Le soleil teignait les arbres de ses longs filaments et derrière ses yeux clos, Mielikki savourait les bénédictions d’Hélios. A la douceur de la mort du jour, elle se soupirait de cette journée déjà finie, les doigts occupés à tendre le tissu de ses gestes répétés. Le bonheur ménager ne se tenait qu’à un rien, un précieux petit rien qu’elle tenait tout entier entre ses mains. 

La maison était ordonnée comme une maison de poupée, les étagères dépoussiérées et le four gardait en son sein, une tarte de sa création. Le silence des choses heureuses la comblait de bienfaits et d’une prière silencieuse, elle remerciait sa mère aux cieux. A son simple bonheur se réhaussait les inquiétudes d’une soeur, les nouvelles dissolues du plus proche de son sang s’attardaient en elle. Innocent, un nom comme une ode à ce qu’il était bien malgré lui. Un enfant à l’appétit large et aux manières d’hommes, et pourtant, pourtant, dans les derniers instants du jour, elle pouvait le voir. 

S’avançant tête nue, le regard fou de son ivresse sobre, trimballant avec lui le vélo de ses malheurs et les bagages de sa liesse. Mielikki l’attendait, l’attendait, prenait racine dans sa maisonnette à regarder par la fenêtre, déployant ses bras vers l’ombre de celui qui était sien par plus de choses que le sang. 

Qu’il vienne ou qu’il ne vienne pas, qu’elle l’aime ou qu’elle l’adore, cela ne changeait rien au repas dressé, au lit fait, à cette salle de bain apprêté pour ses besoins. Ses lèvres continuaient à fredonner cet air léger, pour chasser la mélancolie qu’un coeur ne devrait subir. Puis quelques petits coups sur la porte et elle s’écriait qu’elle venait. Comme si l’on avait besoin de savoir qu’elle répondrait toujours présente à ceux la réclamant. La farine tombait de ses mains tel la neige d’un mai avancé tandis qu’elle ouvrit la porte. 

Ainsi était-il debout sur le seuil de la porte, immense par son ombre mais pourtant si petit, jumeau d’une autre mère et d’un autre père, Innocent et sa chevelure brulée par le soleil, ces tatouages comme l’encrage de son existence et elle lui sourit. 

De toutes ses dents, de toute sa joie, de tout ce qu’elle ne pouvait plus retenir. 
Il fut dans ses bras avant qu’elle puisse prononcer un mot et elle le serra, serra, serra. Par trois sien, par trop de fois manqué. Le pardon vint comme si il avait toujours été là, présent dans ses pensées disparates et elle lui embrassa sa joue, piquant ses tempes sur ses boucles d’oreilles. 

-Innocent, Innocent.

Le souffle lui manquait, la joie maîtresse jalouse l’étranglait. 

-Ce n’est pas grave, du moment que tu vas bien, que tu n’es pas blessé. Je vais bien, moi, maintenant que tu es là.

Des fois où il revenait, cabossé par la vie, brisé par le destin. Elle l’avait vu. Elle l’avait sermonné avec la douceur et la mollesse de ces mères trop heureuses de récupérer l’oisillon. 

Et il l’entraînait, la traînait au milieu de ces lieux familiers. Elle riait, emportée par sa fougue comme si elle se retrouvait un peu loin de la gravité de ses habitudes. Trébuchait un peu, ses petits pieds ne suivant pas ses grandes enjambées. 

Il parlait vite et il parlait trop, les mots mâchés et recrachés, tout brûlé par la vivacité de ses émotions. Elle ne voulut pas lui lâcher les mains, mais elle le dût. Face à lui, mains sur les hanches, regard planté dans les sien mais le sourire dénaturant toutes formes de sérieux que Miel pouvait posséder. 

-Oui. C’est une tarte aux pommes, je l’ai faite pour ce soir. J’espère que tu as faim parce que ce soir, c’est bombance. Tu restes dormir, j’ose espérer. Sinon moi, boulot, dodo, beaucoup de travail en ce moment, Sasha veut m’emmener à New York bientôt, Minseo va me faire les ongles, et..euh…

Tant de choses à dire mais si peu d’intéressant, si peu qui méritait là qu’elle s’y attarde alors qu’elle pourrait enfin profiter de sa présence.

Joignant ses mains sur les siennes, elle s’enquérit : 

-Et toi, Innocent ? T’étais dehors ok, mais où ? Pas de problèmes, tu me promets ? Tu vas bien ?

De ses yeux levés vers lui, elle réclamait une vérité. Peu importe si elle était decevante, violente, écoeurante. Tant qu’elle pouvait l’entendre, tant qu’il pouvait la prononcer. 



 

Par petits coups, elle suffoquait, des petits coups de canif à son affection malsaine pour celui qu’elle érigeait comme son frère. Un être dont le bien-être lui était fatal, un être dont elle se savait trop faible face.
Tuerait-il un homme qu’elle baiserai ses mains, repousserait les mèches de son front et lui offrirait la repentance d’actes dont il ne comprenait pas réellement la portée. Miel pêchait de tout avec lui, son innocence comme la seule limite à l’absolu qu’il franchissait avec l’hardiesse des inconscients.

Sans se départir de son sourire qu’elle entendait ses excuses, la foi des jours meilleurs s'effilochait avec la tendresse de ces petits ruisseaux frémissants. Oh, elle n’abandonnait pas l’idée qu’un jour il lui tienne la main et lui jure

d’être un peu plus comme l’enfant qu’il fut et un petit peu moins comme l’adulte qu’il est.
Sur le Styx, cette promesse. Ou sur leur amour, si tant le terme “amour” pouvait être appliqué.

Déraison fraternelle apparaissait comme le meilleur terme.

D’un soupir, elle défronça ses cils. Ses vagues blondes jettées derrière ses yeux et l’angoisse maladive se fit pandémie dans son corps.

-Tu me tueras Innocent.

Prophétie qu’elle démentait tantôt sortie de ses lèvres blanchies, elle souriait avec les yeux en berne. Quelle scène dithyrambique se jouait sous ses yeux, le corps d’inconnus dans l’eau polluée, la joie vivace qu’elle sentait masquée au fond de ses iris fiers. Il ne disait rien Innocent, rien qui ne pourrait le trahir. Mais que n’ignorait-elle pas de lui ? Ses vices et ses excès sont inconnus pour celle qu’elle est, mais elle le sentait. Et lui pardonnait encore et toujours car c’était ce pourquoi elle était faite. Tolérer les écarts pour bénir les rigueurs.

-Je m’inquiéterai toujours pour toi, même si tu dis que tout va bien.

Et par ces mots, elle lui dit tendrement qu’un jour, elle ne sera plus là. Un jour, elle s’en voudra de ne pas avoir le pansement et la pommade à ses maux d’adulscents. Mais il paraissait si fragile sur cette chaise d’oseilles; les épaules rentrées dans un corps trop étroit pour être celui d’un homme. Alors Miel lui sourit, encore, plus simplement.

-Ca me convient bien pour le moment, tu sais. Si on a besoin de moi, on sait où me trouver. Et j’ai bientôt fini d'aménager la petite chambre du grenier, la cave doit être emplie d’olives à mariner et mes coquelicots pousseront certes seuls mais qui pourra les regarder naître si je ne suis pas là ? Non, l’aventure n’est pas pour moi.

Elle tait ses doutes, ses questions sans réponses  et comme pour effacer le mal qu’elle fait, Miel tirait les assiettes fraccassantes, les verres d’un cristal tintant qu’elle disposait sur le plateau tressé de ses mains ennuyées.

-Sors le vin et l’hydromel, tu sais où es le cratère pour les epices, pas vrai ? On ira dehors, le soleil va pas tarder à se coucher et j’ai des lucioles qui viennent de naître dans mon jardin. Tu trouveras ça tout à fait charmant, Innocent, j’en suis sûre. J’ai le pain et le fromage sous le petit coffre derrière la table du jardin. Sers toi, ne m’attends pas.

Déjà vieille, déjà oubliée ses craintes et ses colères. Pour un frère, Miel tiendrait les tempêtes et les procès d’une foule vengeresse. Oui, pour un frère.  


 

Qu’était la confiance si ce n’est la promesse de devenir aveugle aux erreurs et aux doutes, de compter sur la présence d’autrui comme ce pont fragile où Mielikki s’aventurait avec la prudence de ceux n’ayant jamais eu à tomber. La confiance fut pour Innocent, une certitude et une malédiction, certitude que dans la maladie et la peine elle lui ferai le don d’avoir foi en sa présence et sa malédiction. Malédiction qu’était d’avoir les yeux ouverts sur ses défauts de désinvoltures et de frivolité toute habillée de sincérité mais de se savoir profondément impuissant face.

Imprimés sur sa rétine, la confiance et l’amour rendait le monde d’une douce lueur orangé partout où il était et elle esquissait de ses lèvres, de son visage, de ses yeux, une risette à la petitesse de leur monde.

-Tu ne peux pas mentir.

Cette phrase, jugement et sentence, résonnait doucement dans la pièce faite à leur taille. Et il s’en allait, désastre fait de blanc et de lumière, Malin asservi à son bonheur domestique. Les choses venaient et partaient de ses mains, la tarte encore fumante se reposait à l’orée de la table fait du même bois que les fruits dont elle était faite. Elle riait encore à elle seule, aimant la sonorité de sa présence dans l’espace clos. Innocent lui qui avait tout vu et tout goûté de ses dents de corne et d’écailles n’avait jamais vu les simples lucioles ? Les amies de la nuit et les protectrices des errants ? Elle voulait lui apprendre à les aimer, à apprécier ce frêle corps sur ses doigts gourds, pour lui montrer qu’ici il pourrait être heureux. Qu’ici, son lieu était déjà tout trouvé. Entre ses bras et les arbres de derrière, Innocent dans sa clairière tout entier dévoué à ces petites choses dont seule Mielikki voyait la beauté. Mais, cela n’arrivera jamais. La femme qu’elle était le savait et c’était sans rancune qu’elle y songeait, peu importe ce qu’était Innocent, il était lui et c’était la seule bénédiction qu’elle pouvait exiger. Alors elle s’aventurait à le rejoindre, chassant ses pensées vaniteuses de son être trop étroit.

Quelle vue cela était, la chevelure du frère teint du roux flamboyant du soleil, sa mine hâlée et les herbes folles dont elle n’eut jamais le coeur de couper frémissaient, s’agitaient des petites créatures dont Miel s’était destinée à être leur tendre gardienne. Un tableau dont chaque élément était à sa place la plus absolue, et l’air vibrait doucement de la paix qu’elle apportait.

Au crépuscule que les pouvoirs s’éveillent, là où Mère laissait les braises du ciel s’étioler pour leurs yeux clairs.

Ordre fusant, verre tendu rempli de la boisson ambrée, elle s’assit à ses côtés. Un regard sur lui, un rire pour ses volontés.

-D’accord.

N’y croyait-elle peut-être pas, cela lui indifférait royalement. Une coutume à la hauteur de leur relation, inoffensive mais mystique, une boule de rien tâchant les parquets lissés des rituels ordonnés. Alors elle gloussa un peu quand il lui dit que le dire n’avait pas de poids sur la force du voeu.

Elle souhaitait milles montagnes et milles soleil,
milles lacs,
milles mondes
milles distractions
pour qu’Innocent ne souffre et ne désire point ces paradis artificiels

Le soleil commençait à s’endormir, elle voyait ses yeux lourds et ses manières endormis sombrant à l’horizon.

Il prononçait son voeu et elle sursautait, larmes émues comme un soleil contenu dans ses yeux.

-Tu ne veux pas pour toi ?

Pour noyer les sanglots salés, elle noyait sa gorge dans son verre. Sa sincérité flottait sur leur peau comme un parfum d’une opulence rare. Cachée derrière ses yeux, pudeur de ses émotions qu’elle n’aimait imposer à personne sauf à ses peluches, la question d’innocent comme annonciateur de la nuit.
Son bonheur, bien futile, était devant ses yeux.

-Je le suis oui.

Chipotant du bout des doigts la viande séchée et fumée par ses soins, elle l’engouffrait dans sa bouche avant de murmurer :

-J’ai souhaité pour toi. Mais ça ne sert pas grand chose de le dire, je verrai bien assez tôt si ça se réalise ou pas.

Le bal des lucioles commençait, les frémissements devenaient grands bruits et enfin, elles osaient apparaître. Ces minuscules lumières, comme des étoiles mortelles, à voltiger dans l’air tiède d’un mois de mars bientôt écoulé. Emue par cette vision si familière, elle le regardait encore une fois.

Tendrement, comme pour ne jamais oublier, même quand ce corps aura fini d’être usé. Avant de renchérir stupidement, vainement :

-Merci d’être venu.

L’alcool ou l’innocence.
 

Il lui tendait des questions, à bout de bras nombreuses sur son paradis étroit et simple. Des choses dont on se questionnait guère sur l’usage et la coutume, cela était comme ça et c’était tout. Miel voudrait lui conter une histoire belle, ces histoires naives dont personne n’y croyait tout à fait sincèrement mais dont les enfants hissaient les mots au rang de morale et de promesse. Elle voudrait lui promettre que les lucioles brillaient pour un but bien supérieur, et qu’elles s’éteignaient comme les égyptiens cachaient leurs morts, au milieu des signes trop abscons pour leurs compréhensions

Mais Innocent méritait la vérité comme elle méritait le mensonge, à deux êtres deux besoins. Alors elle laissait son doigt s’onduler, trançant les courbes le long des arabesques d’insectes :

-Les lucioles produisent une protéine nommée la luciférine et une enzyme nommée la luciférase, qui en contact créer une oxydation relâchant une énergie, produisant de la lumière. Celles qui clignotent sont celles qui n’ont bientôt plus assez d’énergie, elles s’éteignent pour toujours.

Avec douceur, comme si dans la mort, elles ser permettaient un dernier spectacle. Voici pourquoi Miel aimait la nature, les choses que seule elle aimait observer car dans les insignifiances vivaient les plus bels orgueils de Déméter. Mais elle regardait désormais son frère, la courbe de sa mâchoire, la forme de ses yeux, la teinte de sa peau, elle avait aimé fut un temps s’imaginer qu’ils se ressemblaient un peu. Que Maman les avait choisi les deux seuls non amourettis pour se tenir compagnie, tout serrés dans leurs capsules de solitudes. Mais elle avait fini par se donner tort, son front était trop franc, et ses yeux ne voyait pas le rouge comme les yeux désertique de Miel voyait le vermeil.

Que voyait-il aujourd’hui dans ce jardin bientôt éteint ? Qu’aimait-il dans ses misérables insectes leur offrant les dernières danses de leurs ailes usées ? Elle aimait qu’il lui dise, elle aimait qu’il parle de ses sentiments trop étroit, tout contenu dans sa poitrine froissée par la vie.

Sa question attira une réponse qu’elle ne contrôlait plus, sa voix perdue dans les accents de sa franchise :

-Vas tu me reprocher de t’aimer plus que je ne le devrais ?

Cette vérité toute simple fut étouffée par une bouchée de pain. Son amour ne devait pas être prison, il devait être libérateur. L’homme avec l’épée et la chaîne déchiré dans son poing vengereur, lointain. Elle voulait que ses instants soient assez doux pour qu’il lui revient et qu’encore, encore, encore, dans la répétition du quotidien, il se prenne à croire que ces instants de paix n’étaient pas contre sa nature profonde.

Quelle douce malédiction qu’était être la soeur d’un damné, l’amour ne dépasserai jamais la superficialité d’un bonheur instable. Mais elle l’acceptait, elle lui serrait la main, entremêlait ses doigts pour demander à lui donner un peu plus d’elle pour qu’il ne pensât pas être qu’un enfant perdu au milieu des ruines.

Pour l’or et les trésors,
Pour les joyaux perdus des navires échoués,
Pour la foudre du roi des Cieux,
Pour l’âtre de Maman
Pour l’amour de tous les dieux,
Mielikki n’offrirait ces souvenirs à personne, les remerciements dilués par l’ivresse et leur faiblesse mutuelles, ces choses dont la stupidité n’appartenait qu’à eux.

Ils festoyèrent à mesure d’hommes pendant que le ciel se hâtait à jeter par dessus ses épaules les lourds habits de la nuit. Ils ne restaient qu’eux, joyeux et tristes, éternelles figures du temps bientôt clos.

Il parlait différemment maintenant, sa voix engourdie par le vin mélangé à la cendre, plongé dans ses lointaines merveilles.

-Elles se sont endormies, oui.

Ou sont-elles mortes ? Ou sont-elle occupées à pouponner les futures danseuses des insomnies à venir ?

-D’accord. Je te ramenerai une couverture, dors où tu veux.

Du moment qu’elle pouvait, au milieu de ses nuits sans grand repos, voir sa chevelure et sa poitrine se soulever avec régularité. La main de Miel vint se perdre dans ses cheveux, chassant la sueur poisseuse de l’effort et de l’alcool, avec tendresse qu’elle lui mentait :

-Oui, j’ai tout à fait sommeil.

Les yeux d’Innocent fixaient le ciel, elle voyait les reflets des andromèdes dans l’humidité de son regard. Ses mots tout simples qui lui disaient, elle n’en croyait pas un mot car Innocent plus que les autres avait besoin de ne plus e^tre l’enfant perdu entre ses bras, ou l’adulte ecrasé par une vie insipide.

-On dit que les lucioles le jour deviennent des cocinnelles, qu’elles dorment dans des petits lits de coton et qu’en mourrant, elles retournent à la terre. C’est une vie que tu trouverais ennuyante, les mouches sont plus amusantes, elles sont partout et vivent plus longtemps que nous.

Increvable nuisance que Miel contemplait sans un bruit.

-Fais ce que tu veux de ta vie, Innocent. Tu sais que je serai toujours là à te rattraper si tu tombes et à te bénir si tu t’hisses.

Parce qu’elle était toujours là pour lui, à le voir pousser de travers, à renverser les clôtures, à pourrir les lacs. Au fond, peut-être que la seule ressemblance qu’elle pouvait reconnaître était celle du coeur.