C'est un club que tu affectais particulièrement, Duke. Il avait su à faire muer l'ennui en principes. Les femmes et les hommes à votre disposition jouissent d'une morale à faire rougir les humains les plus enclins à croire que la perversité n'en est pas une, dans une chambre et en silence. Toi tu préfères la démonstration - la folie des mortels prêts à s'autodétruire pour ressentir. Ça, ça te parle. Alors tu pousses les limites à leur paroxysme pour voir jusqu'où ce corps peut te servir.

Et comme à chaque fois que tu chatouilles la ligne, tu plonges pour la dépasser et te prélasses de l'autre côté. Par pure provocation et peut-être par détresse émotionelle, tu contactes celui qui s'énervera suffisamment face à tes messages pour venir te ramasser. Et te cogner aussi, qui sait !

Quand Cerbère arrive, tu es allongé par terre, une prostituée sous le bras et un sachet de petite pilule roses dans ta main libre. L'autre caresse avec volupté les courbes dénudées.

Putain de merde ! Ta sale tête me donne envie de me suicider ! Et quand je pense que normalement tu en as trois...

Personne ne réagit, tout le monde est déconnecté de la réalité. Ils te prennent tous pour un fou et ils ont bien raison.

Lucius te soulève de terre pour t'envoyer valdinguer contre un mur. Tu le heurtes avec fracas et ricanes nerveusement. Il te tient en joug et si proche de son haleine, tu lui régurgites dessus.

Aaah...

Tu lèves un doigt.

Désolé.

Mais tu vomis encore. Et tu n'es surtout pas désolé.
Tes yeux s'accrochent à un point d'encrage. Tu papillones des cils pour dissiper le brouillard qui floute ses contours. Enfin son visage te parait net. Tu peux affirmer sans détour :

Ça va mieux. Ça va super. Je pète la forme.

Il recule, sûrement sous le dégoût. C'est ce que tu crois voir mais il se peut que tu fabules, comme toujours.

Oh fais pas cette tête ! Tu en as vu d'autres... Tu sais... quand tu étais...

Comme si c'était un tabou sujet entre vous, tu pointes timidement le sol pour sous-entendre en bas d'un air faussement conciliant.

Évidemment qu'il s'enflamme. Il hurle et tu plisses à demi les yeux, un léger sourire imperceptible au coin des lèvres. Tu es bien lucide quand tu le veux Duke, ça t'arrange qu'on te pense fou et ça ne te fait pas mal au coeur qu'on puisse te dévisager avec mépris ou pitié - tant que la haine grouille sous leurs pieds. Il te menace et tu existes par ce simple fait. Il est venu et tu as déjà gagné.

Il déchire le tissu mouillé et te l'enfonces dans la bouche. Tu t'étouffes un instant et sursautes quand son poing vient défoncer le mur juste à côté. Tu ignores ses états d'âme tout en étant fasciné par ceux-ci. Aah... le chien des enfers t'avaient manqué. Une éternité à vous détester et quelques semaines de sérénité suffisent à t'ennuyer. Tu craches le tissu par terre et grimace sous le goût désagréable de ta propre bile. Qu'importe ! Ce qui est sorti peut bien re-rentrer.

Oh... Épargne-moi le regard déçu et la morale à deux balles. Je profite de la vie, moi ! Je tue le temps pendant que ces soit-disant héros se cachent sur leur île de merde !

Si tu consommes tout ce qui est à ta portée, c'est pour combler le vide.

Tu ne sais pas ce que c'est...

Tu te contractes vers l'avant, le regard exorbité d'un discernement semblable à de la démence.

Tu n'as aucune idée ! AUCUNE IDÉE ! DE CREVER LA DALLE !

Tu te jettes sur lui pour vous faire basculer par terre. À cheval sur lui, tu saisis brusquement son cou pour attirer sa tête vers la tienne.

C'est dommage... que tu me regardes comme ça... tu n'es bon qu'à obéir aux ordres mon chien-chien. Et les ordres, c'est maman ET MOI !

Tu te prends le coup de poing en pleine figure. Alors que ton corps s'envole vers l'arrière contre une table basse en verre que tu exploses sous le choc, tu songes à quel point les humains sont faibles et comment cet enveloppe charnelle n'est qu'un châtiment divin, encore. Ne pourraient-ils pas vous achever une bonne fois pour toutes ? Vous n'auriez pas à subir la faim.

Tu gis entre les débris, le dos tout aussi en miette. Immobile, presque mort, tu ouvres brusquement les yeux pour fixer les lumières artificielles qui clignotent de toutes les couleurs au-dessus de vos têtes. Ah. Tu te sens gronder. Est-ce que tu vas te transformer ici, à la vue de tous et toutes, pour le dévorer ?

NOTRE mère, chien-chien.

Tu te redresses lentement. Le pouvoir de régénération fait son effet tes blessures disparaissent les unes après les autres. Les os se remettent en place et les légères coupures font places à une peau lisse. C'est pour ça, que tu es au-dessus de la chaine alimentaire, Duke. Pour ça que tu vas l'écraser sans même y penser.

T'as presque réussi à me foutre en rogne.

Tu fais craquer les articulations de ta nuque.

MOI JE VEUX JUSTE QU'ON S'ENTENDE BIEN ! QU'ON SE SOUTIENNE ! COMME DES FRÈRES !

Tu tapes du pied.

Mais non mais non... Regarde. Tu es venu. C'est parce que tu tiens à MOI. C'est parce que tu m'AIMES.

Tu sais toujours exactement quoi dire pour le faire vriller - pas grand chose.

Ou parce que tu es trop conditionné à obéir... Arf. Dis-moi Lucius, qu'est-ce que ça fait de savoir qu'Hadès ne se déplace même pas pour venir te chercher, lui ?

Face à ces injonctions infernales, tu n'y réponds que d'un rire guttural. Tu as le regard des fous qui savent très bien ce qu'ils font. Gangrené par la faim, elle te tiraille entre aspirations et conspirations. Peut-être bien que Cerbère devait se trouver ici, aujourd'hui - pour que les constellations s'alignent. Bientôt le ciel sera terni de rouge et l'Olympe chutera dans les Abysses. Quand ça arrivera, tu veux décimeras tes frères et soeurs. Quand ça arrivera, tu les engloutiras pour les recracher dans le Tartare. Quand ça arrivera, il ne restera qu'Echidna, toi ; et tout ces petits mini-dieux en encas.

Woh, woh, woh. Lucius... Calme-toi.

Tu passes une main devant ta bouche pour dissimuler le sourire ouvertement moqueur qui déforme ton visage.
Mais c'est trop tard, il plonge sur toi. Tu ne l'esquives pas, te laisses emporter dans la lutte ; embrasses les ombres qui se fondent autour de lui, foncent vers tes bras.

C'est ça ton problème, tu te mets trop facilement en colère.

Et tu ne lui en veux pas - tu le remercierais à genoux d'être aussi prévisible. Tu sais pertinemment, Duke, que son inconstance te sera toujours à ton avantage. Les impulsifs foncent tête baissée et tu t'écartes toujours du danger (avant qu'il ne te soit fatal).

Tu ouvres la bouche pour souffler une pluie d'acide dans son cou, pas suffisamment pour pouvoir l'atteindre gravement - mais sous les postillons moites et toxiques, la peau crépite et rougie, se gangrène de pustules brûlantes.

Tu profites de sa surprise pour enfoncer ton genou contre son ventre, ainsi le plier en deux et caresser l'arrière de son crâne, dans une étreinte pittoresque. Tu chéris sincèrement l'amour que vous vous portez mutuellement.

Oh non ! Lucius ! Tu es blessé !

Tu l'allonges au sol et le surplombes, les mains contre les hanches.

Je te dirais bien : fais-moi mal en retour mais sans façon.

Fais-moi mal, fais-moi mal !

Au moins on est deux. À cette déclaration propice, tu craches un filet de sang sur lui, le regard écarquillé. À te voir figé on pourrait croire que c'est la Mort qui s'est approchée. Thanatos lui-même vous rend visite, tu crois déceler son ombre dans les kaleidoscopes fluos des néons. Tu passes une main sur la blessure infligée par ses griffes. Le corps déchiré, tu recules brutalement et te laisses tomber en arrière, raide.

Aaah-AARGH. Urh. Adieu.

Jusqu'à ce que le jeu ne t'amuse plus. Tu étires un sourire et t'essuies la bouche comme si de rien n'était. D'un revers de la manche, tu tâches ton beau costume. Dommage, tu venais de le laver. Tu fléchis les genoux et te remets debout. La blessure se referme lentement et ne laisse qu'un vêtement déchiré et teinté de rouge.

Moi, j'ai bien aimé.

Vous pourriez jouer à ça tous les jours que tu ne te lasserais pas une seule seconde.

T’es vraiment un monstre.
À ce compliment (que cela pouvait-il être d'autre ?) tu mimes une belle révérence.

Merci, mon frère. Mais toi aussi... ne t'en fais pas.

Autour de vous, les mortels ont commencé à prendre légèrement conscience de ce qu'il se déroule maintenant monstrueusement tout autour d'eux. La pute qui, dormait sur toi, il y a encore un quart d'heure, pousse un hurlement aigu à la vue du carnage.

Lucius.

Tu hausses les épaules.

Tue-la pour moi.

Ordre de son bras droit.

Quoi ? Cette pauvre créature ? Tes yeux fous se posent sur la fille que Cerbère s'est empressé d'attraper dans ses filets. Tu n'es plus en état de rire Duke, tu dissocies complètement. C'est la faim et la folie qu'elle te procure qui ont pris le dessus sur tout le reste. Tu t'agites nerveusement, enfonces tes ongles dans ta peau, roules des yeux et frappes ta langue contre ton palais. Ah. Ah. Ah. Tu dérailles. N'attends que le sang qui giclerait de sa jugulaire pour t'en repaître. Mais il ne se passe rien car le chien-chien des enfers a décidé qu'il n'y escorterait plus personne avant demain.

Je ne t'ai pas demandé de-

Tu fais jouer des tes épaules. Tu as l'air aussi excédé que sur le point de craquer. Tu serres les poings à ta taille.

... de lui demander... son avis.

Tes yeux pleurent des larmes invisibles, alors que tes longs cils papillonnent en direction du sol. Tu fixes un point flou, sur le point de retrouver progressivement contenance.

Je fais ce qu'il me plait, voilà tout.

Réponds-tu d'une voix morne, à côté de la plaque.

Si tu ne veux pas le faire pour moi, soit. Je vais m'en occuper moi-même. Tout seul.

Sans rien ajouter de plus, tu te diriges vers celui désigné comme le videur. Dans ce petit club miteux et illégal, il n'y a rien à surveiller car il ne se passe rien dans ce local, pas vrai ? Tu n'avais eu besoin que de lui tapoter l'épaule pour lui faire tourner la tête, et ainsi lui trancher la gorge. Derrière vous, les futures proies (lucides) se mettent à hurler. Tu te penches sur le corps du videur pour ramasser son flingue.

Je déteste leurs armes.

Tu tires méthodiquement sur toutes les silhouettes à ta portée. Lorsqu'il n'en reste qu'un seul, profondément endormi sous l'effet des stupéfiants, à moitié nu sur un des canapés, la pistolet se cabre. Il n'y a plus de balles.

Ah.

Tu laisses tomber l'arme par terre et t'assois par terre, enclin à une profonde réflexion. Tu finis par éclater de rire.

J'ai hâte de voir ces pauvres idiots de la police enquêter sur ce meurtre sanglant ! Remarque, ça arrangerait nos affaires qu'ils tombent directement sur le coupable tout trouvé, non ?

Tu te redresses d'un bon et tapes dans le dos de ton frère.

J'allais te demander de nettoyer mais plus la peine de me décevoir maintenant en désobéissant. Il n'y a plus besoin.

Et l'odeur du sang calme tes pulsions.