tw : mentions d'abus par surprotection

À l’apothéose de l’été il nait à sa mère comme une bénédiction.
Couronné divin aux cris des premiers jours, elle lui souffle enfant de Dionysos avant son prénom, avant son amour, sans réclamation autre qu’une certitude aveugle tatouée sur la langue. À l’image contraire de son père il nait désiré, vénéré par une femme qu’il siphonne corps et âme avant même de voir le jour.

L’amour de Leila est un soleil écrasant. Lorsque l’enfant parle très tôt, beaucoup et sans réserve, elle déclare à ses lèvres le génie des poètes ; lorsqu’il tombe et s’érafle les mains elle crie à l’affront qu’il porte à son corps et son effroi est tel que l’enfant grandit dans la terreur de la blessure. Elle lui chante les louanges d’un dieu qu’elle-même ne connait pas au-delà de l’aventure brève, et dont elle invente les dimensions qui en feraient amant, parrain, parent. Le père est alors une flétrissure sur la peau, un stigmate inévitable, indissociable à sa sanctification. Ivy se contraint à l’aimer dans ses absences, à ravaler ses désirs enfants et mortifiants de s’attendre d’un dieu les affections d’un père. L’amour est déroutant, la dévotion : déplacée, tordue jusqu’à s’en rompre, renversée sur lui comme une croix que l’on subit, et lui, enfant confus et indolent, s’en abreuve comme de la seule essence à sa valeur.

Leila lui refuse école et amis, mais elle-même dépassée par l’insurmontable charge d’être seul parent à un enfant qu’elle voyait mériter le monde, elle apprend à déléguer, et il apprend à obéir.
Il grandit sous l’emprise d’une ferveur qui le dépasse, en regardant sa mère rapetisser au fil des années comme si elle s’arrachait au corps des bouts de sa propre chair pour l’en revêtir, qu’il ne manque de rien si ce n’est de l’enfance qu’il voyait défiler de loin, par la fenêtre, dans la cour de jeux de leur complexe d’appartements. L’adoration pour lui se forge à jamais dans la silhouette dégradante et dégradée de sa mère, dans la cyphose exténuée de sa nuque et les mots de son amour cruel ponctués de soupirs.
À l’aboutissement de l’âge tendre elle le porte comme une consécration ; il se porte comme un œdème.

Il pense à partir, s’envoler, leur offrir à tous les deux une vie, à tous les deux une fin.
Et la fin vient un matin d’automne. Les gouttes d’une pluie tendre se font la course contre la vitre, leur trajet imprévisible lui capture le regard jusqu’à ce que ses yeux dévient, quelque part plus loin dans les feuillages de la cour. Il fixe un même point intensément.
« Maman, il y’a un homme avec des pattes de chèvre dans la cour. »
Elle ne lui donne pour seule réponse que le fracas de l’assiette qui lui glisse aussitôt des mains.

Il s’arrache à son étreinte comme d’une statue pétrifiée, le cœur en lambeaux de terreur et de deuil mais surtout de la soif de l’au-delà, au-delà ; la libération.
Pour la première fois de sa vie il court sans se retourner.