Nate t'avait parlé de t'adoucir, de faire un pas envers ta famille. L'idée aura fait son chemin, aura macéré pendant des mois avant que tu ne lui en donnes enfin corps. Pour ta défense, un kidnapping et un monstre étaient passés entre temps.

Sur le chemin de la boite d'Agôn district, tu te poses sérieusement des questions sur toi-même. Lorsque tu avais évoqué l'existence de cette soirée avec Diane avant de la quitter tu lui avais soufflé : "Ils ont peut-être raison, Diane, je deviens vraiment fou.". Tu avais quitté l'appartement de l'olympienne le dos courbé, comme un soldat sur le chemin de la guerre. Tes adelphes, eux, étaient aussi surpris qu'enchantés. C'était probablement l’événement le plus lunaire de la fratrie depuis des semaines et tu sais que tu vas en entendre parler longtemps. Attends que Lazare l'apprenne, tu en es quitte pour tomber un traquenard dont ta tête risque de se souvenir pendant longtemps. Arrivé devant la boite tu songes à trouver une excuse pour partir, l'idée de te lâcher devant tes adelphes te terrifie. Est-ce que tu perdrais ton autorité ? Ta crédibilité ? Un chef se devait d'être droit dans ses bottes. Mais les battements agités de ton cœur sont surpris par un de tes adelphes.

— N'y pense même pas papy.
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
— À d'autres, puis tu vas voir, nos potes sont cool !

Tu hausses les épaules, sûrement qu'ils le sont.
Vous entrez rapidement grâce à toi, tu es ambassadeur, on peut difficilement te refuser l'entrée de quoi que ce soit. C'est peut-être pour ça, que tes frères ont décidé de t'embarquer avec eux. Vous descendez des marches en fer pour pénétrer dans une énorme salle aux allures de grottes ambiance néon et grosse basse dans les oreilles. Tu repères une piste de danse, un large bar sur le côté et des canapés et sièges où de nombreuses personnes sont occupées à boires et discuter. Soudain, un de tes frères hurle en agitant les mains.

— HEY LES GARS ON EST LÀ !!

Tu suis ton frère du regard, occupé à courir vers une table entouré de fauteuils. Tu t'approches et par-dessus ton épaule, tu le vois lui.

— Leslie ?

Et tu sais Bellamy, à la seconde où tu le vois, que quelque chez toi ne va pas bien.

Ton frère passe un œil curieux de toi à Leslie. Tu prends place en face de lui. Merde. Tu te sens tendu tout un coup. Tu te rends compte, Bellamy, que si tu n'es pas mécontent de le voir, tu en es en revanche terrifié. De peur que tes frères entendent ton cœur accélérer tu prends une seconde pour forcer ton palpitant à se calmer.

— Alors comme ça, vous vous connaissez ?

Tu fronces les sourcils en voyant Leslie passer son bras autour de l'épaule d'un de tes frères. Son pied qui frôle le tient manque de te faire sursauter. Tu n'apprécies rien de ce qu'il fait. Son bras, son pied.

— Brièvement.

Tu es injuste et tu n'as pas réfléchit. Tu comprends pas pourquoi tu es à ce point dérangé. Et le cocktail qu'il avale d'un coup sec n'arrange rien.

— Vous devriez ralentir, on n'est pas chez Hermes express, ici.

Ton frère à côté de toi ricane avant de te donner une bonne tape dans le dos.

— Whoua, tu fais de l'humour !
— Ta gueule, Shaun.

Ton frère semble hésiter une seconde avant d'éclater de rire. Tu te lèves, tire sur ton nœud de cravate.

— Je vais me chercher à boire.

Derrière toi tes frères, chaotiques agitent les mains.

— UN SEX ON THE BEACH POUR MOI !
— DEUX !

En passant devant Leslie, t'en profite pour lui prendre son verre dans un regard plein de jugement. L'air de lui dire, muet : finis les bêtises.

Il te tend. En fait, ils te tendent tous. La fuite au bar n'allège pas ton supplice. Leslie t'a suivi. Tu lui jettes un coup d’œil sans oser, sans savoir quoi lui dire. Tu ne supportes pas cette tension dans ton ventre, ce sentiment de culpabilité qui t'attrape à la gorge pour t'étouffer. Tu te sens prisonnier de sensations et de sentiments sur lesquels tu n'as aucune prise. Et on sait comment tu traites ce que tu ne contrôles pas. Finalement, tu ouvres la bouche, va pour glisser quelque chose mais il faut que ton crétin de frère l'ouvre. Tu râles dans son dos.

— C'est maintenant que tu te bouges ?

Tu balances un drachme sur le comptoir mais avant que tu n'aies pu retrouver tes dispositions, Leslie s'en est déjà parti pour danser avec ton demi-frère. Tu as regagné ta place avec un air sombre. Les deux premières chansons, tu l'as vu danser et l'alcool fut amer. Merde. Tu ne te reconnais pas. Tu finis par te lever, désireux d'aller te rafraîchir. Tu pousses la porte des toilettes, la soirée est un calvaire et elle le devient davantage lorsque Leslie et toi vous retrouviez dans la même pièce.

— C'est pas vrai.

Être là, face à lui, est bien la dernière chose que tu souhaites. Tu songes à battre en retraite, mais la mine de Leslie avec ses joues rouges et son regard un peu brillant par l'alcool t'empêche de le faire.

— Vous devriez ralentir.

Tu le trouves ridicule, mais tu te trouves encore plus ridicule de réagir. Pourquoi es-tu aussi énervé ? Tu ne peux pas t'empêcher de penser qu'il te provoque et puis tu as le sentiment horrible que ça t'énerverait même peut-être plus qu'il ne le fasse pas.

— Je pensais que vous n'étiez pas un grand fêtard.

C'est balancé avec du reproche dans la voix.

Tu es injuste, seulement c'est lui qui t'y pousse. Voilà comment tu le ressens. Tu profites qu'il disparaisse aux toilettes pour aller t'asperger le visage à grand coup d'eau froide. Il ne faut pas longtemps pour que le fils d'Hermès ne ressorte. Le pire, c'est que tu n'as rien à redire, dans les faits Leslie ne te dois rien. Ressentir cet agacement qui est le tien sonne comme illégitime. C'est n'importe quoi et c'est bien parce que ça l'est que tu t'énerves encore plus.

— Taisez-vous.

Mais son petit rire te fait frémir. Tu te tournes vers lui plus vite que tu ne le voudrais et l'accules contre le mur, une main plaquée tout près de son oreille.

— J'ai dit, taisez-vous.

Tu le fixes quelques secondes, sembles lutter en toi-même tout aussi longtemps.

— Vous m'énervez. Tout allait parfaitement bien dans ma vie avant que vous n'y entrer.

Ton déni faisait son office. Tu ne comprends pas pourquoi il prend tant d'importance. Alors que tu aimes Diane. Tu l'aimes. Tu en es certain. Qu'est-ce que c'est que cette folie ? Un passage à vide ? Une unième manigance d'Aphrodite ? Tu te recules, les mains encore trempées.

— J'aurai dû quitter cette boite de bas étage à la seconde où je vous ai vu.

Tu tires sèchement à côté de lui un essuie tout avant de le jeter sans regarder dans la poubelle. Tu bats en retraite.

— L'ambassadeur de Dionysos s'en va, sentez-vous libre d'être aussi fun que vous le voulez.

Le "lâche" te heurte parce que tu sais qu'il est vrai. Tu as hâte de franchir cette porte, hâte de partir, hâte de courir jusqu'à ton appartement-non, jusqu'à celui de Diane pour la serrer dans tes bras quand bien même ce n'était pas prévu. C'est en respirant son odeur que tu retrouveras toute ta tête. Après ça, c'est officiel, tu vas bloquer le numéro de ce stupide livreur, tu vas l'effacer de ton existence avant de commettre une trahison que tu ne pourras jamais ne te pardonner. Mais quelque chose te retient. Tu lâches la poignée, laisse la porte se fermer avant que tu ne sortes. Tu crois mourir à sentir ses doigts contre ton bras.

— Vous.

Tu le redis avec une certaine hargne.

— C'est vous mon problème.

Et à le voir si vulnérable tu ne sais pas si ton cœur fond ou s'il brûle de colère. Tu comprends à le voir que Leslie te plaît. Qu'il t'as sorti malgré toi d'un inconfort que ton amour pour Diane ne soigne pas. Que tu es jaloux, viscéralement jaloux.

— Vous êtes le fléau de mon existence. Je vous déteste.

Qu'il te lâche, qu'il te laisse partir.

— Pourquoi avez-vous fait tout ça la dernière fois ? Vous avez rendu tout compliqué et pourquoi ? Un trophée en plus sur votre liste ?

Tu tires sur ton bras pour te dégager.

— Je veux que vous sortiez de ma tête et de ma vie. Je ne veux plus penser à vous, laissez-moi en paix.

Bellamy, pour la première fois de ta vie tu crois comprendre qu'il est possible pour un être humain d'imploser. Le sang te monte à la tête, ton corps te fait mal tant il se tend. C'est douloureux, la panique fait mal. Loin de te laisser partir il te met au pied du mur. Tu es un homme de politique, la pression est ton quotidien et pourtant tu réalises que tu aurais mille fois préféré te faire arracher un autre doigt par Duke qu'être ici.

— Je...

La porte de sortie est littéralement juste derrière toi. Tu n'as qu'un mot à dire, qu'un seul, et une porte à franchir. Après ça ce sera fini. Le choix est évident. Pourtant tu restes là, comme tétanisé devant cet homme qui les poings serrés te demande de faire preuve de courage.

— Je-

La porte derrière-toi s'ouvre avec force dans un éclat de rire. Elle te heurte le dos et la violence te fait basculer contre Leslie. Dans un réflexe, tu le retiens contre toi pour qu'il ne tombe pas. Une main s'est logée dans ses boucles blondes, contre son crâne, comme pour le prémunir d'une chute. Un type que vous ne connaissez pas rentre dans un "oups, désolé mec" avant de gagner une des cabines de toilettes. Toi, tu restes immobile. Tu sens sous tes doigts ses cheveux un peu humides, il fait chaud ici. Tu sens son souffle contre ta chemise. Tu vas mourir.

— Je ne peux pas.

T'as soufflé ça, le cœur qui bat à tout rompre et la gorge si serrée que chaque mot est un supplice à cracher.

— Je ne peux pas vous rejeter.

Tu le lâches, roi dans la fuite tu sors précipitamment des toilettes pour gagner le bar à toute vitesse. Tu heurtes sur le passage quelques personnes auxquelles tu ne fais pas attention. Tu poses une pile de drachmes sur le comptoir pour commander une planche de shooter. T'en avales deux culs secs.

— Pour fumer, c'est où ?

Un peu surpris face à ton attitude, le barman te désigne une petite porte donnant sur un petite cours extérieure. Tu enquilles tes deux derniers shooter et sort presque dans la panique pour allumer ta clope. T'es seul. Tout ça t'a pris moins de deux minutes.

Il te faut t'y reprendre à plusieurs fois pour allumer ta cigarette. Tes doigts ripent sur le mécanisme, tu t'énerves, à bout de nerfs, siffles une insulte à l'encontre de ta maladresse. Tes mains tremblent, tu te noies dans ta pression et dans le manque de contrôle. Pour ton plus grand bonheur, le briquet finit par obtempérer et tu allumes ta cigarette. Tu tires dessus comme un désespéré, pour laisser la fumer envahir ta bouche, pour ressentir cette sensation de brûlure si familière que tu as appris à aimer pour ses bienfaits sur ta psyché. Mais il faut que Leslie passe la porte.

Tu te tournes vers lui, un regard lourd de reproches avant de souffler et de tirer nerveusement de nouveau sur ta clope. T'as l'espoir vain qu'enchaîné les bouffées à toute vitesse réussira à étouffer cette panique qui te gagne, mais rien n'y fait. Leslie ouvre la bouche pour parler tu finis par jeter l'objet de ton addiction pour l'écraser au sol.

— Putain.

Tu ne jures quasiment jamais à voix haute. Tu commences à faire les cent pas, à tourner comme un lion en cage, les mains croisées à l'arrière de ton crâne. T'as des airs un peu fous, tu dis rien, mais en toi c'est une guerre qui a lieu. Tu as envie de hurler, de frapper ta tête contre les murs. Tu aimes Diane. Tu l'aimes. Alors tu ne dois rien faire. Tu dois faire comme il dit, supprimer son numéro, rentrer, la retrouver elle et te glisser dans son lit pour l'aimer comme tu as promis que tu l'aimerais, comme elle mérite d'être aimé. Mais alors tu sais que tu le verrais lui. Parce que son visage t'obsède, parce que son impertinence te touche, parce qu'il t'a apporté une joie coupable et sereine, parce que tu as mortellement jaloux à l'idée qu'un de ces tocards dans la bar ne puisse-

Tu pivotes brutalement dans sa direction. Tu avales les mètres qui vous séparent et sans le moindre avertissement tu empoigne le col de son t-shirt pour le soulever et venir écraser tes lèvres brûlantes contre les siennes.

Ambassadeur de Dionysos, avait-il dit en se moquant.

Ambassadeur de Dionysos, en effet. Dieu de la folie et des excès. Le seul dieu auquel on ne peut demander de faire un choix. Le seul dieu duquel on ne peut attendre le raisonnable.

Ton dos heurte le mur avec douceur. Tu profites que Leslie baisse la tête pour lâcher son col et reprendre ton souffle. Tu n'oses pas l'embarrasser de nouveau, la culpabilité montant déjà en toi. Heureusement, il relève la tête, repart à l'assaut de tes lèvres, étouffe tes peines au profil d'une délivrance coupable : celle de rendre les armes après avoir lutté. Il se colle à toi, ses mains sont déjà à tes flancs alors que tu découvres le goût de sa bouche. Les tiennes viennent découvrir tout ce que tu ne connaissais pas. La courbure de son dos, la façon dont la sueur de ses cheveux, fait glisser les doigts que tu viens passer sur sa nuque. Tu es furieux, parce que ses lèvres sont agréables et que tu constates avec horreur que ses baisers valent plus que tout ceux que tu as volé aux autres. Ces baisers sont aussi bons que ceux de Diane. Tu fronces les sourcils, tu pourrais pleurer tant tu sens coupable, mais l'idée de le voir partir t'effraie trop. Et surtout, tu n'es pas rassasié de lui, de vous. Tu le serres contre toi, cherches à sentir ses formes épouser les tiennes. Leslie est moins frêle que tu ne le pensais. Dans tes bras, tu lui découvres des muscles dont le contact t'affole d'une façon trop plaisantes pour qu'elle ne t’interroge pas. C'est le manque d'air qui finit par avoir raison de ce contact.

Tu niches ton front contre le sien, respires son air une brève seconde, la bouche entrouverte, les lèvres gonflées d'envie par les siennes.

— Un fléau... J'ai dit.

Tu laisses ton front glisses contre son épaule et ton nez se nicher dans le creux de son cou. Tes lèvres frôlent sa peau quand tu parles.

— Ne partez pas.

Il a cette force dans le regard, Leslie. Ce petit quelque chose qui le rend plus grand, plus puissant, plus perspicace. Face à lui, tu ne te sens pas petit, mais challengé. Comme quand on croise quelqu'un de sage qui sait et qui parce qu'il sait, sera toujours dans une position d'égal. Il t'a demandé de demander mieux, alors c'est ce que tu fais.

— Rester.

Tu le défies du regard, un rictus au coin des lèvres, de demander de faire mieux que ça. Ta main nichée dans le creux de son dos, tu perds cependant bien vite ton assurance. Malgré tout, et à ta grande surprise, tu n'as ni la lâcheté de te détacher totalement de lui et encore moins cette de détourner les yeux.

— Je ne sais pas.

Et c'est peut-être la chose la plus honnête que tu lui aies dite depuis que vous vous connaissez.

— Mais j'ai franchi une limite, je ne peux plus revenir en arrière quand bien même je le voudrais.

Tu glisses ton autre main contre sa joue. Tu prends le temps d'apprécier ses traits avec autre chose que tes yeux. Tes doigts glissent contre les courbes de sa mâchoire, ton pouce glisse sur sa lèvre inférieure.

— Et je ne le veux pas spécialement.

Pas si ça signifie le voir retourner se trémousser avec ton abruti de frère, pas si ça veut dire se limiter au souvenir de ses lèvres et vivre dans la frustration constante d'avoir seulement goûter et non déguster. Tu ne peux plus faire semblant. Tu n'es pas libre, Bellamy. Tu es l'esclave de ton intensité et de ta folie.

— Non, je ne le veux pas spécialement.

Tu glisses tes doigts contre son menton pour relever doucement sa tête.

— Allez faire quoi, vous ?

C'est peut-être parce que tu étais trop coupable pour rentrer chez toi que tu as accepté. Tu es le genre d'homme à préféré creusé une fois qu'il a posé pied dans sa tombe. C'est trop dur, trop honteux, d'assumer ses fautes ou de prétendre qu'elles n'existent pas. Toi, tu plonges et te noies. Quand le mal est fait autant se laisser dévorer par les flammes.

Tu avais pris la peine de vous faire quitter discrètement la soirée. Sur le chemin du retour, Leslie te fait la grâce de quelques échanges auxquels tu réponds d'un sourire ou d'un hochement de tête, parfois d'un "je vois, ok". Tu te sens stressé, peut-être même impressionné. Tu en as fait des allers sans retours dans les appartements étrangers, pourtant. Cette scène, tu l'as vécu trop de fois pour en tenir le compte. Mais là, avec lui, c'est particulier, c'est spécial. C'est presque en retenant ton souffle que vous gagnez la porte de chez lui.

Il jette sa veste sur le portemanteau, toi tu ne prends pas la peine de retirer la tienne. Ton costume on pourrait le croire greffé à ta peau. Tu t'avances dans le salon, prends le temps de regarder cet appartement chaleureux que tu ne pensais plus revoir de sitôt. La voix de Leslie te sort de ta distraction.

— Oui, s'il vous plaît.

Tu t'approches de la cuisine pour regarder un peu ce qu'il te propose. Tu as envie de quelque chose de frais et laisse te donner ce qu'il veut pour peu que ça puisse te rafraîchir. Et pendant qu'il prépare vos boissons, tu ne peux t'empêcher de laisser tes yeux, observer l'espace entre le col de son t-shirt et sa nuque, tous ces petits détails physiques que tu n'avais pas remarqué toutes les autres fois. En silence, le ventre soudainement tordu par une émotion dont tu ignores si c'est du stress ou de l'excitation, tu viens souffler son prénom.

— Leslie.

Tu attends qu'il tourne la tête vers toi pour te pencher sur lui pour cueillir ses lèvres. Tu ne sais pas ce qui t'y pousse, tu ne sais pas d'où tout ça vient. Tu sais faire la différence entre l’excitation animale et égoïste que tu avais pu ressentir pour tout(e)s les autres et ce que tu ressens maintenant. Ça te fait peur. Il commence à t'apparaître comme de plus en plus évident que Leslie n'est pas un écart de conduite que tu pourras oublier le lendemain. Tu romps le baiser, finis par glisser.

— Plus de glaçons, s'il vous plaît.

Tu ne sais pas ce que tu fais, ni ce que tu fous. Ce gars t'hypnotise. Le contact humide et froid de ses doigts contre ta joue t'arrache un frisson. Obligé d'user de ton pouvoir en continu depuis maintenant plus d'une minute pour garder ton cœur au même rythme. En silence tu laisses ses doigts glisser loin de toi et son corps pivoter. Tu trempes tes lèvres dans l'eau glacée. C'est fasciné que tu l'observes se dévêtir de son haut. Tes doigts pianotes contre le plan de travail, témoigne de la douce nervosité qui te traverse quand tu le suis du regard, traversé le salon pour s'engouffrer dans une pièce sombre que tu devine être sa chambre. Tu restes quelques secondes muet et immobile. Tu bois à grande gorgée mais ta gorge de s'en retrouve que plus sèche encore. Ce n'est pas d'eau dont tu as soif. Tu poses ton verre, délaisses la cuisine pour venir tout aussi lentement que lui traverser le salon pour le suivre. Tu poses une main dans l'encadrement de la porte, reste quelques secondes entre la lumière et l'ombre. Il est là, débout, dos à toi, face à son lit. Comme une statue de marbre, sage, qui attend qu'on l'observe. Cette fois, tu laisses à loisir ton cœur tambouriner dans ta poitrine. Et finalement, tu t'avances vers lui.

Tu le touches comme on touche une œuvre d'art. Tu te places derrière lui, laisses le bout de tes doigts effleurer avec tendresse sa peau, venir suivre le tracé du dragon stylisé sur son épaule. Ton autre main, elle, descend le long de son flanc avec une lenteur affolante.

— Quelle est sa signification ?

Tu te glisses contre lui. Ta main sur son flanc glisse le long de son bras pour rejoindre la sienne. Tes lèvres se nichent contre son cou que tu embrasses de plusieurs baisers lents et bruyants. Sa peau est sucrée et d'une blancheur qui te plaît. Tu prends plaisir à la goûter avec sensualité jusqu'à ce que, par-dessus son épaule, tu remarques sur son torse les courbes nobles d'une carpe koï et le dessin à son poignet.

— Et ceux-là ?

— C'est vrai.

Un léger rire s'échappe d'entre tes lèvres. Il est simple, Leslie. Et tu as oublié ce qu'était la simplicité. Il te saisit le poignet, pour te tirer jusqu'au lit. Tu sens ton estomac se tordre et ta gorge serrer d'excitation. Jamais tu n'as eu autant d'appréhension à gagner des draps étrangers. Jamais il n'avait été aussi fort de poser le genou sur un matelas pour le sentir s'enfoncer. Le temps est suspendu, le silence vous accable. Et toi tu es incapable de détourner ne serait-ce qu'une seconde le regard. Tu te laisses entraîner au-dessus de lui. Là, sur l'intimité de l'oreiller, il a des airs vulnérables adorables. Tu le trouves beau, oses à peine respirer lorsqu'il déboutonne ta chemise pour découvrir ta peau et laissé apparaître tatouage et cicatrice. Son regard se niche sur la marque à ton pectoral, la thyrse de ton père ornée de vigne. À sa question, tu hausses les épaules en souriant.

— Joli, c'est tout.

Tu te redresses quelques secondes pour laisser ton vêtement glisser le long de tes bras et s'échouer dans les draps. Puis tu te penches sur lui, à quelques millimètres de ses lèvres pour souffler.

— Comme vous.

Tu attends toujours une seconde avant de concrétiser tes gestes. Comme ci tu attendais en toute circonstance son accord pour toucher ses lèvres, toucher son corps. Tu regagnes sa bouche avec un profond soulagement et laisses la chambre raisonnée du bruit mouillé de vos baisers. Dans la pénombre de la chambre, suffisamment de lumière de la ville filtre pour que se voie à ton épaule la marque laissé par Duke il y a dix ans. La chair boursouflée, comme soudée grossièrement pour combler un vide. Elle fait tant parti de toi que tu n'as pas percuté le la lui montrer. Tu es tout à ses lèvres, tout à lui. Elles glissent d'ailleurs lentement contre sa joue, sa mâchoire, puis son cou. Tu pars en exploration, célèbre son torse, le dessin à sa cote comme tu as célébré celui à son épaule.

— Vous êtes beau.

Souffles-tu en remontant jusqu'à sa bouche.

Sa voix trahit le désir et tu sais que tu mets les pieds dans un jardin de ronce d'où tu ne pourras que ressortir écorché. Le cœur à cent à l'heure que tu n'as plus le courage d'essayer d'arrêter. Il te plaît et c'est mal. Il te plaît et tu te rends compte que tous les autres ne te plaisaient pas tant que ça, au final. Pourtant tu aimes Diane. Tu ne comprends pas comment on peut aimer quelqu'un et en désiré une autre. Ça n'a aucun sens. Et comme en écho à ta culpabilité, Leslie vient à se retourner. Tu ne t'y opposes pas, prends même le réflexe de te glisser sur le côté pour lui faciliter la tâche. À le voir s'excuser, tu prends peur d'avoir fait quelque chose de mal, de lui avoir peut-être forcé la main.

— Non, ne vous excusez surtout pas.

Tu te veux rassurant, absolument pas vexé mais juste maladroitement inquiet.

— Je vous ai blessé ?

Tu redresses sur ton coude, hésites à glisser tes doigts dans ses cheveux. Ce serait peut-être mal venu. Tu es confus. Tu regardes maladroitement autour de toi.

— Voulez-vous que je vous laisse ?

Le quitter en de telles circonstances te touche mais tu fais peu état de tes propres sentiments. Tu blesses déjà Diane alors tu ne veux pas le blesser lui.