Il n’avait pas réussi à rester jusqu’au bout.
Son orgueil, toujours plus insistant que l’affection qu’il pouvait porter aux autres, n’aurait pas supporté qu’il s’attarde. Pas supporté de constater son propre échec et l’étendue de son impuissance.
Il aurait dû ! Pour l’honneur. Rester et accepter, toiser d’un regard désapprobateur son insolent protégé pendant que celui-ci se faisait justement punir pour sa témérité.
Mais Raf lui ressemble trop pour ça.
Tous les jeunes gladiateurs de l’arène n’ont pas pu ignorer le traitement spécial que leur entraîneur lui réservait, les tâches plus dures qu’il lui donnait, le ton tout à la fois plus ferme et conciliant. Satya n’avait jamais vraiment cherché à s’en cacher.
Il n’avait pas su cacher non plus l’explosion surprenante de colère quand le plus jeune lui avait confié son dessein. Il était venu, pourtant. Les dents serrées, d’épreuve en épreuve, le cœur gonflé d’une fierté mêlée d’inquiétude…
Jusqu’à la dernière.
L’idiot ! L’idiot avait fait ce qu’il aurait fait, à sa place. Il en aurait pleuré, ou éclaté de rire.
A défaut de l’un ou l’autre, Satya était parti.

Il lui avait fallu un temps pour apaiser suffisamment le rythme affolé de son cœur, pour récupérer la contenance sacrée qu’on lui attribuait toujours…
Puis, en s’assurant que personne ne le voit, il s’était glissé par la porte arrière de la clinique. Avait refermé avec soin le battant de la chambre.
Loin des yeux, dans l’intimité des face-à-face, le fils d’Aphrodite s’autorise quelques fragments de sentimentalité.

“Oui, tu as merdé. Royalement.”

Sa voix vibre et fuse, perce l’air comme ses flèches.
Dur, toujours dur, il n’a jamais été que ça, qu’une armure.
Et pourtant, en voyant sur les traits de Raf le remords familier des cœurs tendres, il ne peut s’empêcher de ployer. Sans un mot, s’approche du lit, s’assied à ses côtés et, d’un geste maladroit, le force dans une rare étreinte.
Sentir sous ses doigts ses cheveux bouclés lui rappelle un autre frère qu’il n’aura jamais su rassurer de la sorte. Peut-être qu’avec Raf, il peut apprendre à être autrement.

“Tu as merdé et c’est en partie de ma faute. Je n’ai jamais pu te rabaisser. Si je n’avais pas été si putain de fier, je t’aurais fait comprendre que parfois, les gens comme nous n’ont aucune chance !”

 

Peut-être était-ce cela encore qui les opposait le plus. Le fils d’Aphrodite est un fil du tissage serré de ce petit univers clos. Coloré autrement, peut-être, brisant le motif, sûrement, mais il ne s’en échappe pas.
Il aurait aimé lui promettre que le monde était encore à refaire, que rien n’était perdu, que ce n’était qu’un accident de parcours ; mais Raf ne l’aurait pas cru. Satya voit déjà dans ses yeux que ce qui s’est passé l’a frappé trop fort, d’un coup asséné droit, moins contre son crâne que contre ses idées.

“Je pensais que tu savais, que tu te serais renseigné avant d’y aller, au moins !” proteste-t-il vivement devant l’aveu du plus jeune. Tête baissée, yeux grands ouverts ; il n’avait pour issue que le mur ou la chute.
Était-ce là un défaut de sa préparation ? Satya aurait dû lui dire, témoigner, raconter… Mais il n’aimait guère en parler. Il ne voulait pas y penser. Il avait fait ce qu’il avait dû et, au fond, avait bien mieux vécu que prévu les insultes et les coups.
“Ils ne m’ont rien dit que je ne m’étais pas déjà dit à moi-même. Parce que contrairement à toi, je savais ce qui m’attendait, ce qu’ils allaient me dire, et j’ai pu m’y préparer. Je n’aurais pas été capable de te préparer à ça. Même pour ton bien… Je ne sais pas si j’aurais pu te dire tout ça.”

Parce que les quolibets laissent encore un goût amer contre son palais, et qu’il aurait échangé milles douleurs pour avoir l’opportunité de s’en venger en écrasant enfin ses poings sur le visage d’un de ceux qui avaient osé.
S’il avait pu, comme Raf, c’est le roi qu’il aurait demandé. On lui avait imposé une femme pour rabaisser son ego déjà chancelant ; il en gardait encore aujourd’hui un souvenir brûlant.

“C’est censé nous rendre plus forts parce qu’ils visent nos points faibles, Raf. Qu’ils veulent t’apprendre à être Sparte avant d’être homme ; parce qu’un homme meurt plus vite.”