur, délicieusement effroyable - c'est là la plus belle punition qu'il lui ait été donnée de contempler, de subir. pardon, il implore, pardon, encore, pour survivre au châtiment. pourtant, il souffre encore, frappé par la sentence de son propre crime : elle a le goût du sang dans sa bouche. ce sang s'écoule depuis ses narines et achève sa route aux commissures de ses lèvres, vaine tentative de le purifier de la putréfaction qui lui ronge l'intérieur. bientôt il manque d'air, victime de l'étau refermé autour de sa gorge et c'est une vision bien misérable que ce visage candide dénaturé par la frayeur, éperdument accroché aux vestiges d'oxygène dans l'espoir de former sa malheureuse supplication : mal... v-vous me faites mal... c'est à tâtons que ses mains cherchent celle qui entrave sa respiration - même lorsqu'elles la trouvent, elles s'attardent sans force sur cette peau dont il a rêvé, échouent à lui faire lâcher prise.
pardon, je suis désolé, je ne sais pas ce qui m’a pris, et quel honteux mensonge ! son sacrilège n'a rien d'une maladresse. c'est le minutieux rituel d'une tradition voyeuriste vouée à satisfaire ses sombres penchants.

dans ses tympans, la voix suave s'immisce, occupe ses sens, endort la raison. le regard ravivé d'une lueur nouvelle et inquiétante, les poumons approvisionnés à grand peine, il se livre à l'honnêteté dangereuse à laquelle on le contraint : je cherchais à vous connaitre, je me suis dit que vous ne le sauriez jamais, vous ne m’aviez jamais regardé jusqu’à ce soir, alors voilà, moi je vous regardais, enfin je vous admirais plutôt. va-t-il recevoir un autre coup ? il ne ment pas, puisque c’était bien pour lui un spectacle, une consécration d’un amour malade qu’il vouait au fils de l’amour même, une passion aux relents grotesques et méphitiques. c'est d'un son sourd qu'il en relate l'histoire - un son qui ne semble pas lui appartenir et qu'il entend de loin. je me suis introduit dans votre chambre par projection astrale. je vous ai observé plusieurs heures. je vous trouvais beau, intrigant, j'étais curieux d'en voir plus. vous avez regardé ce film, la ballade du soldat, je l'ai regardé avec vous. je vous ai vu verser une larme et je me suis dit que cela vous émouvait. puis je vous ai vu nu, devant votre miroir - brutalement, il s'interrompt dans un souffle pénible. il ne doit pas en dire davantage, il ne peut pas, simplement il n'a pas le choix, puisque l'ordre s'est immiscé dans les pores de sa peau. j'ai tout vu de vous. votre amour et votre perversion. vos vices que vous n'avouez qu'à vous-mêmes. je vous ai admiré alors que vous vous admiriez, j'ai été un peu soulagé de constater qu'un être aussi beau que vous est aussi capable de tout ça. il avoue son blasphème, et plus encore : son jugement, son dégoût, son envie. je vous aime, malgré cela, vous savez. ultimement, il lui confie le caractère pathologique de sa nature, cette nature même qui l'a poussé à ravaler son écoeurement afin de l'épier dans les tréfonds de son intimité la plus foncièrement humaine.
quand il se tait, il est mortifié d'avoir même ouvert la bouche, épuisé des phéromones qui l'ont forcé à la parole.
au-travers du désarroi qui lui obscurcit la vue, il lui semble que son bourreau pleure aussi.

regarde-le bien ikal, regarde cet être dont tu as révélé la monstruosité, regarde-le et comprends qu'il n'est pas en mesure de te tuer. penché sur toi de cette manière, ce n'est pas pourtant l'envie qui doit lui manquer. et s'il osait ? il existe bien un joli monde dans lequel sa main se referme sur ta gorge et ne lâche plus prise, un monde dans lequel ses coups effacent ton visage à tout jamais, alors il n'en resterait rien, rien du tout, rien qu'un trou béant dont les restes finiraient rongés par les vers,
et si et si et si et si
sans aucun doute, ce serait d'une beauté à s'en pâmer depuis les enfers - à en pleurer, s'ils ne pleuraient pas déjà tous les deux. mais pour le voir il faudrait qu'ikal ait toujours ses yeux ! comment y renoncer quand il goûte à ce trésor funeste, celui-là même qui déborde des paupières de son tortionnaire et le contamine ? il a le goût du métal, de la rouille, en somme le goût du sang.
(et toi qui a détesté ta mère, séduite par l'étreinte de la Mort dans l'instant précédant sa fin, tu es bel et bien fait à son image !)
puisque zana hysenaj ne veut pas de son pardon, ikal ne s'excusera plus.

de toute façon, la formule s'est vidée de son sens il y a bien longtemps. les stigmates écarlates que dessine le fouet repentant n'ont jamais attendri personne - au mieux, elles inspirent une pitié à la condescendance nauséabonde. c'est une passion qu'ikal ne veut pas voir exister dans son fantasme.
zana lui dit vous ne prenez sans doute pas toute la mesure de ce que vous avez vu et ikal pense qu'il a tort : il a vu, tout vu, il sait tout, tout, ainsi il pense le comprendre comme personne ne saura le comprendre. zana lui dit c'est la première fois que l'on me parle ainsi et ces mots réveillent en ikal un bonheur étrange et vain dans tout ce qu'il a de plus anormal. suspendu à ces lèvres qu'il peut maintenant observer de près, il n'ose les effleurer que d'un souffle regrettable : oui, si tel est votre désir, cet abandon est tout ce dont il est capable.
et si
et s'il pouvait en faire davantage ?
je pourrais vous comprendre, pour de vrai. il ne sait pas ce qu'il dit.
ses yeux sont deux gouffres ardents au fond desquels s'élèvent les flammes de l'asphodèle. d'un lent battement de cils, ikal donne à zana, un seul instant, un aperçu de ce qu'il peut lui apporter - c'est une esquisse hypnotique faite de volupté et de pensées fugaces qu'il a le pouvoir de susciter sans une parole. il lui insuffle la saveur d'un amour que personne d'autre n'a le droit de voir, et alors il lui montre
pardonnez-le, il ne sait pas ce qu'il fait
que seul lui saura le combler.

étrangers à la promiscuité soudaine et par essence nauséabonde, ils sont passés du vous au tu sans autre forme de procès ; des regards dérobés au comptoir dans l'indifférence la plus ordinaire aux prunelles accrochées en l'absence d'échappatoire, cette déformation de leurs rapports ne peut s'opérer que dans la violence la plus extrême et la plus impie. contraint de soutenir le poids de ce nouveau regard à l'intimité catastrophique, ikal ne devrait pas pleurer davantage ! car même ses cils ne l'abritent plus désormais. aussitôt ravivées, les étincelles sous ses paupières se sont éteintes : maintenant, c'est à son tour de s'enliser dans le cosmos de ces yeux noirs au fond duquel il ne trouve aucune lumière.
de sa gorge à sa joue, la main gauche de zana s'est déjà si généreusement attardée sur son visage ! emprisonnées entre ses doigts, les lèvres d'ikal s'entrouvrent - et laissent, sur ses phalanges, des baisers sanguinolents. déjà haletant, noyé dans la chaleur de son propre souffle, le front moite et les tempes brûlantes, il s'imprègne de la saveur entêtante de ce partage à grandes goulées. que se passe-t-il ? que lui arrive-t-il ? ikal, que t'arrive-t-il ? respire-t-il le plaisir de cet homme, dont les soupirs choient contre sa mince enveloppe ?
sens-tu son goût sur ta langue ? il remarque, apprend qu'il n'existe pas un atome entre leurs deux corps qui n'est pas chargé d'une senteur capiteuse. voilà donc à quoi ressemble le sacré ! ce n'est pas un rayon que l'oeil peut admirer ; une surface que la peau peut caresser ; c'est une odeur, un sel qui agresse les papilles et reste longtemps sur le palais, une de ces fragrances qui tire le coeur au bord des lèvres et prend de cours par son évidence - comme une réminiscence.

il promet : je resterai, assailli d'un plaisir rappelant une peur ancienne, presque oubliée, pensant qu'ainsi il saura s'en sortir. il geint : merci, un peu comme il dirait pardon. il s'accroche à zana juste en-dessous de ses épaules, les ongles enfoncés là où la fermeté des muscles tendus abrite une chair tendre. il en rêvera encore. faute d'avoir reçu la permission, il n'ose pas le toucher autrepart. cela ne compte pas, cela n'a pas d'importance, zana l'écrase de tout son poids, de tout son corps, de sa volupté - il n'y a de place, dans l'univers, que pour ce présent-là. étouffant, accablant tous les sens, il n'autorise aucune concession. et puisqu'il ne peut pas s'en défaire c'est presque immobile qu'ikal se prosterne à ce dieu - dans le plaisir sacrilège trahi par le tremblement de ses cuisses se trouve sa religiosité.
pas une seule fois il ne pense à fermer les yeux : chaque son ou silence de zana est une injonction à soutenir son regard, sa jouissance est un faveur qu'il ne mérite pas et à laquelle il ne saurait se dérober.
il faudra qu'ikal le vouvoie toujours : je vous remercie. cette fois sa voix est chargée d'une ferveur qui ne s'excuse plus, alourdie d'une extase qui n'est pas la sienne et qui l'a laissé à bout de souffle. il en a été nourri, gavé, s'en est abreuvé avec excès jusqu'à la lie. ne reste qu'un vertige dévastateur.
de quels futurs rituels s'inspirera sa dévotion ?