pitié ;

est un mot qui dessine bien ses contours fins, tracés d’un feutre velleda flou, à l’embout desséché ; on l’avait ainsi colorié, mishka, du haut de ses vingt-sept ans.

ce mot avait une sonorité qui fondait si bien sur ses lèvres élégamment dessinées (ah elle le lui avait déjà martelé tant de fois, caressé la joue avec cette insulte qui lui sied tant) puis

c’est vrai qu’il y a déjà goûté, dans un baiser volé ; mais il faisait comme si ce n’était pas le cas.


pas trop
a appris avec elle,
à ne pas.

sur son rainphone, elle lui avait répondu avec son enthousiasme laconique habituel,
le même ton qu’on utilise pour voir un très bon (ami) de longue date mais qu’on finit par oublier un peu dans les toiles de son tiroir.

au moins,
elle avait dit


[peut-être].

mishka devrait le prendre comme un compliment.

sa stature moyenne se fondait dans la foule, avec son air élancé le dos courbé il n’avait pas une apparence très particulière,
simplement mélangé à la foule avec pour seule (particularité) ce style peu pétant mais alarmant - et son parfum chloré qui faisait tourner le regard à se demander s’il avait pris un bain à la javel ;

ses mains ne sont pourtant pas trop décapées,
adossé à une rambarde parmi d’autres dans ce quartier grouillant
il attend qu’elle le noie encore une fois,             il ne sait pas        encore                c o m m e n t         mais
(qui sait, il en a peut-être besoin).

elle avait l’attraction des trous noirs,
béants,
qui hantaient le coeur des enfants et ne laissaient sur leur passage
que des miettes d’insomnie.

arden avait ces mots qui explosent le trouble indolent qui voilait mishka ; elle était plus visible, plus forte, plus, et toujours plus,
quand mishka de son air fantomatique
                                                                   ne marquait ni les souvenirs ni les avenirs.

et c’était cette dangereuse pesanteur qui le poussait à revenir, à date ponctuelle, quand elle semblait l’avoir balayé comme poussière périmée sous le tapis de ses constellations,
tout un système propre à elle-même - car elle était
l’ard(en)ant ostensoir sur l’autel de ses limbes.

                 il n’existait effectivement que pour mettre ses mains dans les siennes, trancher la constante de son visage par un sourire qu’il lui reprenait,
contagieux.

❝ si je suis là, que je te vois ; c’est que je vais bien, arden.

dans les oreilles inconnues, cette réponse avait la nature d’un mielleux romantique
niais et impétueux ;
mais iels savaient bien tous.tes les deux qu’il n’en était de rien,
sinon d’un amour catatonique.

mishka ne lui retournait pas la question, il la connaissait arden,
elle allait bien,
si elle était là et qu’elle lui faisait des signes grands comme le ciel dans une foule torrentieuse.

elle lui demandait que faire, il était temps de s’y mettre ; marche en avant comme le soldat de ses complaisances conifères,
une hiérarchie à laquelle mishka se conformait fermement - mais par rapport à (avant) il y avait
de différent,
l’absence ;

de ses délicatesses sur sa manche qu’il renfermait doucement, et gardait avec soin contre soi, enveloppé dans son bras.

mais mishka ne dit rien - il avait dans les tripes, profondément
la terreur de tomber hors de son système solaire.

il entame le pas, l’oriente vers la boutique où sonne déjà le ding ding des nouveaux entrants (il n’y prête pas attention),
les yeux rivés sur le sourire d’à côté.

❝ on va acheter la figurine ; et après,
on peut se poser dans un café,
prendre un goûter ; il y a un coffee shop qui a ouvert pas plus loin que quelques mètres plus loin. ils ont du bingsu aux fruits du moment, j’ai regardé sur leur menu.

arden avait ce pouvoir de lui faire enchaîner des mots inutiles, qu’il avait appris à broder pour lui plaire. car arden n’aimait pas
(pensait-il)
les garçons mutiques ;
ou était-ce simplement la parade qu’il avait trouvé pour garder sa place,
se rendre utile.

❝ en plus, c’est la saison des fraises, arden.

il ne savait pas depuis quand
arden était devenue ponctuation de ses maux.

mishka débitait ses vérités comme si elles avaient été écrites
gravées dans les fondations de leur relation qui pourtant
avaient la fragilité cristalline des stalactites ;
et mishka les glaciers qui hantaient son coeur d’enfant.

mais peut-être que, dans ce geste-même d’énoncer des banalités et assumer passer l’après-midi ensemble en entier le rassurait dans cette réalité qu’il ne voulait pas imaginer ;
il se plaisait à croire qu’elle lui passerait encore ses doigts dans les cheveux avec une douceur qu’elle seule savait faire preuve à son égard -
et sans elle, mishka avancerait d’un air hagard

(s’en était-il convaincu au fil des années).

mais l’un.e comme l’autre, l’un.e dans l’autre ; avaient appris à tenir leur rôle et masquer la vérité qui n’était plus aussi pure ni innocente qu’avant -
c’étaient des choses qui ne se disent pas, tout simplement.

au désolée d’arden, mishka hausse les épaules laconiquement, avec la lassitude identique à son habitude ;

ne t’en fais donc pas,
va.

cet enchaînement de mots sonnait presque dissonant dans la bouche de mishka ; un brin trop familier, trop brave pour celui qui ne faisait qu’écouter ce qu’elle lui disait
s’aimait à penser qu’elle lui racontait ses différentes pensées parce qu’elle appréciait sa compagnie.

c’est qu’il y avait dans l’atmosphère seulement ponctuée par leurs pas qui les portaient vers l’avant le long des rayons bariolés
un malaise que lui-même ressentait ; arden, normalement, ne devrait jamais s’excuser
et définitivement pas auprès de lui.

mishka détourne le regard, et marque l’arrêt devant la figurine qu’il était venu chercher.

la pause est peu longue, quelques secondes seulement ; lui semble durer une éternité avant qu’il vienne la briser,
mais ses yeux déjà ne sont plus posés sur le visage de celle qu’il avait adoré comme une sainte sur son autel fait d’insectes et de maladresses éparpillées.

tu veux quelque chose ?

la question le fait hésiter, ses sourcils se sont froncés ;
parce qu’elle sonnait comme s’il ne savait pas alors que d’entre elleux, il était celui qui était censé tout connaître d’elle (sans rien comprendre de ses pensées ou de ses consternations réelles) - mishka avait appris par coeur le son de sa voix de ses pas, et pour un peu, des battements de son coeur ;
c’était sa manière de l’apprécier
mais il ne connaissait réellement la définition du verbe qui se cachait derrière

et finalement il était affligeant de constater que

mishka finit par prendre la figurine édition limitée de keroppi associée à celle qu’il était venu chercher de cinnamonroll ;

celle-là t’irait bien aussi.

par “aussi” il entendait qu’elle portait bien la brise douce-amère du printemps qui soufflait au-dehors.

arden refuse sa proposition comme l’on refuse des fiançailles ;
ou le pacte d’une amitié qui retourne leurs entrailles.
c’était une manière déguisée de s’échapper entre les roches
car iels étaient, après tout, des anguilles apeurées à force d’être trop proches.

pourtant mishka,
ne se reproche rien ;
ne lui reproche pas
de n’accepter qu’en distance mesurée les palabres de son amour épars.

sa main fantomatique
((comme la consistance de son être entier)),
derrière le plastique
la mascotte regarde d’un air vide s’éloigner ce duo mal accordé.

car il l’écoute comme il l’a toujours écoutée ; d’une oreille attentive
avec un oeil qui se voulait avenant -
cependant il n’avait pas conscience que le soleil-même le transperçait comme avant.

ce n’est pas une transaction, arden.

y avait-il du dépit dans sa voix ?
ne pouvait pas décrire la peur soudaine qui lui avait pris les tripes
(et puis avait disparue comme une ombre furtive).

parce qu’il était un enfant capricieux ; il pouvait tout lui donner
il était altruiste mais définitivement intéressé
par toute la candeur dont il faisait preuve
il y avait dans sa lassitude le chagrin d’un faon attendant son heure.


pourtant ce qu’arden, son amie, son amie aimante, son amie la sainte marie,
lui propose ;
n’a rien d’une liberté qu’elle voudrait s’acheter
et mishka a un soulagement mal placé dans la tension de ses épaules étriquées.

il lève un sourcil étonné ; c’est un geste futile et furtif qu’il n’effectue jamais
mais sur sa bouche peut se lire la naïveté d’un sourire qui voulait croire en cette volonté.

j’aime beaucoup l’idée ; même si tu n’es pas obligée de m’envoyer des messages,
tu sais.

il lui dit ça comme un garçon qui n’a rien d’égoïste
mais dans son coeur pousse une joie un peu triste
face à cette promesse qu’elle se passait elle-même au poignet ;


il n’avait pas à le faire, il la laisserait barboter et puis couler
dans la mansuétude qu’elle se complaisait à lui offrir
(mais ça, il ne le savait - il comprenait simplement qu’elle n’avait coeur à le laisser seul sur le bas-côté pour mourir).

je pense toujours (souvent) à toi.

mais mishka était du genre à rédiger des messages, à les lire
puis les effacer
(les couper
les garder dans le presse-papier)
puis les oublier ; ils disparaissent et il faut
et tout recommencer et

fixer cet écran bleuté jusqu’à ce que les mots ne fassent plus sens dans son esprit qu’il s’amusait à torturer
par peur de déranger.

l’enfant-hiver prend avec une délicatesse qu’arden lui connaît bien (on n’en parle pas)
les deux charms qui émettent un son sourd quand les joues en plastique s’entrechoquent sans parler ni rire ;
sans hésitation, il les lui tend puisqu’elle s’était proposé à les offrir
comme sur l’autel de leur compassion qui n’avait plus la pureté de leur enjouement enfantin.

je te laisse inaugurer.

elle scellait ainsi, (et n’avait pas intérêt à s’en dégager)
l’inéquité de leurs sentiments.

non, ce n’était pas ce qu’elle voulait dire
(comme lui n’avait pas voulu le lui laisser dire) ;
il avait pourtant laissé une brèche dans tous ces gestes qu’il effectuait comme un fidèle poli

mishka ne relève pas la sécheresse de ces mots,
simplement un peu plus droit, un peu plus tendu car il aurait voulu effacer les bouts moisis
qui s’étaient accrochés à leurs échanges amicaux ;
les couper, les amputer, et les jeter comme l’on jette les fruits pourris du frigo.


t’en fais pas, moi aussi.

moi aussi,
moi aussi quoi ?
moi aussi, moi aussi aujourd’hui,
moi aussi ;
moi aussi je dis n’importe quoi je veux simplement passer du temps avec toi et je t’offrirai le monde s’il le faut ?

mishka balaie cette inquisition malencontreuse d’un revers de main ;
il a un regard neutre qui suit la trajectoire des drachmes lancées pour sceller une promesse qu’iels tiendraient demain,
puis sans doute le surlendemain, et encore encore cette idée, il l’étreint ;
(il regarderait le charm et sourirait en pensant à ses doigts fins
qui lui tend sa part des choses, sa part des chaînes, sa part et sa faim).

c’est une promesse.

le sourire, le sien, est moins sibyllin ; il insiste sur les mots car il est plus pur, plus enfantin
(comprend bien
ce que ça implique mais fait genre de rien) ;
il se souviendrait toujours de cet après-midi passé dans une boutique de figurines à se passer un charm au doigt.


c’est mignon, oui, c’est un peu comme nous.

mishka ponctue cette affirmation qu’il ne laisse pas arden nier ; il impose le silence alors qu’iels sortent (le ding dong un peu décalé sonne à leur passage)
et le soleil avancé dans sa course frappe de nouveau ses iris déteints - il ressemble à un vague mirage.

            quelques pas ; point de départ.

il fait un peu trop chaud pour moi.

cinnamoroll n’est pas encore accroché à son rainphone ; entre ses doigts, il y est serré et déjà le plastique s’imprègne de ses empreintes digitales
quand ses yeux fuient la grâce d’arden pour se déposer autre part.

je vais rentrer, merci pour le charm.

(et la promesse).

je te dois un goûter, à la fraise pour être exact.

il plisse les yeux dans un rire qui ne sonne pas ;
il mange l’écart qui s’était creusé entre elleux comme s’engloutit un repas
qui n’a rien de délicieux ;
simplement présent pour faire quelques voeux.

je n’oublierai pas de t’écrire.

il y consacre la douceur du dernier flocon avant que ne s’en sépare d’une claque insolente le printemps naissant comme d’un affront.

pour un peu,
arden aurait pu douter de son existence et par extension de ce geste qui avait tout d’une insulte à tous.tes les deux.