à la sortie des limbes le silence y ressemble :
absolu et bruyant, à réveiller les morts.

assorti à l’endroit - au séjour et son air de mausolée fendu - d’ailleurs un défunt y rouvre enfin les yeux ; même pas allongé, debout juste ; immobile, Lazare reparaît l’œil et les entrailles vides. comme s’il avait dormi d’un repos somnambule.
il se retrouve là sans s’expliquer rien, l’apparence très vague : il est pâle, et ses pieds ressentent le froid du parquet. il est vêtu des fringues qu’il avait à sa fin - sont froissés mais intacts - ensanglantés au cœur ;

il remarque la tache.

c’est la première chose qu’il discerne chez soi : le cercle horrible et rouge incrustant sa chemise ; il la défait ensuite, un bouton à la fois, pour vérifier dessous s’il avait des organes. pourquoi pas ? puisqu’ils s’étaient rendus un repas d’amoureux, il serait cohérent de ne plus les porter ; ah… au-delà le coton, son ventre les couve, encore.

mais alors ; alors quoi ?
qu’as-tu mangé de lui ?

il se demande un peu tandis qu’il se ranime, déambule brouillon ; est-ce qu’il t’avait comblé puis quitté jusqu’aux tripes ? assouvi seulement le temps d’une minute, ou deux, avant que sa dépouille ne disparaisse à trois ;
lorsqu’il atteint la chambre, il se fige soudain.

il ne voit pas le mal - toujours pas - et pourtant !
le mal se voit partout : partout dessus les murs, éclaboussés cruor, en pointillés rubis il saute presqu’au visage : partout sent son odeur, aussi, ce parfum de limaille et de fer oxydé ;
il en a mis partout, le mal en se goinfrant, et depuis
il sommeille au milieu de ses draps ;
mais Lazare ne voit pas.
il ne revoit que Ange.

Ange ici - Ange ici ! - tel qu’il avait promis.
une hallucination tant qu’on n’y touche pas, tant qu’on demeure au loin - quelques secondes inertes - après ça se rapproche. il piétine son propre plasma au passage, en allant à son lit, laisse un sentier pourpre où ses talons se posent ; s’étend tout doucement pour ne pas gêner Ange. ici, pour de vrai ; il le tient ! quand bien même sa tête a mordu ses viscères il la tient dans ses bras, la serre avec tendresse, à ce point précis où les dents l’ont percé - ensanglanté au cœur - j'ai pas menti, tu vois.
boulotté par le mal, et malgré tout : il bat.

Lazare

Lazare - Lazare - Lazare

c’est - ou plutôt - c’était : cinq litres de sève absorbés par le sol, le miel cinabre qu’avaient bu les boiseries et le papier peint, c’était ces lambeaux de corps, ces pans entiers de peau, ces bouts d’organes vitaux et leur hémoglobine, c’était les restes du meurtre et le cannibalisme, en indices épars, la flaque au pied du lit et les rideaux rougis, c’était infâme, et puis informe, c’était une chose abjecte qui n’avait plus de nom

Lazare - Lazare - Lazare

Lazare

c’est moi, tu dis ? tu m’as dit tant de fois que ça ne veut rien dire, Lazare, fait qu’un instant j’en cherche la définition. je me creuse l’esprit pour inhumer le moi, déterrer mon cadavre et l’appeler ainsi. Lazare. il me semble que c’est la dépouille d’un homme auparavant un môme dont on a tout bâclé, et depuis qui s’en vante, qui s’invente un adulte abouti, un vainqueur, alors qu’il rêve encore de lui-même à six ans en train d’attendre sa mère dans une chambre d’hôtel. c’est une fausse grande personne, un bohème qui ment, qui s’affirme indolent pour nier son déni, ses affres, sa dépravation lâche. c’est un macchabée las, malheureux pré-mortem. c’était moi
mais moi je tiens un Ange qui me dis être heureux, grâce à Lazare, et c’est à moi qu’il parle et c’est sur moi qu’il couche ; Ange, c’est des contours brûlants qui m’écrabouillent tendres, me rassemblent gentils ; le visage de Lazare tient entre les mains d’Ange ; j’avais très froid, je crois, et comme de la nausée, un dégoût de ma mort dans les rainures du bois, dans un estomac vide ; maintenant j’ai cet Ange au cœur plein, il me jure. je n’ai plus de chagrins, ni mes humeurs noires, ni le regret sensé d’avoir nourri le monstre. une seconde j’ai comme un poignard sous mes côtes, une lame d’or au plexus ; c’est l’attendrissement provoqué par l’image, archangélique d’Ange, qui veut faire des offrandes.

ne recrache rien, tu veux ? quand bien même ta bouche s’est léger entrouverte, ne me rends surtout pas ma vie d’avant ce soir. ne régurgite jamais. avale, digère, et donne-m’en une autre - une neuve - j’en veux une comme la tienne, où l’on m’attend nulle part, où je n’attends personne, je voulais la vie belle, dionysiaque mais saine - j’avais tort - au fond je la veux folle, je veux une vie sans dieux. sans les ordres des dieux qui résonnent dans le crâne ; où je n’ai pas besoin, tu vois, de tout le bruit du monde pour les faire un peu taire ;
où il n’y a pas les voix - où il n’y a que ta voix - ou la mienne, je m’emmêle - nous emmêle - m’en amuse et souris, je sais pas, soupiré, presqu’un rire, je sais pas ! je sais juste qu’hier je voulais en finir, de ce qu’était Lazare ; je veux pas y revenir,
tu comprends ? je ne peux pas, je pense.
est-ce que tu comprends ça ?