Cela flattait sa vanité fugace avant qu’elle ne s’éparpille en un petit rire. Il était temps de ranger, ordonner, débarrasser les lasses étagères de leurs poids sacrés de connaissances et de tout serrer bien proprement. 

Dans cette optique qu’elle s’affairait, zigzanguant entre les tables toutes affecteusement nommées et le chariot chantait sa symphonie de métal et de roues. Puis du coin de l’oeil, elle vit un être dont la démarche n’inspirait pas la quiétude du moment. Ses épaules serrées et son air frustré lui rappelait l’enfant perdu, celui dont la mère avait lâché la main et qu’il se butait à tout les obstacles. 

L’inquiétude enflait en elle, dévastateur symbole de son ascendance divine et abandonnant chariot et ordre, elle le suivait, lézardait dans son dos par des petits pas réguliers. Puis les livres viennent à fuser dans les airs, gémissements plaintifs avant de terminer en une fracas sec sur le sol. Encore, et encore, les livres jetés et cette masse de colère dont elle s’approchait.

Tremblante, les mains serrées sur ses joues pour chasser la terreur, Miel sursautait et comme un appel au déluge, les lourdes perles de sel commençaient à dévaler ses joues. La voix tonitruante de l’homme n’aidait pas à la calmer mais par délà la terreur, elle ressentait cette douleur tordante dans les syllabes, ces formes mouvantes du deuil qu’elle avait apprit à définir à force de le croiser.

Imprégnée dans sa chair, elle hoquetait avant de s’annoncer.

-Arrêtez!

Et un vagissement ingrat sorti de ses lèvres. Le regard de l’homme se posait sur le sien, soleil noyés du chagrin qui lui inspirait. 

-N-ne punissez pas les livres de votre malheur, s’il vous plait. Ils ne vous…vous ont rien fait.

Ses longues manches tentaient de canaliser les flots, de se rassurer, se consoler. Elle devait rappeler à elle la sérénité sinon comment pouvait-elle l’aider. 

-S’il vous plait…Calmez vous.. Je…suis désolée.

Désolée pour lui, désolée qu’il soit aussi tourmenté. 
 

Mais Miel n’appartenait à aucune des deux catégories, elle s’était dressée pour défendre son temple et par cette miséricorde mélopée martelée au fond des iris de son interlocuteurs. Elle le laissait cracher ses mots, les doigts appuyés  contre ses paumes et sa respiration saccadée.

Des petits coups avant de sécher ses larmes du coin de sa manche. 

-Mielikki Galant! Fille d’Hestia! Bibliothécaire!

à sa demande d’identité, elle s’exclamait presque comme si il pouvait s’irriter qu’elle ne le dise pas plus, pas plus vite. Son incompréhension glaçait ses membres, apportait ce réconfort presque maladroit à la colère qu’elle savait d’être tournée vers ses démons internes. Ses cheveux s’enroulaient autour du vent pendant que la tête imperturbable se secouait, ces termes ne possédaient guère de substance. 

-Doit-on porter du respect qu’à ce qui est vivant ?

Chuchotait-elle à son intention autant qu’à ses propres pensées, les paroles rythmées de sa douce amie lui revenait au fin fond de son esprit. Elle déniait sans colère ses affirmations brusques, l’humidité fuyante de son regard qu’elle cessait de chasser pour mieux revenir. L’inconnu l’avait déjà jugé, lui fils d’une divinité guerrière, peut-être Arès ? Peut-être Athena ? Qu’en savait-elle. 

Sa proximité s’était accentuée et sa tête se levait pour ne jamais cesser le contact. Un sourire d’excuse à ses termes venait de naître tout naturellement sur ses lèvres. Oui elle était bizarre, elle le savait. Cela était le moindre de ses défauts, comment expliquer encore une fois le lac de douleur dans lequel elle baignait ? Était-ce le sien, celui de son interlocuteur ou les relents d’histoires et de faits trop lourds à supporter. 

Presque instinctivement, sa main vint se reposer sur son bras. Une façon de nouer le contact, de lui offrir un tout petit peu de ce que les bêtes pouvaient nécessiter durant les éternelles nuits d’hivers. 

Un contact, une présence, une chaleur. 

-Je suis désolée pour toi.

Et d’une pression sincère, elle appuyait. 

-Je suis désolée que tu sois aussi tourmenté, personne ne viendrai se défouler ainsi sans bonne raison. Tu es grand et fort, si tu avais été contrarié par la vie, tu aurais été sur un champ d’entraînement plutôt que chez moi, pas vrai ? Je pense que dans ces livres, tu as vu quelque chose qui ne te plaisait pas et tout ce que tu ressens est remonté. Tu es en colère pas vrai ? Je le ressens. Tu es triste aussi, tu te sens..coupable ? Mais ce n’est pas en punissant mes livres que tu te sentiras mieux. Peut-être sur le coup, tu es un peu soulagé maintenant pas vrai ? Mais ça reviendra. Je le sens.

Sa main sur son ventre, elle recula d’un pas. 

-Je..je ne voulais pas m’imposer, pardon. Vraiment désolée… Je..enfin, c’est gravé dans ma tête. Si tu veux..quelque chose à boire, j’ai des thermos.

Gêne bien trop puissante pour provenir d’autrui, cela était née de ses entrailles tièdes.

 

Qu’il s’annonce fils d’Arès n’avait rien de surprenant, elle l’avait senti au plus profond d’elle dès que ses yeux s’étaient posés sur sa carrure, ses gestes, cette rage blanche jaillissant de ses yeux. Elle tremblait toujours autant mais la peur n’avait plus sa place dans son corps désormais, elle vibrait de ces émotions mêlées qu’il émanait. Autant de peine, autant de colère, autant de terreur dans un corps aussi large, elle pouvait sentir ses émotions débordés de sa personne. 

Alors elle ne dit rien quand il répliqua crûment à ses propos. Elle ne dit rien encore quand il continuait de se tenir droit dans ses bottes à assumer sa rage comme sa manière de vivre. 


Mais elle le sentit qu’il s’apaisait délicatement sous son toucher, Miel le vit s’essayer avec des mots, s’essayer à répondre à ce qu’elle disait et enfin, elle put toucher un peu ce qui l’animait. 


Ses mots se déchiraient sous la mention du monstre, son air faiblissait un peu comme abimé par la vie et elle eut ce même sourire triste. Sourire triste de quelqu’un qui comprenait que trop, elle n’ayant jamais perdu qui que ce soit dans sa courte vie. Mais elle le comprenait, ressentait la détresse dans sa chair comme si elle était Lui. 


-C’est pas une raison pour la laisser nous contrôler, tu ne penses pas ? Si tu te laisses envahir par les émotions, c’est que ce n’est pas “aussi facilement” réglable. Peut-être que tuer ce monstre te fera du bien mais les monstres reviennent et tes peines aussi. Si tu ne traites pas sainement celles-çi, tu te feras tuer aussi.


La tristesse tordit ses traits, elle déjà toute prête à pleurer la mort de ce Sohel croisé dans l’outrage de son sanctuaire. Miel secouait la tête à sa demande, glissait sa main entre la sienne pour lui offrir encore un peu plus ce calme dont Hestia lui avait offert.


-Si tu veux partir, je ne te retiens pas. Mais si tu veux parler de ce qui te trouble, je suis là. Nous pouvons nous asseoir dans un endroit tranquille et tu diras ce que tu as vu qui te déplait tant. Ou alors, nous parlerons de tout et de rien. Je suis là pour toi.


Pour chasser sa peine, chasser sa haine, chasser ce qu’il avait de mauvais en lui car dans cette diapason d’émotions, elle ressentait tout ce qu’il y avait de bon en lui. Cela vibrait sagement en elle, au fond de ses tripes. 



 

Le regret pointait son nez au milieu du chaos incessents de ses émotions, le regret amer comme une pilule refusant de glisser et de se dissoudre dans l’organisme. Avec tristesse, elle le contemplait. Aucune pitié n’osait tâcher son regard car ses mots valaient tout un petit monde, toutes ses choses qu’on n’avouait qu’à mi mots, il lui donnait comme ça.

Et elle le prenait, sans un soupir, sans une complainte.

-Je comprends, Sohel. Mais quel âge avais-tu ? Quelles étaient les circonstances ? Te blâmer ne résoudra rien, tu n’es pas l’agresseur.

On ne disait jamais à un enfant d’Arès qu’il fut victime car cela allait contre les enseignements de leur divin père.Elle l’avait compris, ces termes délicats cousus au sein de leur fierté absolue.

Son regard glissait sur sa silhouette avec surprise, Miel le sentait, le ressentait et elle le laissait faire tant qu’il ne repoussait pas sa main et sa présence. Elle l’acceptait cette sensation entièremenent, le laissant venir aux termes avec ces questions, pendant que d’une main maladroite, elle chassait les relents de ses larmes.

-Ahahaha, je ne sais pas.

Elle rit un peu, legereté brève sur ses manières.

-Notre vie est trop courte pour souffrir de choses que je peux entendre et comprendre. Pourquoi je ne t’écouterai pas alors que tu vibres de tout ce que tu n’as jamais dis ? Quelle personne serais-je si je ne portais pas attention à tes maux et tes mots ?

Une main sur son coeur pensive, lointaine et si proche, elle dit :

-Je ressens ce que tu ressens, mais j’ai l’avantage de pouvoir te dire ce que tu dois entendre.

Aussi simplement que cela, aussi merveilleusement que cela. Elle lui offrirait un monde entier de paix et de compassion si il pouvait lui offrir comme unique paiement, l’espoir d’être guéri de ses peines.
 

Il s’ouvrait délicatement, coquille de sentiments qu’elle aperçevait entre les plis de sa colère, de sa peine et de sa rage. Assis sur le sol si peu de fois lavé de la bibliothèque, il lui parlait de ces choses enfouies.

Un trésor brûlant dont la moindre manipulation hasardeuse pouvait bloquer les limbes de ces émotions dans l’oubli sévère des blessés par l’humanité. Alors elle humait doucement, une mélodie fredonnée par sa maman divine lorsque ses tripes se tordaient des maladies de passage.

-Mentalement, tu étais là. Souvent quand on perd quelqu’un, notre cerveau crée des faux souvenirs, des façons de conceptualiser l’impensable. Ce qui fait mal souvent, Sohel, c’est que dans toutes ses illusions mentales, on pense pouvoir vaincre ce qui nous oppresse. Notre cerveau est un bien sadique pilote, il nous offrira toujours la voie où nous portons le plus de culpabilité. Il est trop dur de se dire qu’au fond, on aurai eu peur, on aurai combattu pour mourir ou on n’aurai rien pu faire. Je suis sincèrement désolée pour ta perte Sohel, mon coeur se serre pour toi. Ce que tu ressens est normal.


Elle rit doucement sous son souffle quand il lui renvoya sa propre phrase. L’idée de ne pas savoir était atroce sauf pour elle, il y avait quelque chose de si doux à ne pas saisir, à juste laisser l’incertitude guidait ses pas. Mielikki pensait souvent à tort ou à raison qu’en laissant les autres être sans poser des termes sur cette gentillesse tirant ses actes, elle pouvait les aimer et les conserver en elle comme ses précieux instants d’une vie passée.

-Je suis juste Mielikki Galant, je suis née le 3 juillet et ma maman est Hestia. Je suis bibliothécaire et j’aime les autres.

En quelques mots, c’était tout ce qu’elle était. Tout ce qui était digne d’être noté en elle.

-Enfant d’Arès ou pas, tu es toi. Un être ayant eu la chance de naître parmi une infinité de variable, qui a vécu une infinité de chance faisant de toi ce que tu es. Si t’écouter est tout ce que tu as besoin alors je suis là. Dis moi ce que tu veux me dire et dis moi si tu veux que je te conseille. Et si tu veux courir ou t’énerver, le monde est assez large pour un peu de ton énergie.

Elle se met sur ses genoux, assise à ses côtés, pour rester à son niveau.

-Simplement parce que j’ai envie ?

Sa tête se penchait, lèvres entrouvertes comme si il lui demandait une chose bien étrange.

-J’ai envie d’aider les autres, j’ai rien à gagner tu sais.

Sauf le sentiment d’avoir été une meilleure version d’elle-même.

-Puis, je veux pas voir les gens souffrir.

Alors qu’elle a la chance de ne jamais souffrir de rien.

 

Il lui tendait ses pensées, sans la moindre délicatesse comme si de ces mots durs contenaient comme douceur que la moelle légère de ces regrets. Miel demeurait à ses pieds et à ses mains, l’esprit ouvert à ses terreurs. Son aveu de faiblesse fut accueilli par la légère courbe de ses lèvres, elle ne se moquait guère éternelle gardienne. Elle comprenait en ces termes la douleur qu’il l’accablait, un fils d’arès offrait face au monde sa force comme ultime preuve de sa compétence.

Un Arès humilié se détruisait, crevait de la béance cicatricée de son échec. Alors, elle ne disait rien, enfant d’une divinité dont la passivité avait retiré son nom des légendes et de ses drames. Il venait à la réalisation tout seul, à peine guidé par ses anciens mots et elle demeurait debout face à lui.

L’éternité de son affection contenue dans l’étroitesse de ses épaules. Les yeux de Sohel luisaient de l’aura carmin, ses mains frappaient les airs comme si par sa violence il souhaitait resoudre un outrage plus ancien que son nom. Mais Miel ne tremblait plus car désormais elle ressentait l’écho de son pouvoir en lui. Il se calmait et elle pouvait l’approcher d’un pas, lui tendre une main qu’il lui appartenait de saisir ou de refuser.

-En temps qu’enfant d’arès, je conçois que l’aveu de ne pas être “assez fort” pèse. Mais ne te fais pas l’affront de t’entailler dans une rage inutile. Je…je ne peux pas être de bon conseil pour l’art de la guerre mais je peux t’assurer qu’un esprit fort compense les manquements du corps. Un esprit fort accepte les sentiments pour les faire taire, le chien attaché ne fera que se débattre de plus belle.

Elle lui sourit, et fermit ses lèvres en une moue sereine. Miel possédait aucun besoin d’être entendue, son coeur hurlait déjà assez bien à son esprit de comprendre ses fonctionnements ingrats. Si l’humanité entière trouvait une grâce et une miséricorde à ses yeux, ses tourments ne prenaient la forme qu’un mot en bas de page.

-Parce que tout le monde a besoin d’être entendu et tu es venu chez moi. Tu mérites d’être ici, entendu et protégé de tes propres démons pour mieux pouvoir les affronter.

Elle repoussait ses cheveux, cachait le leger soupir que l’égoisme offert par Sohel à sa propre personne lui inspirait.

-Quant à moi, j’ai la chance de posséder une mère qui m’écoute. Et des amis chers. Merci de ton intêret Sohel, très sincèrement.

A qui elle en dit rien ou les aléas violents de son âme. Mais ici n’est pas la question.

 

Sa main se nouait doucement sur ses avant-bras, le berçait de sa paix contagieuse sans le souiller. La paix le noyait avec tendresse, lui rappelait qu’hier n’était pas aujourd’hui et sûrement pas demain, et qu’elle demeurait là.


Tant qu’il avait besoin d’être entendu, tant qu’il avait besoin d’elle.

-Tant que tu es toi, tu es fort.

Voici les mots qu’on n’oubliait de se dire, qu’on oubliait de penser parce que cela n’était pas des choses aisées à appliquer et à installer. Être soi. Qu’est que cela voulait dire ? Être un autre et soi même tout à la fois, mais Mielikki lui faisait désormais confiance. Peut être qu’un jour, il saura mais s' il venait à se perdre qu’elle était là.


-Je n’ai pas vraiment besoin qu’on m’écoute, Oliver. Ma voix est assez commune, c’est la voix d’une mère ou d’une soeur, d’une vieille femme. Je n’ai pas de problèmes dans ma vie à part de pas pouvoir nourrir et aimer tout le monde, alors laisse moi t’écouter toi, te nourrir toi, et te rappeler qu’un foyer existe toujours. Même au plus profond de la nuit, un feu sera toujours allumé pour toi.


C’est avec tendresse qu’elle le tirait à ses côtés, qu’elle marchait avec lui, laissant la pagaille des livres et des larmes dans son chemin détérioré.

-Merci de vouloir me protèger, pour te remercier, que dirais tu que je t’inviter à grignoter un bout ? Enfant de la guerre, tu dois avoir des muscles pour me défendre pas vrai ?


Et son rire était comme la délicieuse prison d’autrefois, une prison dont on peut sortir et revenir, une prison sous le nom de maison.

Bienvenue à la maison, Sohel.