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| (end) lèvres de velours ou corps d'oursin, abel Mar 4 Avr - 2:02 vénus from passiflore, sculptée dans la glaise d'un mirage flashC'est une erreur qu'il se fait que de s'auto-proclamer solitaire, de fouler des chemins seuls en espérant y trouver du repos. C'est se tromper que d'imaginer qu'il aime les soirs du mercredi, qu'il les décrit honnêtement comme salvateurs et nécessaires - car son monde se retrouve vide. Ce n'est pas car ses appartements sont vides qu'il en trouve un soulagement, qu'il se soulage de l'absence des corps - qu'il se dit finalement - enfin ! Voilà mercredi où le silence est partout que même la musique ne sait combler.
Son corps ne suit pas, surtout le mercredi. Le relâchement soudain, après six jours, lui est douloureux ; il en tremble - s'imagine le mardi dans la nuit, se prélasser dans un sommeil lourd et parfait, idolâtre cette inconscience conférée à l'apaisement - et tout cela ne vient jamais. Si ses soirées du mercredi ne sont pas occupées, Précieux s'étouffe et disparaît, si bien qu'elles n'ont pas existé, pas réellement du moins. Il s'est imaginé que marcher donnerait du sens à ce jour, et que fouler à minuit passé un des jardins proprets du centre de la ville changerait le court de la journée absente - mais au final il n'y trouve pas d'objectif, et ne s'en sent pas animé. Précieux se sent inapte au silence sans être capable de provoquer le bruit au-delà de la déraison festive six soirs par semaine -
le septième, alors,
alors il l'a convenu parce qu'il le fallait. Parce que cela manquerait de sens qu'une boucle n'ait pas de début et pas de fin, et qu'il s'accroche, dans un effort final, au monde réel par un jour sans scandale. Mais maintenant qu'il y est, Précieux ne se sent nulle part à sa place. Quand il se dit qu'il va allumer une cigarette, il se rend compte qu'il a perdu son briquet. Il pourrait faire demi-tour et le chercher dans l'heure et les chemins pavés, mais il y a toujours cette constance de l'idée qu'il faut que le mercredi soit utile - dans son rien absolu - qu'il aurait l'air de ridicule à chasser un petit objet comme celui-ci dans la grandeur de la ville. Alors Précieux renonce. Il grimpe sur un pont surplombant de l'eau artificiellement ajoutée, cigarette dans la bouche et observe. Il n'observe rien. Ou du moins rien ne l'appelle ou l'inspire. Plus loin, les lumières du chemin s'allument au passage de quelqu'un, il tourne la tête pour observer l'autre passant, le poursuit du regard sans le discerner - et il y a toujours ce rien, ce rien qui l'envahit - et qui le rend encore plus confus, car il se retrouve face à Abel qui ne lui inspire rien aussi - et que cela comble, par essence - rien. Je n'ai pas de briquet, désolé. Il ne sait pas pourquoi il dit cela : est-ce parce qu'il vient de le perdre, ou parce qu'il sait qu'Abel fume ? L'affirmation est artificielle et sonne mal, hors-du-temps, il n'aurait pas dû dire cela. Il ne le réalise qu'à moitié et qu'en plus sa propre voix l'a surpris dans le silence. Ni de cigarettes. Il s'enfonce sans un sourire, et Précieux ne sait pas pourquoi il a ajouté cela non plus - il triture entre ses doigts la cigarette qu'il n'a pas allumée, la regarde, et à force de la serrer entre son pouce et son index, la casse. Il a un instant d'inertie et tourne soudainement la tête en observant Abel, espérant que ce geste est passé comme inaperçu, fourrant le cadavre non-consommé dans la poche de son pantalon pour le dissimuler - cachant à la fois la maladresse de sa nervosité, et l'absurdité d'avoir affirmé cela alors qu'il en a une entre ses doigts. Il ne cesse de penser au tabac qui va accrocher le tissu de l'intérieur, et renfrogné, se contente d'observer l'eau, prenant une respiration trop large qu'il retient. | | | | |
Abel KozlovskyUn parmi les Autres | Messages : 264
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| (end) lèvres de velours ou corps d'oursin, abel Ven 7 Avr - 14:06 Le chahut qui pépiait dans la rue étourdissait Abel jusqu’à l’os ; il s’était échappé dans le centre-ville comme on tombe d’un ravin et il naviguait les rues à la recherche avide d’un coin où s’ouvrir le crâne. Un feu pressé et sans espoir le guidait à prix fort et il avait fallu qu’il finisse toutes les commissions qui le faisaient franchir la ville à grandes enjambées pour qu’il se sente enfin tout à fait vide, creusé par cette passion obligatoire et matérielle à laquelle Abel ne connaissait pas d’exutoire à sa mesure, il pensait aux enfants piaillant au camp quand il pensait à la fin fermée du jour, donc, de toute vie, il engloutit un café pour conjurer toute sa pulsion en un point cardinal et incandescent. La brûlure âcre de son geste, l’excitation attendue ne le délivraient qu’à moitié et sans fascination ; mais, sur le pont, au nord de tous ses inaccomplissements il se pencha pour mieux apercevoir Précieux.
Il ne s’embarrassait pas de signer aussi ouvertement en ville la fascination ardente et précise qu’il lui dédiait, il la sacrifiait sur la route comme preuve de son existence. Abel bifurquait ostensiblement pour rejoindre le pont. La température redescendait d’un degré là où l’eau absorbait densément le soleil et exhalait un parfum vespéral de vase endormie, et tout cela dissipait Abel entièrement, l’estompait plutôt et le recrachait au côté de Précieux comme une ombre de lui-même, ou une image bien découpée, docile, quiète. Cette farce, trompeuse et risible, était jouée à l’ouverture de son comédien, qui dévorait Précieux avec une révérence noble et polie qu’il n’avait nulle part ailleurs. Et tout cela ne l’empêchait pas de piétiner l’intimité tendue où il savait que Précieux était plongé — d’ailleurs ça l’indifférait — tout dans la grandeur attentive de ses regards disait qu’il trouvait Précieux beau, intelligent, qu’il appréciait la mesure de sa férocité rongée et qu’il était ravi d’être déçu de sa fatigue, dont il avait une pitié immense. On voyait qu’il se retenait de lui mettre une main à l’épaule, de le soutenir. Il fit mine de ne pas avoir vu la cigarette écrasée entre les doigts de Précieux, ou il ne sut s’il l’avait vue vraiment. Ça ne comptait pas pour lui. « Je ne t’ai rien demandé. » Il tendait une cigarette de son paquet déjà ouvert, il en avait déjà mise une entre ses lèvres. « Je te l’allume ? » Son insistante était gênante et consciente comme celle des bons élèves. Il était, de manière très évidente, torturé de ne pouvoir se serrer à Précieux, qu’il tutoyait d’ailleurs par droit auto-octroyé, comme tout ce qu’Abel considérait être de son bon droit. « Tu as l’air complètement éteint. Dis-moi pourquoi. » Ça le fit sourire sans compassion mais avec une chaleur enfantine et ridicule.Toujours, toujours : jardin de mon agonie, ton corps fugitif pour toujours, le sang de tes veines dans ma bouche, ta bouche sans lumière déjà pour ma mort | | | | |
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| (end) lèvres de velours ou corps d'oursin, abel Lun 10 Avr - 23:51 vénus from passiflore, sculptée dans la glaise d'un mirage flashIl accroche le spectre d'Abel à aucun de ses univers, seulement une vague chaleur passagère, de temps à autre, qui s'appose sur son coeur alors qu'il voudrait la rejeter plus fermement. Précieux n'arrive pas à apprécier l'affection évidente qu'Abel lui montre, comme il dégouline sur lui sans que personne ne puisse expliquer la nature exacte de leur relation qui n'appartient à rien à part à eux, sans que Précieux nomme ou ne conscientise ce "eux". Alors c'est une relation orpheline, une relation vagabonde, une relation qui relève du fantasme ou de l'imaginaire - mais qu'il n'arrive ni à exaucer, ni à projeter sur Abel.
Par extension, Abel le tend. Il a cette manière d'exposer ses sentiments en les gardant toutefois pour soi qui ne relève pas de la juvénilité, car il ne saurait attribuer les deux quand il a su témoigner que de tout âge, ce comportement en vitrine émotionnelle existe ; et il ne sait pas s'attarder devant. Précieux ne voudrait que passer sans même considérer ce qu'y se trouve, mais se trouve parfois obligé, agrippé par le bras par les conventions, à devoir répondre à la proposition. Sans savoir quel rôle il y joue mais en sachant pertinemment qu'il ne sait être consommateur honnête et éclairé. Enfin, il prend la cigarette et le feu ; parce qu'il a envie de fumer, et qu'il n'a pas de feu, donc. Il prend parce qu'il peut et refuse parce qu'il le peut aussi, Je vais le faire. Il tend sa paume blanche et plate pour récupérer le briquet et ne cède pas par caprice, se sent mal-à-l'aise à l'idée de le laisser empiéter l'intimité de ce simple geste.
Et il ne parlera pas pleinement en le soulignant parce qu'il ne veut pas, qu'il empêche Abel d'accéder à cet aspect de lui par inconfort - et qu'il discerne un tel conformisme, une telle droiture morale, qu'il se demande comment peut-il s'intéresser à part par une curiosité brûlante et nocive. Il n'y a pas un jour où je pourrais me résoudre à te parler comme tu le veux. Il tire sur la cigarette : le tabac d'Abel est différent du sien. Pourquoi est-ce que tu souris ? Je pensais que tu t'approchais pour une cigarette, sinon je ne t'aurais pas adressé la parole. Il n'est pas forcément bon que nous nous mêlons. Ce serait tromper le ciel que d'affirmer qu'ils sont de la même trempe tout haut, que s'imaginer quelque chose plus que deux étrangers ; Ai-je sincèrement l'air d'avoir besoin d'un quelconque réconfort ? L'acidité prend le dessus sur l'expression honnête de cette question tandis qu'il le regarde, tenu droit par une posture nécessaire qu'il veut tenir. | | | | |
Abel KozlovskyUn parmi les Autres | Messages : 264
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| (end) lèvres de velours ou corps d'oursin, abel Sam 15 Avr - 11:39 Il était exaucé par ce geste simple d’acceptation, sinon de prise, qui accomplissait pour Abel la certitude et légitimité de sa tendresse. Il sourit plus distinctement encore : avec un triomphe juvénile et pervers, car enhardi par la satisfaction détestable qu’il avait à se sentir toujours frustré de ce dont Précieux lui privait. Son ventre se creusait du manque en guillotine que son vis-à-vis lui mettait à la gorge, il était étourdi et avait les mains transies par la vastitude avortée de son amour, il alluma une cigarette aussi, il était extatique et vide. Il dévorait Précieux d’un regard fermé et incandescent. « Très bien, je m’en contenterai. » Il ne voulut pas dire que ce n’était pas grave, car ça serait un mensonge ; la carence qu’il avait de l’amour de Précieux était abyssale et essentielle.
Par égard pour lui-même Abel se refusa à s’interroger sur les motivations mutilatoires de son amour de jeunesse, il se pencha sur le garde-fou du pont avec la compréhension silencieuse de ses propres attentes et du rejet d’elles par Précieux. Il inclinait un peu la tête par-dessus l’eau verte pour mieux le regarder, il était saisi comme toujours par la finesse assassine de ses traits serrés et il les chérissait comme des objets d’art. La cigarette que fumait Précieux était la sienne ; ainsi il sentait avec distance qu’une partie de son propre paysage olfactif, puisque Abel fumait trop, s’apposait au parfum de Précieux, un parfum décadent et âcre qu’il s’imaginait plus qu’autre chose, et la candeur que lui suscitait cette composition était si pathétique qu’elle lui était rendue obscène. Il rougit au sommet de ses oreilles sans chercher à s’en cacher, il avait trop envie d’être réchauffé.
Abel croisa les bras sur le renfort de pierre blanche du garde-fou et entoura ses propres bras de ses mains. « Oui, sincèrement, tu as l’air. Ou plutôt tu n’as pas l’air d’en avoir besoin, mais tu as l’air contrarié, tu as l’air étouffé par quelque chose, et j’ai envie de te réconforter lorsque je te vois comme ça. » Il s’appuyait contre la pierre comme un adolescent, un éclat scélérat de vent portait vers eux une odeur de soleil qui ne leur appartenait pas et fit s’envoler les cendres de leurs cigarettes. « J’ai envie de te parler. J’ai envie de me mêler à toi. Ce que tu me dis n’a aucun écho. » Il s’était relevé, las de sa propre comédie. Il se tut brièvement, et pendant ce court laps de temps il observait la nuque de Précieux détourée par le col cru de sa chemise, qu’il trouvait blanche et d’une fragilité d’adulte. Il était dégoûté par la fascination qu’exerçait sur lui cette faiblesse, plutôt, cette humanité. Il se refusa d’admettre qu’il voulait l’embrasser là, ça aurait gâché l’instant où il se trouvait. « Ne me fuis pas. C’est parce que tu trouves que je suis trop jeune ? Tu as tort, je peux t’apporter beaucoup, tu serais surpris. » Comme il savait que rien de ce qu’il avait à offrir ne pouvait intéresser Précieux, Abel se trahit encore d’un sourire pour lui-même, plein de suffisance.Toujours, toujours : jardin de mon agonie, ton corps fugitif pour toujours, le sang de tes veines dans ma bouche, ta bouche sans lumière déjà pour ma mort | | | | |
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| (end) lèvres de velours ou corps d'oursin, abel Mer 26 Avr - 4:57 vénus from passiflore, sculptée dans la glaise d'un mirage flashEhontément il détaille le relief de cette large cicatrice, pâlichonne, impressionnante sans splendeur, le long de son visage ; Abel n'a pas les traits de quelqu'un de normal. Il faut être inquiet de cette présence, de cette trace immuable presque cruelle qui le dévisage, non pas car ses traits en sont désharmonisés - mais qu'elle devient l'évidence de son portrait. Il se fiche peut-être un peu de l'insensibilité de cette insistance, dans l'obscurité, et se permet tout par cruauté - si cela peut le faire fuir ! De voir qu'il est comme les autres à s'accrocher à cet élément précis, sans imaginer un instant que la plupart s'adonne à l'évitement, cherche à éviter au contraire, de trop souligner la présence monstrueuse de cette plaie cicatrisée.
Et il ne comprend pas alors : cette tendresse dans la façon dont il réussit à prononcer si clairement qu'il voudrait le réconforter au-delà de la nécessité, pas comme les larmes d'un enfant perdu qu'il faut résoudre, mais une décision pleine et réfléchie. Il le dissèque, lui attribue contrariété et étouffé, non pas qu'il mente, il est vrai que tout pèse sur coeur
à l'heure actuelle mais Précieux ne comprend pas l'affinité à vouloir résoudre ce mal. Est-ce vouloir surplomber et soigner un mal qui échappe ? S'approprier un hors-la-loi, se rapprocher de plus près, avec l'honnêteté des sentiments, revenir à quelque chose de connu - toutes les hypothèses font sens mais Précieux manque cruellement de finesse sentimentale. Il ne vient à rien, et ne coïncide alors, en un premier temps, tant qu'ils fument, le silence.
Je ne comprends pas. Ne veut pas dire oui, il est toujours si distant, toujours renfermé sur lui-même, Mais toi, Et cette suffisance qui le fait trembler, parce qu'il voit c'est comme un esprit déraillé se conforme, et pense pouvoir l'aider, ne commence pas à croire que tu peux me sauver. Je n'ai besoin de rien. Je me fiche d'être surpris. Je me fiche de la beauté des bonnes découvertes, moi, je veux qu'on me fiche la paix, surtout les gens comme toi. Il tire nerveusement sur sa cigarette, nerveux avant même son arrivée, mais aussi poussé à bout par la simple communication, il lui dit trop dans l'espoir simple de le dégoûter. Je ne comprends pas que tu dises vouloir me réconforter et que cette même bouche, demain, servira à répandre la bonne parole auprès d'enfants de la colonie. Un temps, il fume encore, Moi je m'arrête à ça alors ne m'impose pas tes désirs. Ils me dégoûtent. | | | | |
Abel KozlovskyUn parmi les Autres | Messages : 264
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| (end) lèvres de velours ou corps d'oursin, abel Lun 1 Mai - 1:58 Comme le dégoût de Précieux était convenu entre eux — il lui semblait — Abel put le ranger à la place qu’il lui avait réservé en lui-même et lui posait l’odeur de la glaise. Il avait tendu les bras sur le parapet et se balançait un peu par-dessus, il ne cessait de sourire non plus, et cette attitude d’innocence candie était risible et jeu d’elle-même. Il ne pouvait s’empêcher, il se regardait faire avec le plaisir de ne jamais être exaucé, d’être pointé coupable, il regardait Précieux surtout.
« Je ne vais pas te sauver. » Il l’avait corrigé précipitamment, lui corrigeant presque la parole. Quelque part sur Terre quand il eut finit de parler un ange tombait dans l’anonymat. « Les gens comme moi ? Pourtant je ne me connais pas de semblable, » il faisait cette confession en souriant toujours, avec beaucoup de cruauté pour lui-même car il connaissait la suite de son énoncé, « je suppose que c’est le propre des gens comme moi, d’ailleurs, de croire qu’ils sont seuls au monde, et d’avoir tort en étant très commun. » Il arrondit brièvement les lèvres, contredit par une conviction dorée et tordue, qui surlignait gentiment ses fautes et ses crimes, et surtout la petitesse de ses crimes. Il hocha de la tête par assentiment pour sa mauvaise conscience, qui n’avait pas sa place ici.
Il était occupé tout entier plutôt par la solitude de Précieux qui lui crevait le coeur, car façonnée d’une nature primitive et mauve qui dépassait à tous les angles l’étrangeté grotesque et précipitée de son bannissement strictement tacite. C’était une erreur de dire que cette solitude lui faisait envie ; plutôt il voulait la serrer contre lui-même comme une souris minuscule. Il s’était accoudé maintenant, avait mis sa joue dans sa paume, en sentait la froideur et le creux roide, la déclinaison du jour dessinait des ronds d’ombre verdâtre sur eux, et le reflet de l’eau traçait des lignes fugitives sur les arrêts durs du visage de Précieux.
Abel ne souriait plus, le fixait comme une oeuvre très lointaine, et ce manque soudain de dérision pour lui-même faisait transparaître plus nettement encore la résolution de sa passion. Stérile, interdite et naïve, flambante comme tout ce à quoi il touchait, elle traçait tout de même de Précieux un contour parfait et complet. Il le contemplait sans compassion et sans envie, ou plutôt avec une envie absolue et écrasante comme le soleil. « Mais tu fais pareil — de ta bouche, et du reste. Tout le monde fait pareil, c’est le lot, est-ce que je suis censé me tromper au fait que tu te sois écarté de la ville ? » Il pencha la tête en avant, il ne pouvait rester immobile, il était trop frappé par la permanence glacée de cet homme qu’il n’arrivait jamais à contraindre quelque part dans sa conscience des choses. « Le divertissement vaut pareil que de réconforter des enfants. Je ne leur dis pas que la vie n’est pas difficile, je veux juste qu’ils arrêtent de pleurer, qu’est-ce que tu fais de mieux au théâtre ? » Il se penchait pour le voir par en-dessous, il empêchait la réfraction de l’eau, il lui faisait de l’ombre. « Moi je ne vais jamais mentir sur le fait que je la crée de toute pièce, la paix. Et est-ce que c'est différent ? Qu’est-ce que tu fais encore là, à Nausikaa, ici, si tu la veux vraiment, la paix ? » Abel serrait très fort son manteau autour de ses bras, puisque personn ne le tenait, et ses poings blancs tremblaient. « Je veux te réconforter parce que c’est inutile dans l’ensemble, parce que ça ne sera utile que maintenant. Est-ce qu’on a autre chose à faire ici ? Tu t’imposes à moi, tout le monde s’impose à moi. Je t’aime. Ce que tu dis est inutile, tout le monde a besoin de quelque chose. » Il avait le vertige de ce vide qu’il redoutait entendre Précieux formuler ; sa solitude suppliait du regard pour lui, le vert d’eau était l’accent naturaliste du pathétique.Toujours, toujours : jardin de mon agonie, ton corps fugitif pour toujours, le sang de tes veines dans ma bouche, ta bouche sans lumière déjà pour ma mort | | | | |
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| (end) lèvres de velours ou corps d'oursin, abel Lun 1 Mai - 7:46 vénus from passiflore, sculptée dans la glaise d'un mirage flashComme il se trompe largement, Précieux, comme il trace des lignes déraillées et qui ne mènent nulle part. Il confond tous les mirages, interprète depuis sa solitude lointaine mais aimée - de lui, des autres - il se rend compte qu'il est dépassé. Qu'il ne sait plus faire, admet qu'Abel a raison, beaucoup. Sur lui, tout d'abord : c'est vrai c'est le propre des gens communs de se considérer uniques, c'est ce qu'il pensait, lui aussi, auparavant. Il ne sait pas quoi faire du mégot qu'il écrase sur la rambarde, alors il n'en fait rien, et observe par œillades Abel, sidéré par ses propos qu'il considère et qu'il embrasse nerveusement.
La gravité de la situation lui fait peur, aussi. Ce regard sublime, ça il en est certain, qu'Abel lui porte, cette blancheur assumée dans son amour, dénuée de méchanceté, peut-être pervertie mais si tel est le cas, par le coeur uniquement ; et il l'écoute, encore. Il ne dit rien, ne le contredit pas, déglutit vaguement, la fin de cigarette entre ses doigts. Il l'écoute faire ses parallèles, lui dire je t'aime, le mettre face à cette vacuité qui pourrait le faire céder. Abel a froid, Précieux le voit, et pourtant Abel reste, ne demande rien de plus qu'à être écouté, sacrifie un confort pour la discussion - cette implication liquéfie Précieux dans son malaise. Le dégoût devient une forme de jalousie saturée d'amertume. Abel a mis des mots sur beaucoup plus de choses que lui à son âge, a développé une pleine conscience cynique pour affronter le monde. Cela ne démontre qu'une fragilité facile à démonter et exposer. Voilà, il est jaloux parce qu'Abel a compris comment poser les fondements de sa vie. Précieux est sensible au discours, à la didactique morale ; de plus en plus dépassé par la situation, il entrouvre les lèvres pour parler mais se rétracte. Il souffre soudainement d'avoir été dévoilé si vite et questionne jusqu'aux détails de ses désirs - est-il certain de ne pas vouloir être trouvé ? Il lui semble que oui - mais veut-il être écarté si franchement par Abel qui ne fait que lui rappeler la douceur de l'intérêt des gens biens, des gens moraux, des gens droits ? Peut-être qu'il voudrait bien se faire tenir la main un peu par quelqu'un de si lucide, qu'il voudrait bien tenter de surcroît, mais à partir de ce moment-là - que vaudra-t-il pour Abel ? Précieux qui est jaloux, veut-il lui céder pour de vrai, son intégrité, sa faiblesse - il aurait le sentiment de détruire sa fierté.
Il veut le repousser fort mais craint aussi qu'Abel s'en aille vraiment, maintenant - alors quoi ? Que faire de ce sentiment confus d'être percé à jour qui le met mal à l'aise, qui lui prend la gorge jusqu'à le faire trembler, sa stabilité décapitée. Que faire des certitudes tenaces qui ont été balayées par ces mots -
Il en oublie sa faiblesse initiale, la discussion faite sur un jour peu tenace où il ne trouve pas de sens -
Il trouve Abel cruel, sans comprendre pourquoi. Alors si tu sais tout cela, pourquoi m'aimes-tu ? Il a une blessure qui ne se ferme jamais ; celle du rejet. Précieux ne pense pas être malheureux, ne vit pas "par dépit", n'a pas construit par compensation. Mais la manière abrupte a laissé une trace si bien que voilà, demeure cette question toujours un aveu comme vomi. Ou alors tu m'aimais en sachant déjà ça de moi ? Que potentiellement rien ne faisait sens, ou que rien n'est logique - Il s'interrompt, bafouille, lui est immobile, droit, rétracté dans ses épaules, toutefois, J'ai peur de l'extérieur voilà pourquoi je reste à Nausikaa. J'ai eu l'amphithéâtre car on me l'a donné, cela aurait pu être la bibliothèque, et le théâtre - je ne sais pas faire. Je n'y comprends rien. Je ne sais pas mentir, c'est sûrement pour cela que j'ai été mis à la porte. Il dénoue sa langue soudainement, sans forcément une suite logique bien dessinée. Il est perturbé, c'est certain, et ne sait plus à quoi il doit répondre - s'il doit répondre, même - Tu me fais peur. Il n'y a rien de plus honnête, cela l'inquiète, toute cette lucidité mise à l'œuvre pour le percer - il en est bousculé quand il le fixe mais pas dans les yeux, un point seulement sur son visage. | | | | |
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| (end) lèvres de velours ou corps d'oursin, abel Mar 9 Mai - 21:14 Mais Abel était l’évolution des enfants à qui on a appris à conjuguer invariablement l’amour avec la peur. Et s’il avait conscience de la perversion morale de cet accent, il ne cherchait pas à s’en dévoyer ; cet aveu, qui le confortait, le fit sourire. Ce sourire était différent de ceux qu’il avait adressés précédemment. Il y avait, à la commissure de ses lèvres, la rondeur sage d’une concession quiète et consciente, innocente, alors cruelle. Ses mains s’étaient desserrées autour de ses bras et le tissu de ses manches, lâche d’avoir été tiré trop loin, baillait sur ses épaules. C’était aussi peut-être le premier sourire qu’il adressait tout à fait à Précieux en exclusivité. Et qui admettait là une concession pour la large faiblesse, mais aussi pour la somme immense, mal agencée, vénérable que constituait un homme qu’il aimait très largement et sans gêne, ou plutôt avec une gêne de son âge. Ce n’était pas une bonne chose qu’il lui sourie avec tant d’implicite et d’indulgence, car il fallait pour cela qu’ils partagent, tous les deux, une entente, et Abel ne s’entendait que sur la destruction finale de tous les âges. D’ailleurs, il cherchait son regard en sachant qu’il ne le trouverait pas. Il regardait Précieux, qui ne le regardait pas, et cet angle mort lui conférait une supériorité tacite, temporaire mais dévorante, sur la conversation, il enveloppait Précieux par l’amplitude de sa vue, de manière conjuguée, il l’enveloppait de son amour de plomb, fatal, impossible à percer.
« Je t’aime parce que tu es impossible. » Il rit un peu parce que sa formulation était, il trouvait, éculée et empruntait une poétique superflue et vulgaire — ce n’était pas vraiment un rire, il avait soufflé une fois et son menton, avec lui tout le visage, s’était détourné, comme s’il avait glissé, avant de revenir dans son axe. Seulement le soleil, le soleil qui déclinait, embellissait d’or les deux coins de son sourire, et jetait véritablement la giclée d’un éclat de rire silencieux sur son visage. Enfin, tout ça pour dire, ça ne dura qu’une seconde ; il reprit d’un ton ferme, terne et sans concession : « Je ne m’intéresse pas aux gens démesurés, c’est toujours un acte de voyeurisme, ça ne m’intéresse pas. Tu ne fais pas exprès, ce n’est pas que tu n’es pas logique, c’est que ta logique est contraire et désorganisée, mais elle n’est pas immature, car je sais que tu penses à ce que tu fais, je n’aime pas non plus les gens immatures… »
Il avait baissé les yeux sur les lèvres de Précieux. Abel se tut un bref instant ; il ne faisait pas semblant, sa bouche s’était fermée, scellée soudain par une amertume sourde, admise. Il lui trouvait une bouche pas trop jeune, mais ferme, il souffrait énormément de ne pouvoir l’embrasser tout à coup, comme s’il était renvoyé, soudain, à l’objet véritable de leur conversation, c’est-à-dire que son amour était indéfini, impossible, condamné, et lui brûlait la poitrine ; il se mit à sourciller avec un ressentiment évident qui lui décolorait tout le visage, mais qui n’était pas dirigé contre Précieux, qu’Abel réservait plutôt à l’ensemble du concept des choses, d’un monde qu’il ne pouvait pas étrangler.
« Je crois que je sais tout ça, de toi, que je l’ai su quand je t’ai vu vraiment confronté à l’attente que j’avais d’un personnage comme toi, et que ça m’a fait savoir que je m’étais trompé à ton sujet. Si tu m’étais supérieur en tout point — si je ne pensais pas que nous pouvons nous comprendre, nous rejoindre quelque part — je ne t’aimerais pas, je ne suis pas idiot, » il mit ses coudes sur le garde-fou. C’était trop pour lui. Il enfouit sa tête dans ses mains. Ses avant-bras fermés devant lui formaient une chambre noire où l’odeur verte rance des nénuphars, décuplée par l’âcreté du parfum froid des cigarettes, saturait le peu d’air qu’il se laissait et où il attendait une déflagration. « je n’ai plus l’âge de vouloir être aimé sans retour. C’est très dur, pour moi, de t’aimer. »
Il se tut encore, assez brièvement. Il avait rouvert les yeux. Ses cheveux blonds irritaient la peau à vif autour de ses ongles, autour des doigts où il les avait enfouis. Le pic douloureux qu’il venait de connaître s’était effondré sur lui-même et avait laissé en lui une plaine vide, ardente, très évidente dans son regard, dont il couvrait la parcelle de pierre qu’il pouvait seulement voir. « Est-ce que tu crois vraiment que tu peux faire mieux que moi ? »Toujours, toujours : jardin de mon agonie, ton corps fugitif pour toujours, le sang de tes veines dans ma bouche, ta bouche sans lumière déjà pour ma mort | | | | |
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| (end) lèvres de velours ou corps d'oursin, abel Mar 16 Mai - 4:40 vénus from passiflore, sculptée dans la glaise d'un mirage flashPerturbé par ce visage jeune comme un mensonge, il le ramène à la tragédie de son sang fait pour être coulé vite ; conscient soudain de la nature sacrificielle de cet amour, qui aurait pu être, si ce n'était pas lui, beau et facile. Abel n'est alors pas si jeune parce que voué à mourir vite, voué à être consumé par la vie en un flash - mais Précieux ne se résout pas à le voir autrement que la cruauté amenée par les gens bien faits. Cette veste froissée : elle est d'une simplicité commune, ces épaules aussi, cette blondeur, les traits de son visage aussi, en réalité tout - tout crie à l'aveuglement des destins conditionnés. Mais Abel, dans l'ombre de la fin du soleil, est d'une lucidité mordante, lui offre un discours si concret qu'il ne peut en être qu'ébranlé, encore.
Placé en figure lointaine, Précieux représente maintenant l'impossibilité ; il y a quelque chose de navrant, en tant qu'humain, d'être aimé pour le songe qu'il représente, pour la distance mise - c'est une violence d'être aimé ainsi parce que cela force à renforcer les barrières si on ne veut pas être touché ou à se livrer, se dénuder sans concession pour être épargné de ce genre d'amour. Il ne sait pas quoi faire : il ne sait pas s'il a froid, il ne sait pas s'il en a assez d'être debout et immobile ainsi, il a toutefois un mouvement en lui, quelque chose qui se remue et qui geint sans être compréhensible.
Et tout ne fait pas sens : parce qu'il lui semble qu'Abel se trompe quand il dit qu'il n'est pas démesuré, n'y a-t-il pas quelque chose d'immense dans cette volonté de déployer le plaisir en secousses orgiaques, une fois la nuit tombée ? Parle-t-il alors de cette sobriété émotionnelle et relationnelle, cette distance mise naturellement dans un discours qui ne cherche ni à être juste - ni à être son inverse ?
Là où il faudrait peut-être répondre, ou agir, quand par exemple Abel laisse un trou dans son dialogue pour se replacer, pour considérer autrement le monde à travers ses bras, Précieux ne tente pas de combler le silence. Il le rend plein, considéré, le fixe plutôt alors qu'Abel ne le voit plus, voit encore cette jeunesse souffrante mais sincère, qui n'a rien à perdre, peut-être, sans savoir ce qu'il cherche. Il sait toutefois qu'il a mal quand il énonce
la difficulté de cet amour toujours parce qu'il n'a pas pu anticiper cette douleur ; il lui est évident qu'il ne l'a pas provoquée non plus, ou du moins pas volontairement. Alors elle est envahissante, Mais je n'ai pas envie d'être aimé. Enfin il parle, sort de son mutisme, après sa question, qu'il ne comprend pas d'ailleurs, Je ne comprends pas de quoi tu parles ; que veux-tu que je fasse de mieux ? Je ne cherche jamais à faire mieux ou moins bien, je fais sans considération de ce genre de valeurs et je réalise après l'effet que cela a pu faire. Alors je ne sais pas de quoi tu me parles et ce que tu attends comme réponse, alors que tu sais que je ne vais pas t'aimer, que je ne vais pas faire mieux que toi - ou moins bien. Il est intense dans sa manière d'être maintenant pleinement tourné et immobile vers Abel, il ne regarde que lui. Il se tait une seconde - Tu seras forcément déçu si tu m'embrasses alors tu peux le faire si cela peut décevoir ton amour - Il répète comme une obsession - Car je ne veux pas être aimé. Il le martèle, c'est sa seule certitude nette et profonde dans tout ce qu'il dit. Il n'y a rien de plus palpable que cette affirmation. Il y en a d'autres qui m'aiment, et je ne sais pas faire le rapport avec toi, entre eux et toi, je veux dire bien entendu, et je ne comprends pas ce qui fait que vous pouvez m'aimer alors que je ne cherche pas à le provoquer. Voilà. Et cela m'angoisse d'avoir la responsabilité de votre amour. Je n'en veux pas, cela finit toujours mal. Et tu es trop jeune pour que je ne sois pas responsable. Tu devrais m'oublier, C'est mal mais cela le blesse de dire cela, il y a quelque chose d'avide qui le fait s'arrêter, il n'a pas mis de point à cette phrase - il n'est pas sûr de vouloir être oublié. Mais il est certain de ne pas vouloir aimer -
Toi tu veux être aimé en retour, mais je n'en ai pas envie. Je pourrais coucher avec toi mais je ne fais pas cela avec les gens qui m'aiment et attendent quelque chose en retour. Seulement ceux qui ont déjà compris qu'ils n'auront rien. Je ne veux pas de cette responsabilité.
Les mêmes mots en boucles, parole frénétique mais lente, engrenage complexe - Précieux jauge pour ne pas être insensible, car il ne l'est pas, tente de s'expliquer sans se comprendre et sans être certain de ce qu'Abel avance, immobilisé par sa responsabilité qu'il suppute dans leur relation, inconsistant socialement. | | | | |
Abel KozlovskyUn parmi les Autres | Messages : 264
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| (end) lèvres de velours ou corps d'oursin, abel Lun 29 Mai - 20:37 Ce n’était plus la peine de parler du soleil orange qui parvenait enfin à soulever la canopée et tracer sur eux un couperet d’orange, ni du vent dans les saules qui rafraîchissait au parfum gras cette scène vulgaire. Ce n’était plus la peine car la scène comptait peu ; elle aurait pu être autre, seule la solitude du lieu comptait, il fallait que ce soit un pont, sinon une plage, le couloir d’une salle de cinéma pendant qu’un film joue, devant une porte close de salle de bain en pleine fête, dans un hall d’hôtel, autant de tableaux découpés et sans caractère où il fallait que leurs personnages soient isolés et réduits à la somme d’eux-mêmes, deux hommes, sans trait notable, deux hommes seulement, l’un jeune, l’autre moins, l’autre au moins pas caractérisé par sa jeunesse. L’autre rien, en vérité : Abel avait relevé la tête et avait ouvert assez grand les yeux, captivé par la vacuité de ce discours, et en même temps il scrutait le visage de Précieux comme une gravure ancienne, dont il saisissait tous les détails car cette oeuvre-là se corrodait : elle se creusait par le temps, par son propre vide, et Abel refusait à Précieux le privilège envié de sa non-existence, puisque c’était véritablement ainsi qu’il l’entendait. Il avait reposé les mains au bord du parapet, ses doigts serraient un peu la pierre qui laissait sous ses phalanges un dépôt calcaire, blanc, d’innocence travestie. Il ne souriait pas, ce discours creusait quelque chose en lui d’insondable, et pourtant lui insufflait une vitalité pleine d’ironie, manifestée par rien, mais extrêmement palpable. Il haussait simplement les sourcils. Il ne lui avait pas coupé la parole : c’est qu’il devait vraiment l’aimer.
« Tu es terriblement égoïste. » Son visage s’éclaira subitement à cette déclaration, révélant que ce n’était aucunement un reproche. Abel détaillait ce qu’il voyait de la gravure de Précieux. « C’est ce que j’aime : je voudrais être aussi égoïste que toi. Non, je le suis. » Une de ses mains avait lâché la rambarde et traçait des cercles dans l’air pour accompagner son discours, il ne pouvait s’en empêcher ; un doigt vers Précieux, puis un doigt vers lui, puis une paume ouverte pour le creux incompressible qui existait entre eux. « Je voudrais être d’un égoïsme aussi bon, aussi aimé que toi. Je suis quelqu’un dont l’égoïsme blesse. C’est ce que tu devrais faire de mieux : tu ne t’entames pas, rien ne t’entame vraiment. Moi, je te dégraderai sûrement, mais je suis quelque chose. »
Il avait fini par sourire encore. Mais c’était un sourire d’Abel ; sans malice, sans colère, donc plein d’une suffisance crasse et terminale. Son silence, bref, annonçait sa sentence. « Tu ne peux pas y échapper. » Il s’avança vers Précieux, il tenait toujours le pont, tous ces gestes étaient insignifiants, il ne souriait plus, mais ils retranscrivaient l’intangibilité du lieu, de leur relation, de tout ce qui les liait, car tout était impossible : il pointait Précieux du doigt, seule son accusation demeurerait, car elle était l’acte de la marche du monde. « Tu ne peux pas échapper à l’amour. C’est une malédiction. Tu dois t’y soumettre. Voilà, ton égoïsme est encore pur, je pense, pour tout le monde, c’est encore quelque chose d’aimable en toi, parce qu’il n’a pas été encore soumis à l’amour, il est intact si tu veux, et moi je ne le suis plus depuis longtemps, peut-être même que je ne l’ai jamais été. Si tu savais comme je t’envie ! » Il eut un rire bref — il riait assez rarement, d’ailleurs, aussi son rire lui était complètement étranger, il s’envolait subitement comme un passereau et Abel mit une main devant la bouche pour l’étrangler et le garder captif. Aussitôt l’oiseau saisi, il retrouvait son sérieux.
« Je ne vais pas t’embrasser. » Il hocha de la tête. Au diable le vent, au diable le soleil, la rivière, rien. C’était Précieux qu’il dévorait des yeux. Il n’avait aucune attention pour ce qui l’entourait. Le monde était un accessoire de décor à eux. « Je ne te ferai pas ce cadeau. Je ne t’épargnerai pas de moi. Moi je ne suis pas épargné de toi — tu devras continuer de me subir si je ne suis pas exaucé, et de toute façon si je t’embrasserais ça me ferait trop de peine, j’ai pas besoin de ça pour l’instant. » Il fouilla dans son manteau, d’un geste nerveux et empressé, qui lui prit longtemps. Il sortit son paquet de cigarettes, froissé ; il fit tomber ses clefs en même temps, il se baissa pour les ramasser et se releva sans aménager de temps pour rien, ni pitié ni honte, se rapprochant de Précieux, lui mettait presque le paquet dans la main. « Prends mes cigarettes, et fume-les. Si tu as pitié de moi, fais ça pour moi. Et je te reverrai. Tu as la responsabilité d’exister, d’exister parmi nous et près de moi, alors prends-les, sinon, tu n’as rien à faire là. » Cette conjonction donnait pour la première fois sa place à l’univers dans le réel admis par son discours — car là c’était le pont, c’était la plage le cinéma l’appartement l’hôtel, Nausikaa, la ville, les frontières de tout. Il posait sur Précieux un regard sérieux, de quelqu’un qu’on ne va jamais revoir, qui va mourir demain. « Si tu n’es pas capable de l’admettre, si tu ne peux pas supporter que je t’aime, tu n’as rien à faire là. » Il allait partir, sans doute, la nuit allait venir, Précieux anonyme n’avait sur le pont qu'un visage unique qu’Abel voyait, aimait ostensiblement, et n’en livrerait le secret à personne, même à la mort.Toujours, toujours : jardin de mon agonie, ton corps fugitif pour toujours, le sang de tes veines dans ma bouche, ta bouche sans lumière déjà pour ma mort | | | | |
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| (end) lèvres de velours ou corps d'oursin, abel Jeu 15 Juin - 19:59 vénus from passiflore, sculptée dans la glaise d'un mirage flashCe n'est pas que cela le choque d'être traité d'égoïste, c'est qu'il lui semble que c'était jusqu'ici une constante silencieuse, ou bien c'est qu'il a oublié et alors il ne sait pas pourquoi cela détonne si fort quand c'est Abel qui lui dit, qui lui décrit cet égoïsme si flagrant visiblement, si discernable. Et Précieux se demande si cela donne cette force, d'aimer. Est-ce que cela donne la force de tâter la forme précise des ressentis, d'y réagir, parce que le visage d'Abel réagit c'est certain, et ses mains aussi, il rit en plus même si c'est avorté, ça vibre - et Précieux se dit c'est ça l'amour alors, c'est ça l'amour chez les gens comme Abel.
Précieux n'est pas satisfaisant. C'est qu'il l'écoute et qu'il ne réagit pas, il subit la conversation comme il subit son amour, il est démuni lui qui s'extrait du monde se voit à nouveau imposé quelque chose ; et l'amour vocal, l'amour, comme un poids, une souffrance à partager - il se dit, c'est une vengeance, c'est une vengeance d'amour. Il se renfrogne. Il a l'air blessé. Vaguement penaud. Abel domine la conversation. Visiblement il suffisait de dire : tu subiras, et il subit, visiblement, c'était simple, parce qu'il n'a aucune prise sur Abel qui ne se met pas à genoux par amour, qui en fait une arme. Précieux ne sait pas se battre, alors il est penaud, silencieux, et penaud. Il pense au fait qu'il perd de sa superbe, que ses épaules ne paraissent plus sèches mais malingres, que son visage s'étire et devient mort, triste, qu'avec ce silence meurt le mystère. Et le silence sera sa réponse. Parce qu'il ne veut pas l'embrasser, et qu'il se dit qu'aucun mot ne saura être mieux que ceux d'Abel, qu'il n'aime toujours pas se battre et qu'Abel le fait peur. Remue ses entrailles, s'immisce comme un vertige, quand il s'abaisse pour ramasser, cela se déforme, il ne voit pas la maladresse mais ce mouvement encore et encore tandis que lui, statique - ne dit rien, figé.
C'est automatique quand il prend le paquet. C'est un regret immédiat, il le prend sans réfléchir et soupèse son poids, sa signification, il le fixe et en même temps, Abel décrit le poids de ces cigarettes. Les consumer, ce serait lui donner ce qu'il veut, les jeter, ce serait lui donner raison, les laisser dans un coin, c'est y penser comme une névrose, comme le vieux chat dans Thérèse Raquin il pense, qui fixe les amants ; pourtant il n'arrive pas à lui rendre, parce que cela ne changera rien. C'est s'avouer vaincu et avoir en arrière-plan la pensée de l'abandon. Précieux ne sait pas faire semblant de ne pas être affecté, de ne pas s'y intéresser. Il n'est pas sûr de savoir quoi répondre quand ils se recroiseront, et hait penser au fait - qu'ils se recroiseront.
Incendié de l'intérieur - Précieux ne dit rien. Il ne relève pas le visage non plus, une main devant lui qui tient le paquet dans ce silence parfait. | | | | |
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| (end) lèvres de velours ou corps d'oursin, abel Jeu 22 Juin - 2:51 Oui, l’amour est une arme ! Abel se sentait triomphant de contempler cette stupeur invariablement fautive. Cette arme, c’était la sienne, elle était secrète et dégainée habilement depuis qu’elle avait été glissée dans son ventre comme dans un fourreau par sa mère. Il sourit, et l’heure dorée qui plongeait Précieux dans l’ombre illuminait Abel, qui disait à l’île entière : l’amour est une arme, et elle va tous vous tuer ! De cette apocalypse il se réjouissait, car il apprenait à tous les enfants que l’homme est un animal social qui ne supporte pas de saigner seul. Il était reconnaissant à Précieux de son impuissance, de sa petitesse, et il lui faisait savoir qu’il l’aimait encore pour cela à l’arrondi fier de ses yeux. C’était peut-être chez Abel la seule trace concrète du bonheur sans concession. Il ne remercierait pas Précieux : il savait que c’aurait été une injure. Il inspira simplement, huma l’air de ses narines de bourreau, rassuré dans son rôle, fortifié dans ses atours divins, jeune, éclatant, sans pardon, extatique que l’infini de sa peine soit enfin égalé par une joie cruelle dont les racines courraient loin et qui le tourmenterait la nuit suivante. Il ne fit pas durer plus que de raison cette parenthèse sublime de triomphe, car déjà le soleil allait décliner et qu’il souffrait de voir Précieux déconfit, il se contenta de prendre en une seconde les droits que Précieux lui avait octroyé dans leur combat : il ne souriait plus, il caressa sa joue d’une main et laissa sur l’autre un baiser fugace et chaud, du bout des lèvres, avec une douceur melliflu et tragique. Puis il s’enfuit, s’enfuit sans courir mais avec toujours le même pas empressé qui a rendez-vous partout où la vie presse, sans se retourner, comme le font tous les coupables qui risquent la mort.Toujours, toujours : jardin de mon agonie, ton corps fugitif pour toujours, le sang de tes veines dans ma bouche, ta bouche sans lumière déjà pour ma mort | | | | |
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