c
'est le soir
'est un autre jour
'est toujours l'été.


l'été, le traître été, il est toujours là, il ne cesse pas d'entourer le monde de ses bras de soleil, ah ça non, il ne cesse pas. qu'est-ce-qu'il fait beau, qu'est-ce-qu'il fait chaud ! célébrons la vie, n'est-ce-pas ! célébrons !

mistral, lui, ne célèbre ni ne pleure. mistral se tient sur l'aqueduc d'héphaïstos, au beau milieu de celui-ci. assis, les pieds dans le vide, il fait face au nord-ouest déchiré entre la mer, le ciel, les falaises.

il n'est pas venu ici par sentimentalisme. il n'est pas venu ici pour chercher un lien avec son divin père en se tenant assis sur son cadeau à l'île. il n'est pas venu ici pour venir remuer des pierres branlantes en espérant y retrouver des souvenirs encore riants car on ne les aurait pas encore informés de leur statut de reliques.
il n'est jamais venu ici avec qui que ce soit de toute façon, qui que ce soit qui compte, qui ait compté, qui comptera.
il ne sait même pas s'il est venu ici depuis son apprentissage : les tuteurs avaient alors l'habitude de faire monter leurs cadets ici, à la fin des journées à la fournaise, et ils faisaient un feu de camp, parlaient du travail et dormaient à la belle étoile. mistral n'a gardé de ces soirs que le souvenir du vent qui sifflait, et leurs voix qui s'en allaient au fil de l'eau qui coulait jusqu'aux forges.

il est venu car ici, le ciel est partout, la mer est partout, la terre est partout, le bruit est partout, la lumière est partout, même en cette fin d'après-midi. le paysage est riche à en crever, le paysage est trop généreux, il agresse tous les sens, il les déchire à force de les régaler de trésors illicites. d'ici, on comprend ce que serait un vent qui rendrait fou. on comprend ce que ça a de dangereux à fixer une feuille blanche. il n'y a pas besoin qu'il y ait du vent, il n'y a pas besoin qu'il y ait le blanc des nuages, au contraire : tout cela est si violemment présent dans sa suggestion !

il n'est pas venu par sentimentalisme. il est venu ici pour se faire molester par son corps qui n'est rien, par le monde qui est tout.

derrière lui, quelqu'un vient. enfin, pas tout à fait derrière lui, plutôt, dans son angle mort. il l'entend plus qu'il ne le voit. il arrache une courageuse pousse qui avait réussi à se tracer un chemin entre les pierres. il prie que ça ne soit pas son père, ou pire, un prétendu proche. au moins, avec son père, ils ne sont pas proches. ils ont cette décence.

il entend la voix, ses épaules s'affaissent. il ne pensait pas qu'elles pourraient s'affaisser encore un peu plus. bientôt, il s'effondrera sur lui-même.

« rita. »

un temps. on prend le temps de souffler, et c'est le temps de souffrir, déjà.

« je ne me cache pas. »

il articule bien, il sent ses lèvres se décoller comme il faut, ses maxillaires travailler ardûment, comme s'il récitait une leçon dans une langue étrangère.

« je ne veux toujours pas me suicider. »

il dit toujours il ne sait pas pourquoi il ne se le demande pas, c'est pourtant étrange de dire toujours. est-ce-que cela voudrait dire que depuis ce jour ce matin cette place ce soleil il aurait dû être usé, usé au point de vouloir en finir, est-ce-que c'est une fatalité qui l'attrapera un jour ou l'autre même si ça n'est pas aujourd'hui ? mais lui, il ne veut toujours pas se suicider.
est-ce-que cela voudrait dire que depuis l'enfance leur enfance leurs enfantillages il a su, intimement, secrètement, tellement secrètement qu'il ignorait le savoir, alors disons est-ce-que cela veut dire que depuis ce temps il a pressenti qu'il aurait dû avoir envie d'en finir, avoir envie de mourir, est-ce-que c'est normal pour un enfant de leur père, est-ce-que c'est normal pour un frère de rita, est-ce-que ça lui viendra un jour, même si ce jour n'est pas aujourd'hui ? pourtant, il ne veut toujours pas se suicider. ah non ?

« et toi, tu veux te suicider d'ici, c'est pour ça que tu es venue ? je vais partir, alors, je ne voudrais pas te déranger. »

il remonte une jambe, plie le genou, y pose sa main.

il ne s'est pas retourné, car il ne veut pas la voir.
il ne veut pas se retourner. il a assez vu d'infâme mixture mi-humaine mi-divine pour le restant de ses jours.
il ne veut pas se retourner. il a assez vu.
il ne veut pas se retourner.
il ne veut pas se retourner !...

que viens-tu chercher ici rita ?

quelle vérité attends-tu, quelle vérité frustre grossière laide à en mourir, quelle vérité pleine de terre et pourtant juste comme un diamant brut attends-tu de serrer dans tes mains, dans tes mains qui ne sont pas des mains, qui sont des pattes, je les ai vus tes doigts qui sont des serres, je les ai vus je les ai sentis sur ma peau, quelle vérité cherches-tu ici rita ?????

elle dit qu'elle n'a jamais voulu mourir. là aussi, c'est drôle comme formulation. lui avec son toujours, elle avec son jamais. est-ce-que ça voulait dire qu'elle était morte malgré tout, malgré son rejet, malgré son inadéquation avec la mort, elle qui avait toujours parlé comme si elle avait tant à vivre ? elle s'était sans doute tuée elle-même alors, car elle ne laissait jamais qui que ce soit décider pour elle, elle a beau ne jamais avoir voulu mourir, elle l'avait peut-être déjà fait, par esprit de contradiction, pour mieux pouvoir revenir hanter les survivants. rita, peut-être morte, toujours plus vivante, toujours plus mortelle.

alors, c'est ça qu'elle voulait, c'est cette vérité ignoble dégueulasse obscène qu'elle voulait, elle voulait voir mistral qui vit toujours. comme c'est sale, comme ça lui ressemble, comme ça doit lui faire plaisir, de plonger ses yeux ses mains son nez de poupée, tout est de poupée chez elle, comme ça doit lui faire plaisir de jouer à remuer les viscères et à les voir pourrir au soleil, comme ça doit lui faire plaisir de le voir vivant, encore vivant.

et elle parle, qu'est-ce-qu'elle parle.

rita dévore le monde de ses mots comme elle avait voulu dévorer la chair de mistral et ses os, comme elle dévorait son âme, passivement, avec l'acide des maladies graves et toujours fatales.

elle est venue le chercher, elle l'avoue. évidemment. avait-il vraiment cru qu'elle était là par hasard ? sans doute pas. mistral croyait moins au hasard qu'à la cruauté des choses, et cette cruauté était rita elle-même.

c'est étrange, comme son cerveau hache tout ce qu'elle dit, tout ce qu'elle martèle. son cerveau coupe en deux les phrases de rita, de préférence arbitrairement, il essaie de suivre les battements de l'éventail pour cela, trancher les phrases de sorte à ce qu'elles n'aient aucun sens ; c'est trop dur, autrement, d'entendre les sentences entières, vous comprenez, c'est trop dur, elles coupent trop profondément ces phrases, ses phrases, elles l'entaillent, elle l'entaille. rita le scarifie alors qu'il est déjà empoisonné, intoxiqué avec un poison incurable, le curare n'est rien à côté, car l'issue est proche, mais ce poison-là ! ce poison-là, il le condamne à vivre, il le condamne à ne jamais arrêter son coeur, et rita le saigne en supplément, rita saigne tout ce qui sort de ce cœur emballé, essouffle l'effort d'un organe éternellement malade de vie, atteint par la malédiction de devoir battre jusqu'à ce que le monde brûle.

elle se tait enfin semble-t-il. peut-être reprend-elle simplement son souffle avant la prochaine averse de mots. une crucifixion prend du temps, et ils en ont beaucoup, du temps, ils n'ont plus que ça, entre morts-vivants.

« non. non, je n'ai pas pleuré, tu sais. »

et cette adresse, ce tu sais, c'est sa faiblesse, en cet instant. c'est l'aveu qu'on s'appuie encore, un peu, malgré soi, à tâtons, qu'on s'appuie sur l'autre pour construire son monde, ou pour au moins se redresser quand le monde vient de voler en éclats. tu sais. oui, elle le sait, et cela lui est assez pour l'accuser : une main qui implore, c'est assez pour mettre un homme à terre.
il est le coupable idéal, n'est-ce-pas ? pour leur mort, pour la colère de rita, pour l'indifférence du monde. il est le coupable idéal.
il est le coupable.

c'est à cause de lui que le monde crie sa couleur et son angoisse et sa rage, c'est à cause de lui que le soleil brille aussi fort aujourd'hui : mistral a récolté le sang des aimés dans ses mains en coupe et il l'a donné à boire aux chevaux du char d'Apollon.

il les a tués ?
il les a laissés seuls face à la mort
il les a abandonnés
il les a tués.

« mais je n'ai tué personne... »

alors je n'ai pas pleuré ? mais je les ai tués pourtant. c'est pour ça que je n'ai pas pleuré ? parce que je les ai tués ? quoi ?

il se redresse soudainement, trop vite, il a la tête qui tourne d'être resté au soleil, le cou penché, il a la tête qui tourne, il pourrait tomber, là, ça serait bien pratique, un étourdissement et c'est fini, tout ça c'est fini, rita c'est fini, elle en crèverait de le voir mourir aussi bêtement peut-être, peut-être qu'elle en crèverait, qu'est-ce-que j'aimerais qu'elle en crève ! oh, qu'il est méchant ! qu'il a bien là la pensée des coupables ! oh, qu'il est affreux ! ne peut-il pas se contenter du meurtre de ceux qu'il appelait ses amis, faut-il encore qu'il tue sa soeur ? oh, qu'il est horrible ! il va se jeter, le traître ! il refuse de rester alors qu'il a fait promettre précieux ! il refuse de voir le même soleil sous lequel il les a laissés mourir !

il porte une main à son crâne, la pointe des pieds nus au bord du précipice, les yeux déjà en bas. ça prendrait quoi, quelques secondes, pas assez pour y penser. le coin supérieur de ses yeux est brûlé par le soleil. il s'éloigne du vide, se tourne vers rita, lui fait face. elle est affreuse, là, pas à sa place. apprêtée, aseptisée, les nattes collées luisantes de soleil et de soins coûteux. c'est quasiment ça qui lui donne le plus envie de pleurer, pourquoi elle est-elle en vie et pas eux, pourquoi a-t-il encore à vivre avec elle, et cette foutue vie qui le poursuit… ça ne cesse donc pas.

« tu as vu. va-t-en, maintenant. je ne fuirai pas. mais je ne veux pas... »

il se tait, écrasé par l'immense silence qu'il trouve dans sa bouche dans son thorax dans son ventre, cet immense silence qu'il ne peut dire et qui lui amène les larmes aux yeux, il les écarquille pour ne pas qu'ils se mouillent, les écarquille pour fermer les canaux lacrymaux. il fait glisser son regard halluciné jusqu'à ses sandales qui traînent, à côté de rita.

« je veux pas te voir rita. je veux pas que tu sois là. »

tu ne me donneras jamais le droit d'être innocent.

il refuse de la regarder, les yeux posés sur ses sandales, les siennes ou bien celles de rita, il ne sait pas. il faut qu'elle se taise, il faut qu'elle parte.

ses yeux brûlent, il voudrait pleurer, il veut se les arracher, rita ferait ça très bien, mieux que lui, avec ses ongles de midinette, peut-être pourrait-elle s'en charger, peut-être pourrait-il lui demander de le faire, si seulement il était moins méchant avec elle, si seulement il était plus honnête, si seulement il reconnaissait ses torts !

il la regarde, l'embrasse du regard car il ne peut plus le faire avec les bras, avec le cœur, il lui semble qu'il ne pourra plus jamais embrasser, et c'est rita qui finit par le prendre dans ses bras, et quand elle l'embrasse elle l'embrase comme elle avait toujours su le faire, car elle n'avait jamais su faire autre chose. elle l'embrase, il ne se débat pas. c'est mille fois pire que lorsqu'elle utilise son pouvoir, c'est mille fois pire parce qu'elle n'a pas besoin de flammes sur sa peau à lui pour toucher son cœur directement.

tu veux être rassuré.

« lâche-moi, je t'en prie, »

et il ne se rend pas compte qu'il souffle cette supplique plus qu'il ne la dit. naturellement,  il s'est écrasé les yeux avec les paumes des mains. il donne l'impression de se crever les yeux.

un instant, un instant seulement, son cœur calciné lui paraît plus léger que jamais : à l'équilibre, comme une feuille de papier dans un brasier, il a conservé toute sa forme, s'est simplement paré de la jolie couleur grise des cendres ; à sa surface, des milliers de petites rainures, de petites écailles, que c'est joli, elles tremblent au rythme de l'air chaud qui se gondole, l'air chaud de l'été, l'air chaud de la rage de rita.
et finalement, peut-être à cause du vent, ou juste du temps qui passe, du temps qui passe dans cette étreinte insoutenable, c'est terrifiant comme une seconde peut contenir des années entières, la feuille de papier s'effrite, le cœur tombe en une poudre amère et noire. c'est fini.

contre lui, il sent ce tout petit corps, ce squelette de rien du tout dont les angles déforment la chair ronde et tendre. il sent la fragilité de l'ingénierie du corps, il s'entend penser qu'il pourrait la dérouiller d'une seule baffe, l'envoyer valser par-dessus bord. elle pourrait s'écraser au sol en un rien de temps, on l'accuserait sans doute, on devait l'avoir vue monter après lui. il ne se défendrait pas.

et ici, tu n'as que moi.

dans le silence brûlant, il y un bruit affreux, et ce bruit c'est la contraction du diaphragme de mistral alors qu'il succombe à un seul et unique sanglot, long, long, long… triste !…
sur son torse, il sent la tête de rita dodeliner alors que sa cage thoracique s'anime d'un soubresaut, ça le brise encore plus, de savoir que c'est elle, de voir qu'elle ne tient pas le coup. personne ne pourrait tenir le coup.

« j'ai envie de crever, plutôt c-crever que ça avec toi »

ça n'a pas de sens, ça n'a pas de point pas de virgule pas de fin, ça n'appelle rien en fait. ça avec elle, c'est la vie ou bien la mort à deux, il ne sait pas vraiment, peu importe, ça reviendra au même au bout du compte. que la vie semble longue, que cette après-midi semble invivable !

les genoux tremblants et les lèvres angoissées, il ne bouge pas. le soleil brûle ses épaules, tandis que l'étreinte de rita, ininterrompue, incessante, ne cesse de le glacer jusqu'au sang : elle est à la fois la fusion et la trempe, cela serait intolérable pour n'importe quel métal, alors, pourquoi mistral résisterait-il ?

elle finit par le libérer de son étreinte pour saisir son bras et l’emmener avec elle, à deux pas : rita cesse ainsi d’être faussement maternelle pour devenir l’incarnation de leur commun père puisque par son geste elle lui dit regarde ! et lui jette au visage un destin qui reste à faire mais dont la fin est certaine, un destin qui commence en haut de cet aqueduc et se termine au ras du sol.

amputé d’un bras volé par la sœur terrible, mistral dévoile au monde un œil bien trop grand bien trop décillé, un œil trop rougi de tout le sang qu’il a vu et qu’il n’a pas versé.
son autre bras tombe le long de son corps, ça siffle près du nez de rita sans la toucher, ça tape contre sa propre cuisse contre son propre flanc. il sent ses propres doigts désœuvrés, crispés autour du néant qu’ils devront désormais saisir. ça lui fait mal, de sentir ces (ses ?) cinq doigts aux longs durs et courts contre lui-même. il ne sait pas pourquoi. ça lui fait mal de prendre conscience de ce (son ?) corps, peut-être. il ne sait pas. il ne sait plus.

il y a ce silence dans sa gorge, ce silence qui éclate à nouveau en un sanglot trop bruyant, trop blessé, comme c’est terrible un silence qui éclate ; mistral a l’impression d’une poche de sang qui se perce dans sa gorge alors que rita l’écorche à vif en criant son nom, elle crie son nom comme s’il lui appartenait elle n’a pas le droit de dire son nom ainsi, elle prend le droit elle prend son bras elle prend son nom elle prend tout de lui et elle continue à réclamer, elle réclame son attention sa réponse sa vie sa mort. elle réclame à lui qui n’a rien, elle joue la comédie alors qu’ils n’ont pas de public : qu’elle est généreuse, rita ! elle se donne, elle ne cesse de se donner, elle lui donne tout pour pouvoir tout lui prendre…

il aimerait s'affaisser, qu’on le laisse réduire en taille jusqu’à n’être plus qu’un amas de chair et d’os et de muscles prostré autour d’un trou béant, qu’on le laisse s’effondrer, pitié !
mais il y a pas de pitié dans la générosité que déploie rita, qui lui offre la mort sur un plateau, qui lui ordonne la mort dans un instant, pas de pitié dans la bonté brute d’une sœur mauvaise.

mistral continue à pleurer c’est fini il a arrêté de lutter enfin plutôt il a arrêté de prendre la posture de celui qui luttait puisqu’il avait déjà déposé les armes ce matin-là sur l’ecclesia, c’est simplement que son cœur n’en avait pas encore conscience, c’est dur pour un cœur de comprendre qu’on ne battra plus le rythme de l’espoir, il faut être compréhensif avec  les cœurs jeunes crevés trop tôt. mistral pleure, il a cette main contre sa cuisse, il la lève, comme pour désigner à rita le vide le monde, sa main béante qui ne tient rien et qui tremble, il n’a plus que ça, ça et rita.

« je- je sais p-pas, il faut-, il prend une respiration et suffoque encore plus, il faut q-que je reste, sinon, sinon, il ne restera plus rien, que t-toi »

rien que rita, rien que la méchanceté des choses, sans témoin de pierre pour prévenir les autres du danger… mistral ne peut pas  laisser ça, sans doute. ça ne serait pas juste de s’en sortir à si bon compte.

« je n'ai pas le droit, pas le droit, j'ai promis »

j'ai promis à précieux au soleil aux cadavres sur la place j'ai promis et en promettant je me suis déjà condamné à une mort lente et affreuse que veux-tu que viens-tu m'offrir une exécution qui m'est interdite ah ma sœur n'as-tu donc pas de cœur comme je t'envie comme je veux être comme toi incandescente et sans remords

il pleure lentement.

elle ne comprend pas rita pourtant pourtant elle devrait comprendre elle devrait savoir rita que s’il pouvait s’il avait pu croire un instant une seconde faire partie de la race des assassins il se serait jeté sur l’occasion il aurait saisi à pleines mains cette nouvelle ascendance moins ingrate moins terrible que la sienne sa race celle de ceux qui restent sans tuer ni mourir ceux qui sont dans l’entre-deux déchirant de la vie sans meurtre, elle ne comprend pas elle devrait le comprendre et au lieu de ça elle le lui reproche, comme c’est injuste, comme c’est savamment orchestré !

il pleure sur sa vie si finie qui continue et elle le maudit, elle le maudit encore une fois dans ses mots, bien sûr, mais pas que, du bout de ses ongles aussi elle le maudit, il voit à travers ses yeux noyés l’éclat meurtrier du soleil sur leur courbure oblongue et tranchante il voit la malédiction dans cette nacre courroucée : y-a-t-il une chose qui ne crie pas son échec ?

elle lui dit t’iras nulle part et c’est terrible de se l’entendre dire bien sûr qu’il n’ira plus nulle part mais ça ne se dit pas normalement, pas si tôt, pas si fort. il tremble comme une feuille désormais mistral, accablé des choses qu’il ne peut pas faire et qu’il doit mentalement commettre. il lui faut : tuer rita, se tuer lui-même, tuer le jour tous les jours et surtout tuer l’envie l’envie de vivre de mourir d’aimer d’être aimé qu’importe : il faut tuer tout cela !

le vent chaud et blanc, empêtré d’une poussière qui n’est faite que pour donner envie de se donner la mort, encore, tout est bon pour se donner la mort, irrite ses yeux, qu’il ferme, enfin. devant lui, il sait que rita est là : mais il découvre qu’il peut choisir de l’ignorer. choisir de ne pas la voir, presque de ne pas l’entendre. il revit.

il sourit, finalement il sourit un peu, et cela froisse bizarrement sa peau rendue rigide par le sel de ses larmes, comme une micro-craquelure qui n’aurait ordinairement pas lieu d’être, il sourit et sèche ses larmes, les yeux toujours fermés, à grands coups de poignets et d’avant-bras frottés contre ses yeux, sans douceur. tant pis s’il pleure encore un peu en le faisant, ça n’est pas grave, l’important était dans le geste.

« tu as raison… j’aurais pu, peut-être dû, te tuer… je ne l’ai pas fait, il se penche pour ramasser ses sandales, quasiment à tâtons, les yeux quasiment clos, il ne veut pas la voir, qu’on est bien dans le noir et rouge et jaune derrière ses propres paupières, avec seulement cette petite rainure blanche trop blanche qui fixe les pierres, mais en fait, je vais faire comme si je l’avais fait, comme si je t'avais poussée, comme si j’avais sauté… juste après. cela ira mieux, tant que je fais semblant que c’est arrivé. »

il sait que ça n’est pas tout à fait vrai, ce qu’il dit, comment cela pourrait être vrai, lui qui sait que mort ou pas il sera bien vivant bien obligé de porter ce fardeau tant que le monde sera monde ; mais il faut bien se venger, un peu, des jeunes sœurs cruelles, en prétendant apprécier la vie dans le même monde qu’elles.

il se redresse, et alors qu’il la frôle d’un peu trop près en passant près d’elle, il se dit tombera ? tombera pas ? ; la garce pourrait bien faire semblant d’avoir été bousculée assez pour tomber. cela n’aurait pas d’importance : rita est déjà morte.