Les pieds ondulaient doucement dans l’eau, un reflet distordu de ce qu’ils étaient. Blancheur maladive tranchant avec les fonds marins, Miel en était fascinée. Fascinée par ses petits poissons ondulant entre ses orteils, fascinés par ses algues polissons enroulées autour des pierres, cette vie qu’elle voyait se deployer sous ses yeux comme un miracle inoui.

La vie dans toute sa splendeur, la force des choses maintenues dans ce globe lourd qu’on appelle mer. Et d’un sourire, elle s’émerveillait encore et encore. Le soleil était doux sur sa nuque nue, chatouillant le duvet blond qui remontait jusqu’à sa chevelure et d’un éclat de rire, elle retirait ses pieds de l’eau. 

Un poisson un peu trop taquin l’avait chatouillé et en boule, elle sechait ses petits pieds. Oui, la vie lui paraissait toute bien faite pendant ces instants de plénitude. Le livre reposait à ses côtés, les mots soulignés de cet auteur l’ennuyait un petit peu trop mais elle continuait de le lire comme ça, parce qu’elle avait promis.

A qui ? 
Oh, elle ne savait plus. Le mardi lui appartenait après tout et c’était dans la solitude qu’elle se posait et se définissait.

Cependant quelque chose se mouvait au loin, mouvement dont elle ne prit guère attention, trop prise par ce roman. Puis cette pression, cette sensation, cette attente, et les yeux se soulèveraient avec une certain dépit bien vite chassé par le simple plaisir d’une compagnie. La silhouette se découpait de la forêt, s’étirait bien simplement comme une lugubre force. Et le visage lui apparut clair tel l’éclat d’une lune pleine durant les soirées estivales.  

Anael. 

C’était de la providence, de l’absence, une présence ? Elle ne sut que penser et de la main, elle l’appelait à ses côtés malgré le mépris coutumier à sa présence. Anael… Sentiments perplexes mais vérité simple, iel apparaissait dans sa vie et semait mots et sympathie avant de s’étioler dans le mépris. 

Elle avait beau avoir tenté de lui parler, lui demander la cause d’un tel amas de malveillance mais elle n’obtenait rien de plus que ses réponses lissés. 

-Anael!

Sa voix tirait haut et fort, ricochet sur le lac. 

-Qu’est que tu viens faire ici ? Je peux t’aider ?

Et déjà, elle se poussait un peu, l’invitant tacitement à s’asseoir. La sollicitude comme parure au fond de son regard. 



 

Iel parlait avec ses termes élancés, ses grandes inspirations que le bonheur lui insufflait et l’affreux doute se substitua en ravissement.

Iel était heureux.se, comblé.e de sa présence. Sans doute était-ce ces gerbes de fleurs à la coloration tendre se pâmant autour d’eux, l’heureux responsable de cette paix découverte ? 

Elle ne se plaignait pas, elle s’en réjouissait même.


Miel n’aimait rien de plus que le bonheur des gens, et celui d’Anael avait la saveur d’une épice rare, dont le mordant ne saurait tarder à apparaître. Par peur du coup, elle se baignait dans sa satisfaction toute simple, l’amitié qu’il pouvait lui porter se drapait des couleurs du miracle. 


-Et tu en trouves ? On est en Mars, il doit y avoir tant de jonquilles, même si j’en ai pas beaucoup vu. J’ai aperçu des Iris à la bordure de la forêt, elles étaient vraiment splendides.


Et dans son babillage, elle se balançait doucement, mains reposées sur ses genoux avant de se stopper. Regard posé sur son livre et un haussement d’épaule qui ponctuait la question. 


-On me l’a ramené de New York, c’est un livre à propos d’une fille qui brûle tout ce qu’elle voit et qui doit retrouver ses parents pour défaire une malédiction, je trouve ça très cousu de fil blanc. Je devrais le terminer mais j'ai eu plus envie de me tremper les pieds. Imagine que les naiades m'ont montrés comment faire venir les poissons à soi!! C'est incroyable pas vrai ? 


Critique mais sincère, elle aimerai l’être plus envers ses amis, regard qu’elle savait porter sur la silhouette familière d’Anael. Et dans sa joie naive, elle lui offrait à nouveau ses rires perlés, cette vivacité dont sa neurordinaire nature ne devrait pas lui confrérer.


-Tu veux quelque chose à manger ?


Et sa tête se penchait, ravie de partager quelque chose d’aussi futile et sincère qu’un morceau de pain.





 

Iel parlait avec ses termes élancés, ses grandes inspirations que le bonheur lui insufflait et l’affreux doute se substitua en ravissement.

Elle sent et elle sait que ce qu’elle dit à propos des fleurs est d’une platitude morne, le printemps rimait avec ces floraisons. On les voyait même partout sur les hommes et les femmes, pourtant il y avait quelque chose de si singulier à être aussi populaires. Miel y voyait là la tranquille supériorité des choses universellement belles mais Anael était un.e artiste, tout ceux qui venait pour ses soins en repartaient ravis. 

Alors elle aurait voulu savoir ce qu’iel voyait dans les fleurs, quels étaient ses favoris, quels possédaient la grâce de lui plaire. Iel lui avait tantôt expliquer par des gestes vagues ce qui avait sa préférence mais elle n’avait pas dû bien comprendre ou bien suivre, les bleus lui paraissaient bien similaires et les rouges regorgaient des mêmes teintes précieuses sans que son oeil ne puisse distinguer la moindre scission entre ses camaieu. 

Mais qu’iel lui accorda la grâce d’écouter ses opinions, lui fit sourire doucement. Elle connaissait sa fierté et sa simple croyance d’être en tout point supérieur au monde, alors qu’iel l’écouta un seul instant lui tira un rayon de gratitude. 

Elle sentait l’affection qu’iel entretenait à son sujet et cette vérité installait l’humilité dans son coeur. 

Etre appréciée était en soi, un petit miracle du quotidien. 

-Merci de m’écouter, Anael. Tu me montreras ce que tu feras ?

Une petite pointe d’interrogation dans sa voix, maladroite fille. Elle ne veut pas s’imposer, surtout pas et Anael était ce chat errant, la queue fouettant les mouches et les hommes osant l’importuner dans sa méditation. 
Oui, il ne fallait pas se forcer. Elle haussait les épaules et pourtant, Mielikki eut de la peine pour cet auteur. Un visage inconnu, sans nez et sans yeux et pourtant, une personne ayant sans doute passé des heures à taper, à croire et à attendre. 

La tristesse serrait son coeur furtivement avant qu’elle ne chassa bien vite ses pensées. Non, elle le finira. Mais pas maintenant, il y avait quelqu’un à ses côtés. 

Un trésor assis à sa droite, un être sans doute béni par plus d’un dieu et par plus d’une vertu. Farfouillant son sac pour en tirer une boite sèche, miel la mit entre les mains d’Anael sans aucune autre cérémonie que cet éclat de joie.

Qu’on mange ce qu’elle cuisine était toujours une bénédiction. 

-Tiens alors, c’est des muffins avec les baies de mon jardin. Tu peux garder la boîte, tu me la rendras quand tu me reverras.

Ou iel ne pouvait jamais lui rendre, du moment qu’on lui trouve une utilté, cela était plus que l’on ne pouvait demander. Elle se rapprochait du bord, tapotait l’eau sage de ses pieds lentement : 

-Pour les attirer, faut bouger comme eux. Genre doucement et tadam! Ils sont là.

Selon ses ordres et selon sa voix, une myriade de petits être se pressait à ses pieds. Des couleurs vives comme des plus ternes, tous offert au regard des deux. Elle voulait voir en son regard si blasé, les expressions de bonheur. Un seul petit éclat pour qu’iel retourne à son tranquille contemption. 

-Je viens ici assez souvent oui. C’est calme et j’ai la sensation de respirer un peu mieux, il y a toujours tellement de monde en ville…C’est parfois un peu dur pour respirer, tu ne trouves pas ?

Elle chuchotait presque ses termes. Honteuse mais confiante, comment savait-elle qu’Anael allait écouter ses mots ? Oh, elle ne le savait pas mais elle lui portait cette confiance aveugle. 


 

Que sa pâtisserie soit à son goût la ravit un instant, puérile et petite Mielikki. Elle savait pertinemment que ses mains étaient dénuées de tout talent culinaire comparable à ses frères et soeurs, mais qu’un.e apprécie ces offrandes de blé et de fruits remuait tes tripes d’une sensation aussi chaleureuse que volatile. Le bonheur se limitait à fort peu pour une femme comme Mielikki.

Du compliment lancé, milles sourires furent répondus. Sur ses lèvres, sur ses mains, au fond de ses yeux, dans le bruissement de ses cheveux dans le vent tiède de ce mois printanier. Et de l’excitation puérile qu’elle démontrait pour ses poissons, iel la joint dans cette exercice.

Mais le geste était trop brusque, trop vif, trop virulent. Les poissons sentent et connaissent la fréquence de la violence et de la nouveauté, Miel pinçait ses lèvres d’un regard assombri par la crainte. Ce n’était guère sa colère qu’elle redoutait plutôt, son mépris. Qu’iel rejetta ces choses de la nature à cause de maladresse toute simple qu’un apprentissage pouvait faire taire.

Elle maquillait ses mots de la plus infime des précautions, des mots soyeux et ronronnants, allongés le long de ses cuisses dans un soupir satisfait :

-Tu sais Anael, j’ai pas réussi du premier coup non plus. Tu frappes trop fort, trop régulièrement. Il faut que tu t’imagines être une proie, un ver tombant par accident dans l’eau.

Yeux concentrés sur le rivage, elle ne se rendit pas compte de l’absurdité de ses mots. La simple grandeur d’Anael rejaillissait sur les flots, Miel voyait le reflet de l’être dans les vaguelettes, ce regard clair porté vers l’horizon comme si d’une main, iel pouvait s’en saisir et le réclamer comme sien. Miel ne réclamait pas de ellui qu’iel saissisait les troubles de ceux écrasés par la foule, car Anael devait faire partie de celleux qui en était exaltés, rendus magnificient par la somme des regards portés sur ellui.

-ça me surprend pas de toi, Anael. Quand je te vois dehors, que je regarde ton visage, ta manière de te tenir, tu as l’air heureux.se d’être entouré. Pas heureux.se comme ton sourire face à certaines choses mais plus comme si tu t’attendais à ce que t’on te bénise. C’est une sensation étrange parfois. La nature te sied bien mais la ville te va mieux.

D’un regard oblique, elle secouait la tête doucement, relâchant la masse de cheveux sur sa nuque dénudée.

-Ici, tout est calme. Les fleurs poussent, les poissons vont et viennent, les gens lisent et partent. C’est silencieux, ça fait du bien parfois. Si l’on attend trop de nous, la nature n’espère rien si ce n’est d’être regardée. Tu as dis que ça t’inspirait, mais quel est ta saison favorite ?

Elle parlait doucement, deux petits tons mis côte à côte, une mélodie de syllable dont elle maîtrisait les accords.


 

Iel semblait dérouté.e par les mots lissés de Miel, sans doute qu’elle n’avait pas aussi bien saisi les nuances de l’enfant d’Athéna qu’elle ne pensait le croire. En ellui tourbillonnait tant de choses, le mépris, la fierté, l’ennui, des nuances d’un violet singulier à ellui, qu’elle avait apprit à apprécier comme preuve de son individualité. Elle ne jugeait pas, se contentait de l’écouter et de voir les émotions traversantes en son visage. Elle voudrait être plus sage et plus intelligente pour lui offrir autre chose que ses conversations creuses des choses ordinaires mais, peut-être qu’à travers ses mots banals et creux quelque chose pouvait être fonder. Une lueur simple de compréhension entre eux pour ne plus se blesser et se comprendre avec la simplicité des hommes et des créatures.

-Tout le monde a des qualités oui….

Elle partait loin, dans ses pensées chimériques comme pour tracer les contours d’un monde bien abstrait. Elle ne vit pas qu’iel s’allongeait, s’étalait sur le tapis de printemps déposé par les mains enchantées de Perséphone devenue Koré. Puis la parole remplissa à nouveau les airs, ses quelques confessions dont Miel écoutait les syllables religieusement.

L’hiver.
La saison où rien n’existait et en même temps, tout était en plein potentiel empli des secrètes nuances d’un monde à naître. Elle lui sourit, les songes pleins des graines endormies et des animaux recroquevillés pour ne pas subir les morsures du froid.

L’image était tragique
L’image était belle

-ça ne me surprend pas de toi. Les Edelweiss sont tellement charmantes quand pointe les gêlées. On disait avant que cette fleur symbolisait un amour éternel.


Iel le savait probablement, elle n’apprenait rien, l’offensait très probablement par ses mots lancés avec l’inconséquences de son innocence.

-Ma saison préférée, c’est le printemps. L’été me fait suffoquer, et j’aime bien le printemps. C’est l’attente du plein potentiel, tout bouge et tout grandit, je m’y sens si bien comme si ma vie était à cette saison. L’été m’attriste, c’est une saison si remplie de mort. C’est le zénith avant la chute. L’hiver est plus empli d’espoir pour moi.


Elle lui offrait ses pensées comme si cela n’était qu’un assortiment de superficialités tout à fait bénines.