elle et lui trempent dedans le monde comme deux baigneur.euses à la mer. autour d’elleux les gens qui dansent leur font de jolis jeux de vagues, éclaboussés des zootropes - les cheveux cramés sont l’écume. il la tient à la taille d’une étreinte gentille constrictor - avec son costume émeraude ça lui donne un air de cobra - et elle à l’identique incarne la vipère à son cou. ensemble au milieu de la fête, iels valsent, raillant le rythme, de toute façon les chansons à cette heure résonnent en bouillie, et c’est grossier, et charmant à la fois de les voir se serrer l’un l’autre, une bouche contre une tempe voire une bouche au creux d’une mâchoire.
Lazare, d’ailleurs, finit par éloigner la sienne. il l'avait posé comme pour boire à la gorge de sa vacancière, qui s’appelle on-ne-sait-plus et qu’il encercle encore mieux tandis qu’il colle un peu leurs joues. iels les ont roses assorties. c’est pour lui guider son regard qu’elle a très bleu, très lumineux, regarde, regarde, en direction du bar où tout.es vos ami.es s’agglutinent - elleux compris - il voulait vraiment qu’elle regarde parce que c’est un tour de magie. elle lui dit qu’elle n’a plus quatre ans et qu’elle veut retourner valser, fait ricaner Lazare, regarde je te dis ! promis tu vas aimer. quand tu annonces je vais réciter l’alphabet lui s’emmêle toujours au public.

elle et lui te regardent, donc, comme deux amours parodiées et ravies d’avoir un spectacle. il y a trop de voyeur.euses pour venir t’admirer de près - trois silhouettes juste devant elleux, dont celle du copain de la fille à qui tu fabriques du prestige - mais d’où iels sont iels t’entendent, iels te voient, bien ; lui, surtout, il te voit pire que bien et se languit de ton œil. tu vas lui offrir une seconde, il le sait. il t’attend innocent. d’ici là fait des secrets à sa cavalière enlacée, sans rater une seule miette - au fond ne lui ment pas lorsqu’il lui susurre à l’oreille, il ne bluffe pas, feint d’une risette, les esprits lui parlent, c’est réel. d’accord, il lui a menti à demi. et tu fais défiler des noms et ces noms frissonnent dans la foule - on dirait qu’elle te mire un flingue, la foule, chaque fois que tu baptises tu sembles la fusiller à blanc - jusqu’à Mary, quasi-Maria, ah- discret chauffeur de salle, il tique, s’exclame, Maria c’est la mienne ! si doué pour deviner les mères que tu cites la sienne au passage - souffle rieur à vipère, je lui fais des interférences ? presque- Maryam ? Maryam ! c’est Maryam ! - OUI !

pulvérise toutes les voix. ça fait qu’elles pétillent de toute part en pétarade extatique. la voix de Lazare s’y mélange, à grands éclats de rire, et personne ne trouve ça étrange parce qu’on croit l’euphorie logique. en fait, c’est souvent qu’on se marre lorsqu’on a croisé l’incroyable. il y en a plein qui s’esclaffent après les accidents frôlés, les ponts franchis ric-rac et sur le bord des immeubles. on doit le penser amusé - mais rendu nerveux par tes dons - à la manière d’un homme.

aah- Nono mon Oracle ! la vipère n’est plus dans ses bras, il peut t’accueillir en entier, hilare - recule sa tête de justesse - de l’or pétillant sous le nez quelqu’un lui accorde une lame. célèbre d’abord sa vedette ! ses doigts cernant le sabre produisent un son carillon - la faute aux bagues - et sa main libre encore t’encadre au niveau du menton. d’une pression sur tes traits, te déforme ton sourire. mais qu’il est fort beaucoup trop fort ! te lâche pour jurer aux bourgeois. les prénoms c’est pour être mignon - il peut vous prédire votre avenir, aussi ! moi par exemple je sais déjà quand je meurs. à Nono la mine hésitante. d’ailleurs c’est pas demain ? enfin ! qu’importe ! aujourd’hui qu’on saque le champagne, le goulot cisaillé d’un geste - plus ou moins chevalier - tinte, ting ! comme un geyser cuivré.
il pleut ! partout l’ambre liquide. on le désarme et le laisse brandir la fontaine. la bouteille tenue loin de lui dégouline quand même sur ses pompes, au secours- bois vas-y, bois ! qu’il te prie - trouve tout drôle - sûrement qu’on vous apporte les coupes mais il ne s’occupe que de vous. tiens, la Veuve Clicquot il te la tend, pas droite mais presque toute empoignée d’une paume - et puis même. outre la petite catastrophe c’est à toi d’y boire le premier - tu l’as gagnée ! Lazare quant à lui porte son pouce à ses lèvres, suçote - entaillé. la plaie minuscule goûte sucrée-salée au palais. Innocent ! devine quoi ! j’ai le sang saveur Campari.
et s'il pouffe à la suite c'est que rien ne l'écœure, jamais.

et c’est la Cène alors - dans sa version d’orgie - quand même la Cène du Livre puisqu’elle rend tous les démons blêmes, avec sa chair coupée, ses liqueurs et ses saints qui bâfrent. il est clairement l’un d’eux, Lazare, lorsqu’il y vacille sans la honte. saisi comme on fait un calice son poignet devient verre à pied, ses os fins du cristal, sa coupure un vin rouge car tu la levais au grand jour ; sous la lumière, comment la robe ? bien oxydée, claire brillante ou trouble au contraire, imbuvable ? il te voit faire, réalise mal - s’amuse insouciant de l’image tant tu fais penser aux celliers - éclaire-le, tiens ! quel plat l’on mangerait à côté ? du poisson, du gibier ? ah mais non l’on est vendredi, plus deux heures du mat’ font samedi - peut-être encore le carême - oublie la viande ! l’on doit jeûner ! sauf que toi tu rompts la coutume. indocile, Innocent, il met le carnage à la bouche. mais tu fais quoi ? c’est dégueu’- pour ne pas te dire dégueulasse - hilare, Lazare, il ne se permettrait jamais - pas de toi dont il parle mais de ce qui coule à ses veines. tu bois.

il est trop chargé pour dire non, ce n’est pas bon arrête-toi, t’admire au lieu de ça sans avoir capté les deux sangs. le tien picote le sien et inversement une seconde. une seconde les vôtres dans vos plaies. et puis tu laisses.

il allait te demander c’était comment ? t’en reprendrais ?
sa question sapée par la tienne - l’oubli quasi-instantanné - il pouffe de rire, ouais ouais j’ai pas menti, ma mère c’est vraiment Maria, elle sangloterait sûrement à le voir pleurer des tranchures ! enfin, pas crucifié encore, alors ça va. et tu dis bois - bois léger - comme s’il était très loin le jour de vos croix à porter ; tu dis bois, ceci est ton eau à défaut de livrer ton sang ; tu dis bois et c’est tout de suite drôle ! non plus dégueulasse la soirée, avec toi c’est toujours comme ça, tu rends tout plus marrant, Nono - c’est pour ça la suée des fronts, il te plaint mais plein d’affection, sa pieta tendre et monstrueuse : tu rends tout plus potable, Nono, il aurait pu dire sans mentir. sa main se tend vers la bouteille avant de stopper à mi-chemin. là, dessous un éclat des spotlights, tu souris dans les tons rubis - liquides - par contre ta bouche c’est chaud, attend- viens, montre un peu ? montre-toi mieux ! aux éclairages de la nuit il attire soudain ton visage, tout saisi d’une main ; comme il a fait plus tôt. dessus vous, la pluie des projecteurs s’abat en lueurs écarlates. il te scrute, attentif, et tandis qu’il te fixe il sent du poisseux sous ses doigts. aïe, tu taches comme un sirop, dégouline grenadine - tiède - il grimace, même pas, il fait comme une espèce de moue, zéro dégoût là-dedans, sshh’tain ça saigne sérieux… et tu sens rien ? tu sembles heureux. ah tu me fais mal - bouge pas bouge pas - pose la bouteille et sois sage. debout beau milieu de la Cène Lazare a perdu l’appétit. se sert du revers de sa manche pour t’offrir un semblant de cautère. pressée contre l’entaille la soierie s’imbibe plus ou moins. c’est un mauvais buvard. voilà la vérité, prononcée translucide elle est claire comme de l’eau de roche, je te fais faire n’importe quoi. ‘scuse-moi. sincèrement désolé. c’est qu’il t’adore, tu comprends : toujours comme ça, n’importe comment.

lasse alors la prunelle de Lazare, aussi, avec son vert de lagune parait se croupir à vue d’œil - tant qu’il stagne à la tienne s’en veut pour la balafre - la faute à la bouteille certes mais elle est une oblation, insolente à son nom : le cadeau de ta part maintenu dans sa main décapité par ses soins et découpant ensuite. c’est toi qui l’as fait, à grand coup de ses grâces. un Smith&Wesson en lieu de Veuve Clicquot et tu sais, qu’on l’aurait envoyé à l’ombre.

lasse, juste ça.
aucunement écœurée quand bien même tout le dégoûtant, découlant à sa manche : ton mal rendu mélasse rappelle la gelée de framboise - l’eucharistie toujours - et lui va jusqu’à forcer le vilain de la scène en se l’essorant d’une pression, s’enserre le tissus dans ses doigts pour qu’il dégorge le rouge. comme ta plaie dans la paume, il en tombe trois gouttelettes. plic, plic, plic. et tangue, tangue lorsque tu t’accroches à ses bras, vous deux tout titubants au cœur d’un joli bain de sang - le tien, celui des spots - tu lui pries le bel abattage, la simili-libation : un taurobole d’artifice, tu voudrais ? histoire de, qu’il vous écorche le réel et plutôt qu’y mettre du sel, le saupoudre d’un peu de chimères, mh. il hésite. te toise mais au sein de l’ensemble, insécable au décor. la boîte a des allures d’entrailles transies de sursauts, réguliers et terribles, sa fête un haut-le-cœur, et ses gens sont la bile. imagine que l’illusion fasse l’effet d’un corps étranger ! que cet endroit se torde et rejette façon mauvaise greffe : les lieux vomiront tous ses hôtes, certains se noieront au passage. ils rient, si fort, et dis-toi qu’ils crieront pire. lui retournent la tête, déjà. il a les yeux très brillants, passe deux doigts sur l’un d’eux - l’index et le majeur appuyant sa paupière - quelques larmes écrasées les lui mouillent légèrement. il y a du monde encore, et j’étais avec une fille, tout à l’heure, là, qu’il te dit désignant l’en-bas, dans la fosse… elle est la ravine du nightclub, une sorte de gouffre aux angles droits dedans lequel ça grouillait. les oiseaux de nuit qui restaient à cette heure-ci -  l’indécente - ils s’y concentraient assortis - en rythmes obscènes - formaient comme une mer organique dont les valses étaient le ressac. il mitraillait dessus eux des éclats changeant sans arrêt, une seconde un plein feu, grenat, à la suivante un noir d’encre, comme si les projeteurs battaient des cils convulsifs. là, peut-être, un mirage pourrait exister : après tout en ces zones l’on tolère d’autres maux sacrés : la crise d’épilepsie, par exemple et puis ... une dernière danse, Nono - histoire de - viens.

viens comme on fait l’été, accablé du zénith :
il t’invite et t’entraîne paré d’un air aoûtien, ses joues son front son visage chauffé du soleil - vermeil, menteur - ces faux astres au plafond qui vous couvaient la soirée. viens et, pareil qu’à la plage, il faut se tremper progressif, s’avancer dans les flots sans souffrir de l’hydrocution. il vous mène, Lazare, au milieu des marées humaines - autour de vous les noceurs ressemblent à des lunicoles fous, sinon de beaux civils bombardés d’obus décibels - la musique lynchant cette arène en est une de malade monstre, parait filer la fièvre, infernale tellement que les carcasses infectées on dirait qu’elles se contorsionnent, font des vagues d’agonies. bienvenus à l’abysse, il vous délie vos mains.
dansons maintenant ! c’est un bouquet final - au creux de ces roulis ça sent la Cologne et le vice, un parfum de travers - presqu’un banquet létal lorsqu’on survit en son centre. là-haut la machinerie répand de la brume factice, et bientôt l’euphorie se voit baigner en celle-ci, brûlante irrespirable. tout de même, dansons, maintenant d’autant plus propice : dansons en ténébres et nuages, hachurés stroboscopes : il fait jour - nuit - danse - jour - nuit - dernière et regarde, soufflé tant qu’il fait sombre, lève le nez Innocent : au jour immédiat qui surplombe l’océan, regarde les jeux lumières, regarde les nébuleuses, regarde comme en dedans serpente soudain l’eudémon : dantesque halluciné, un dragon vous survole : il a cent dents mille écailles et s’ondoie de toutes les lueurs, couleuvre, un jour de Nouvel An chinois ; tout New York hurle de joie ! ou de peur ; peu importe. à la suite, il fait nuit, et Lazare éclate de rire. les abois ne cessent pas.