L'entraînement avec Midas avait été rude, et peut-être autant par résilience que par essoufflement, Ezra avait décidé d'y mettre un terme. Il se sentait prêt, prêt à passer les épreuves du clan dont Midas vantait les mérites depuis toujours, et à arborer les couleurs de ceux qui jadis l'opprimaient. Il n'était pas hyper tranquille de faire face à Seraph Liu, ou à d'anciens bourreaux qui continueront de le dévisager comme un parasite - il savait Midas prêt à tabasser quiconque souillerait son honneur, et ça ne ferait qu'engranger ce qui le terrifiait de prime abord : passer pour un faible incapable de se défendre lui-même.

(...)

Ezra essaie de ne pas se concentrer sur l'assemblée qui l'observe comme une bête curieuse. La tête haute et les épaules lâches, il s'avance vers le parcours. Sa condition physique est son premier ennemi - il se sait lent et anémique ; il va devoir compter sur sa force de caractère, nouvellement puisée dans l'agonie.

En tenue de sport, Ezra se positionne sur la ligne de départ. Il ignore Midas et préfère planter son regard dans celui de Seraph, dont il cherche, même sans réellement le vouloir, une sorte d'approbation.

Quand vous voulez.

Quand le coup de sifflet retentit, il s'élance vers le premier obstacle. La course est longue, douloureuse - Ezra s'efforce d'ignorer le monde autour de lui. S'il se donne pour ne pas recueillir à l'arrivée que des railleries et de la honte, il se fait également confiance. Il y va à son rythme, même si ça signifie s'étaler au sol, rater la corde et bouffer du sable.

C'est au bout de huit pénibles minutes qu'il franchit le dernier obstacle, déjà épuisé - mais pas résigné.
La gorge brulante, il adresse cette fois à Midas un regard mordant ; les joues cramoisies d'effort et le front tout collant de sueurs, il demande au chef des Spartes.

Alors ?

Qu'il sache, combien de temps durera sa torture ;
c'est peut-être la seule épreuve dont il est sûr.

Sept minutes cinquante. Ezrael laisse passer un silence morbide, consterné de sa propre performance - mais ne laisse rien paraitre. Il refuse de se laisser dévorer par la honte dès la première épreuve. Ses yeux, aussi noirs que son coeur, dérivent lentement vers Midas, à qui il adresse une oeillade acerbe. Il serre les poings à ses cuisses et ravale l'acide qui lui brûle les lèvres.

D'accord.

Midas ne lui avaient vaguement parlé que des deux premières épreuves, peut-être pour le tester et voir s'il allait se décourager. Il n'a aucune idée de ce qui l'attendra après les vingt-cinq minutes de souffrance. Oui, il vient de faire le calcul dans sa tête. C'est affligeant, mais c'est pour l'instant le premier moment où Ezra se permet d'être confiant. Peut-être un peu trop.

Il suit Seraph, Midas, et le reste des Spartes à l'intérieur. Il s'installe là où on lui dit de le faire. Son obéissance est cynique - Ezra a toujours fait ce que les autres voulaient de lui, été ce que sa soeur ou les autres égarés espéraient qu'il soit, et sans jamais rechigner. Ce n'est pas un effort collossal aujourd'hui.

N'importe qui serait impressionné que Seraph Liu en personne se charge de le violenter ; n'importe quel grouillot aurait pu s'en charger. Ezra étire un demi-sourire, puise au fond de ses tripes l'audace

La formulation du chef des Spartes est curieuse, et alors qu'il sent tous les muscles de son corps se crisper, Ezra réplique :

Ce n'est pas-aah !

Au bout de quelques secondes, le corps d'Ezra assimile la douleur. Il ne fait qu'y penser : c'était pire avec elle ; et se le répète pour ne pas lâcher : ça ne sera jamais pire qu'avec elle encore

encore

encore

sûrement qu'il aurait pu en chialer, mais les yeux d'Ezra demeurent secs - il se l'interdit. Les voix d'outre-tombe vocifèrent tout autour d'eux, plongeant la pièce sous le joug d'une aura lugubre. Ezra ne fixe qu'un seul point : des chiffres au-dessus de la tête de Seraph, qui flottent dans le vent pour lui rappeler qu'ils sont tous mortels : et que lui-seul est capable de leur rappeler quand et comment.

Vingt-trois minutes, et trente secondes.
Ezra avait compté chacune d'elle, de minute, de seconde. Il avait espéré que son calvaire s'éternise pour que sa gloire, elle, soit immortelle. Mais plus le temps passe et plus les muscles tétanisent, plus la raison s'effrite et le mental en pâtit. Il capture dans son esprit le visage de l'Empuse, l'odeur suintante de parfum et de malfaisance qu'elle dégageait au moment où elle l'a torturé. Il se focalise sur la vision funeste de leur mort, à toustes ici présent - autour de lui.

Puis Midas part, avant la fin.
Peut-être que c'est à ce moment précis qu'Ezra reprend confiance en lui. Ce n'est plus de son lui dont il cherche l'approbation.

(...)

Épuisé par les deux premières épreuves, Ezra commence à douter. Sera-t-il seulement capable d'en endurer trois autres du même acabit ? Il adresse à Seraph un coup d'oeil vigilant, méfiant (mais silencieux) sur ce que lui réserve la suite. Midas n'est toujours pas revenu et ça l'irrite. En fait, voilà ! Si ! Il aurait voulu qu'il le voit !

Où va-t-on ? demande-t-il au Sparte qu'il l'escorte jusqu'à une pièce aux allures d'interrogatoire.

Ezra s'assoit sur la chaise en métal, garde ses mains sur ses cuisses. Il plisse les paupières, médusé quant aux instructions, prononcées avec distinctement. Interdiction de quitter la salle Mais pourquoi ? S'il n'y a personne dedans ? Est-ce un piège, un test ? Ezra se dit que ça serait bien leur genre, après tout.

Quand la voix de Midas retentit dans le chaos, il se lève instinctivement, faisant renverser le siège derrière lui. Il hésite à ouvrir la porte puis se rappelle de ce qu'on lui a dit. Interdiction de quitter la salle C'est un test ! C'est forcément un test ! Ezra a été soumis pendant des années ; ça ne l'a pas rendu stupide et naïf pour autant. Il attend.

encore

encore

c'est toujours comme ça.

Ébranlé par une voix qu'il n'aurait pas cru réentendre, si ce n'est aux enfers, quand leur père viendra le cueillir une deuxième fois.

Simca...

Ce n'est pas elle.
Ce n'est pas ELLE !

Simca ne reviendrait pas le hanter comme ça, pas après des mois de silence. Ezra plaque ses mains sur ses oreilles pendant quelques instants, avant de réaliser qu'il veut l'écouter - qu'il ne veut plus fuir ses responsabilités. Oui, il a choisi d'être là. Plus personne ne choisira à sa place, et surtout pas les réminiscences de sa grande soeur décédée.

((Elle était son âme soeur))

Midas ?

La porte s'est ouverte et le bras droit des Spartes n'a subit aucun mal.

C'était ça, la troisième ?

ll masque les émotions qui l'ont pris par surprise, abimé par le deuil. Sans rien ajouté de plus, concentré, il le suit au travers des couloirs pour rejoindre la grande salle qu'il a quitté la dernière fois. Tous les Spartes sont réunis.

A genoux, qu'on lui dit.
Et pour la première fois, Ezra peine à obéir. S'il le fait, c'est à contre coeur - persuadé par avance qu'il ne va pas aimer ce qui va suivre.

A peine ses genoux touchent le sol qu'Ezra s'aligne sur les pérégrinations de son esprit ; dissociant pour abandonner son corps offert en martyr à la violence. Son visage est figé dans l'abnégation, se contracte pour laisser passer une lueur d'effarement quand ils se mettent tous en file - pressés de le descendre et de lui rappeler sa place. Midas sourit. C'est insupportable.

Le premier à le faire bondir est un fils d'Aphrodite, aux traits si parfaits qu'Ezra serait idiot de les envier - jamais il n'égalerait une telle beauté, lui le faible, dont la peau colle aux os pour exposer au monde sa misère. Satya revêt les traits de Précieux et c'est un coup de couteau dans le coeur qu'il n'avait pas envie de ressentir. Ezra serre les dents mais ne bronche pas, il a appris des épreuves précédentes : les spartes attendent de la docilité face au carnage.

Il est laissé sans voix par le baiser entre la figure de son ancienne obsession et celle qui a pris cette place aujourd'hui. Evidemment que Midas y prend du plaisir ! Leslie serre les dents et tente de se lever, impulsif, avant d'être ramené au sol par une main anonyme, posée sur son épaule.

Pour qui se prennent-ils tous, à mal le regarder ?
Ezra est choqué. Il encaisse les crachats, les injures, les coups dans le visage et dans le ventre - il croit déceler une haine pure et parjure en chacun d'eux et, désespéré, il appelle : pourquoi ? se demande encore ; qu'est-ce que j'ai fait pour que vous me détestiez autant ?

Avant de réaliser ;
que ce n'est pas personnel, pas important - ezra s'est leurré une nouvelle fois en se croyant différent.

La proposition de l'un.e d'eux manque de le révolter ; il a peur qu'on le souille à ce point, alors il se protège avec ses bras. Heureusement pour les miette de sa dignité piétinée, le chef décide d'en terminer. La dernière épreuve est arrivée.

Seraph Liu fait son choix.
Mahaut - dont les traits carnassiers l'ont plus d'une fois offensé, hanté, quand les spartes descendaient jadis pour terroriser l'Atè.

Sans rien dire, il s'essuie le visage, couvert de sang et de salive. Il se dit ; e n f i n.
Il respire, il prend une grande gorgée d'air pour s'en brûler la gorge et toise Satya d'un regard acide et menaçant - je ne t'oublie pas, toi.

Il garde en tête ce qu'ils lui ont craché à la gueule et espère, en quelque sorte, qu'à défaut d'être accepté - il sera craint pour une raison. Celle qu'il va leur donner ;
une leçon.

A mon tour.

Qu'il dit un peu sèchement, pour lui-même et pour ceux qui tendront l'oreille. Il ne prévient pas. Mahaut s'élance et c'est l'instinct de survie qui prend le dessus : Ezra crie.

Ce genre de cri iréel qui floute les limites entre chaque dimension ; un cri qu'il projette uniquement sur Mahaut pour lui faire ressentir la sensation d'une mort imminente et implacable, mais dont les fréquences instables se répercutent de manière lointaine sur les autres Spartes. Ils peuvent, l'espace d'une demi-seconde, effleurer du bout de tout ce qu'ils sont, une libération.

Naturellement, le cri mortifère paralyse Mahaut quelques instants. Ezra en profite pour fondre sur la chasseresse et l'attraper. Ses longs doigts n'ont aucun mal à faire le tour de son maigre avant-bras. Sans hésiter, il puise dans ses forces vitales pour l'affaiblir. Il serre, serre, serre encore jusqu'à la vider de son énergie. La relâche finalement, en silence.

Il ressent l'envie de la frapper.

Tu serais morte pour de vrai si je le voulais vraiment.

Il se tourne vers l'assemblée.

Je suppose que j'ai gagné, du coup.

Il a envie de leur faire du mal, à eux aussi. Tous autant qu'ils sont, à le juger.
Il est le fils de la Mort et la Mort viendra pour chacun d'eux.

Je peux voir quand mon père viendra vous chercher.

Certains plus rapidement que d'autres.