Sa maison était un havre non loin de la mer, une île reliée à la terre que les troubles ne pouvaient pas atteindre—elle y vivait les tempêtes à l’abri, tranquille dans l’effondrement du monde. On venait y trouver la paix, ainsi, elle y avait invité Cecil ; pour qu’il vienne, peut-être, se baigner de la lumière de sa vie futile qui lui ferait comme une auréole. C’était une lumière chaude comme celle du soleil, tendre aussi, qui viendrait coucher sur sa joue avec la douceur ingénue des innocents qui ne se savent pas pris dans les désastres : Arden était lavée de tout ce sang, jamais entachée des crimes des pécheurs que le hasard déposait dans son jardin ; elle puisait sa constance dans son cosme bien à elle, fait d’ordre et d’habitudes. Aujourd’hui, Cecil y entrerait—il en avait toujours fait partie.
Elle ouvre la porte, laisse s’engouffrer chez elle le vent d’avril qui portait les embruns lointains : son sourire est radieux. Plus tôt, il avait plu, un de ces grains océaniques venu s’échouer chez elle, lui aussi. L’air sentait toujours l’herbe humide et les pivoines encore timides, bien rangées devant sa maison, brillaient des gouttes iridescentes sur leurs pétales encore jeunes. C’était très beau ; Cecil aussi, était beau—Arden était allée à l’étreinte sans hésiter, donnant son corps avec abandon pour la tiédeur de ses paumes.
Bonjour ! Allons-y, oui, je suis prête.
Son regard glisse sans pudeur sur les marques qu’il porte au cou, elle n’en dit rien. Elle l’avait connu sans stigmates, détourne les yeux de la trace de ses batailles et ne laisse pas fléchir son air tendre. À ses côtés, Arden est bien sage ; son indifférence n’est pas feinte parce qu’elle se garde loin des troubles, sereine dans l’ignorance et portée par la constance de ses sentiments pour lui. La ligne de la mer se rapproche, mais c’est lui qu’elle regarde—ses yeux sont noirs pour avaler sans crainte ses inquiétudes.
Je n’en pense rien. Tu as été innocenté, non ? C’est tout ce qui compte.
La pluie avait lavé la clairvoyance avec laquelle elle s’était faite observatrice des guerres de Cecil et de son frère, terribles de rage et de violence ; elle ne voyait plus que lui, ici, aujourd’hui, et elle savait qu’elle pourrait l’aimer.
Ce qui m’inquiète, c’est que ça doit encore te préoccuper, ça a dû être difficile à vivre. Est-ce que ça va ?

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Le sable clair et encore froid se déforme de la trace de leurs pas, tranquilles et assurés ; ils savent déjà où ils se mènent sans crainte—Arden ne devine pas le gouffre, la chute, qui l’avalera un jour sans possibilité de retour. Elle ne se trouvait pas naïve, simplement dévouée, et son adoration amoureuse tenait du religieux plus que de la tendresse. Pourtant, elle était tendre, très tendre même, dans la tiédeur de ses phalanges esseulées ou dans le long frisson qui avait couru son dos quand leurs doigts s’étaient frôlés : elle entendait les vagues s’écraser au loin et le vent ornait sa peau de sel, mais elle n’écoutait pas, ne sentait, encore et encore, que le contact bref de leurs mains ; elle saisirait elle-même sa paume, sans pudeur, parce qu’elle n’avait rien à lui cacher (et certainement pas la chaleur de sa chair), mais elle attend que vienne l'audace, la sienne, et qu'il soit celui qui offre sans détour sa peau brûlante.
C’est horrible, d’aller aussi loin. C’est horrible d’être prêt à faire ça à son frère.
Quand elle le regarde, elle ne lit rien de faux dans ses stigmates : sa peine est de cette sincérité touchante que portent les justes, à qui il ne faut pas mentir. Arden ne lui veut que du bien, le pétrir d’un amour vrai qui fera comme un baume sur ses plaies encore vives—elle voudrait, aussi, qu’il ait besoin d’elle : elle serait très sainte, s’il voulait bien offrir sa nuque, ployer la tête en prière.
Enfin, il prend sa main ; elle accueille l’étreinte timide de leurs peaux en pressant doucement la sienne, comme une invitation ; se laisse entraîner jusqu’à la plage, docile, comme il l’aimait. Arden ne voit la mer que dans l’angle de ses yeux noirs, une impression floue teintée de bleu qui semble fade, ça ne l’intéresse pas, c’est Cecil qu’elle regarde de ses iris aux courbes sibyllines qui ne cachent aucun secret.
Qu’est-ce que tu veux me demander, Cecil ?
Elle s’approche de lui pour étendre l’étreinte de leurs corps, leurs bras se frôlent alors dans l’élan de son ardeur ; elle brille d’un sourire en demi-lune qui porte des promesses—demande lui, Cecil, elle dira toujours oui.

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Elle donne son visage en adoration, accueille ses paumes froides sur ses joues roses comme une bénédiction pleine de tendresse—c’est une invitation à ne pas détourner le regard, embrasser de ses yeux noirs les iris bleus de Cecil comme une sainte énamourée : sur la plage, dans un élan très romantique, elle se laisserait crucifier, n’hésiterait pas, se donnerait en martyre de son amour à elle et de ses ambitions à lui. Elle se dit qu’ici, c’était parfait : le vent était alourdi des embruns et, après la pluie, l’air portait encore l’odeur mouillée des lilas. Elle avait laissé sa main orpheline se glisser à la hanche de Cecil, puis avait sans pudeur enserré sa taille de ses avant-bras, nouant ses doigts dans le bas de son dos pour s’offrir toute entière dans l’étreinte, laisser venir à elle la demande pour y répondre par une promesse sincère. Elle aurait dû savoir, peut-être, qu’il la voulait bien trop docile : sienne ; que c’était un serment avarié par des mensonges dont elle ne trouverait pas les racines, ancrées dans la chair mutilée quand elle était encore jeune. Arden ne voyait que lui—ses cheveux d’or cernés par la lumière du soleil, son visage embrassé par le vent marin qui portait un temps plus doux ; même loin des rayons clairs de l’après-midi, elle se serait laissée aveugler, gentille, le pensant vrai comme elle.
Elle avait saisi le baiser sans frémir au contact de ses lèvres, les sentant brûlantes contre les siennes, qui goûtaient déjà le sel. C’était un doux rêve bien à elle, qui faisait se tordre ses viscères d’un amour qu’elle devrait craindre ; la nuque redressée pour cueillir son souffle, elle se voyait pieuse à boire son poison comme un vin de messe—elle accepterait son corps comme elle accepterait son sang.
Je serai à toi si tu promets d’être mien.
Elle avait éloigné son visage un instant, les lèvres étirées d’un sourire sibyllin : elle noierait son ardeur dans la mer, offrant son âme aux tragédies en échange d’une promesse—rien de plus.

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C’est un serment prononcé du bout de la langue, serpentin, le sais-tu, Cecil ? C’est une promesse tenue devant la mer, le ciel, et toutes ces choses qu’elle chérit avec tendresse et dévotion—prend l’océan pour témoin de la fidélité jurée comme si elle était dite dans une église. Il faudrait l’honorer : être sincère et doux, juste dans ses confessions, ne plus lui mentir ; c’était pécher que de se détourner d’une martyre si pure, écartelée au soleil pour donner son coeur entier, le découvrir, en écorchée qui donnait sa chair, son sang, son être—tout, tout, tant que rien n’était vain. Il avait dit je le promets : cela vaut quelque chose, prononcé ainsi sur la courbe du monde, brûlé par le soleil. Elle donnait son sourire en réponse au sien, offerte toute entière, les joues roses de l’affection dont elle se transverbère. Le souffle de Cecil est chaud contre la courbe de son oreille, c’est de l’amour, pas vrai ? Il pourrait compter sur elle, c’est vrai—Arden était de ces amantes placides à la ferveur constante, elle ne connaissait pas le soir. Elle dit : tu peux, et c’est une main tendue, paume offerte au ciel, une attente languissante car elle se gaverait de ses maux, consolerait ses peines, s’oublierait totalement. Elle avait cette manière toute silencieuse de s’oublier, en transparence, se façonnerait à son image, celle de Cecil ; elle tait le fourmillement de ses pensées pour se nicher dans son cou mordoré qui sent l’ambre et le savon.
Je suis heureuse.
C’est une joie désordonnée et généreuse, elle ne sait pas la sienne stérile, sent sa peau brûler et cueille ses lèvres avec tendresse ; c’était son droit charnel, celui de la possession des corps. Sa bouche est pressante et ingénue, l’heure est belle et ses yeux noirs ont l’éclat des orionides—la voilà sainte, transfigurée. Elle rompt l’étreinte avec regret, délie leurs lèvres comme des vagues tirées par le reflux.
Tu veux continuer à marcher ? La mer est belle.

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