Naissance Un spectre errant. Elle était née d'une mère qui ne l'a jamais regardée. Trop obnubilée par ses "vrais" enfants, ceux de chairs et de sang. Pourquoi l'avait-elle faite pour lui arracher ses précieux ? Pourquoi l'envoyait elle charmer les pervers et les brutes quand elle veillait sur les demi-humains ? Ce n'était pas la jalousie qui l'animait, ni la tristesse, ni l'envie. Mais elle n'était pas bête, Empousa. Elle comprenait bien que sa mère avait ses favoris. Et déjà, elle n'appréciait pas cela.
Tiens-toi droite, soit belle, tais-toi.
Il lui a fallut un certain temps, avant de comprendre ce que les hommes voulaient d'elle. Comment les amadouer pour qu'ils lui mangent au creux de la main. Les débuts étaient laborieux, ils ne supportaient pas les femmes dangereuses, sûres d'elles. Ils aimaient terroriser et dominer. Elle ne comprenait pas.
1xx ans Le temps passait, et les hommes la dégoûtaient toujours un peu plus. Leurs regardes lubriques, leurs mains calleuses et grossières, leur appétit sans faim. C'était elle, le monstre, et pourtant parfois ce qu'ils faisaient subir paraissait bien plus inhumain. A elle-même, quand ils ne connaissaient pas encore sa vraie nature, et à d'autres. Les femmes sont faibles, soumises, réceptacles pour le plaisir des hommes, pondeuses de descendance, objets décoratifs interchangeables.
Et les dieux et les demi-dieux n'étaient pas si différents, si ce n'est pire.  
Elle prend les femmes en pitié. Attendait qu'elles soient au bord du gouffre pour les libérer de leur souffrance. Absorbait leur douleur et leur peine.
C'est à ce moment-là que ses proies de choix se tournent vers les maîtresses des dieux.
Le désespoir lorsqu'elles tombaient enceintes. Reniées par leurs familles. Empousa guettait, proposait de prendre les bébés pour qu'elles n'aient pas à s'en occuper.
Et elle les dévorait.  
2xx ans Hecate finit par apprendre, par l'un de ses autres enfants, qu'Empousa dévorait les demi-dieux. De rage, les plus braves de ses enfants la traquent. Elle n'a aucune empathie pour ses adelphes, qu'elle n'a jamais connu ni souhaité connaître.  L'un d'entre eux finit par la retrouver. Le combat fut rude, d'une violence rare, telle qu'aucun de ses amants, même les plus cruels, ne l'ont jamais été. Elle finit par vaincre, de justesse. Le sang de son demi-frère s'écoule sur ses griffes. L'odeur l'enivre. C'est la première fois qu'elle goûte au sang mêlé de sa génitrice. C'est délicieux. Elle lèche, boit, elle consomme, elle mâche, elle rit.
Peut-être était-ce la seule façon qu'elle aurait d'aimer sa mère.
En buvant le sang de son sang, en mangeant la chair de sa chair.
10xx ans Cela faisait plus de trois siècles qu'Empousa avait été bannie des Enfers. Le monde des mortels ne lui est pas inconnu, elle est suffisamment débrouillarde pour trouver un gîte en se donnant ici et là, à qui veut bien l'entretenir. Son cycle de réincarnation semble court par rapport à certains de ses frères et soeurs. Elle ne sait pas si c'est une bénédiction ou une malédiction qu'Hecate lui a conféré. Elle n'a, en tout cas, jamais de mal à chasser. Capable de prendre une apparence humaine à sa guise, elle vit parmi ses proies, continue de guetter l'odeur de bronze et d'ichore dans le vent. Elle revêtit plusieurs professions. Tantôt dans l'art du spectacle pour séduire, tantôt à l'hôpital, dépendant de ses envies du moment. Car elle réalise que sa longue, très longue vie, lui permet d'explorer beaucoup, beaucoup de choses. Au fil de ses réincarnations, elle s'adapte, redécouvre, observe. Il y avait quelque chose de fascinant dans la rapidité qu'avait l'Humanité à évoluer.
A une constante près : les femmes. En près d'un siècle, elles n'étaient toujours que des faire-valoirs. Elle connait plusieurs morts qui la marquent : brûlée vive, battue, noyée, marquée au fer rouge, piquée d'aiguilles. Sorcière, qu'on l'appelle, succube, enchanteresse. Les hommes l'accusent de les tenter, les femmes l'accusent d'être de petite vertue, elle était rarement épargnée à l'époque de la chasse aux sorcières. Douce ironie, connaissait sa mère.
Etait-ce la volonté d'Hecate, qu'elle soit condamnée à être torturée pour être l'objet de désir et de convoitise ?
16xx ans Ces derniers siècles, elle se plaisait à prendre le rôle de maîtresse auprès d'hommes riches et puissants. Sur plusieurs vies, elle parvenait à devenir maîtresse des rois, délaissant temporairement la chasse. La vie de palais lui plaisait. Les intrigues de la cour de France était sa source de divertissement. Elle réclamait les plus belles robes, les plus beaux bijoux.
Elle a vécu une vie dans le harem d'un sultan. Elle apprécie de plus en plus les différentes cultures, les évolutions dans la mode, la beauté, devient plus coquette et laisse derrière sa rancoeur pour réellement profiter des charmes de la vie. Regarde jusqu'où son influence va sur ces têtes couronnées.
L'ennui avec les rois, c'est qu'ils ont besoin d'enfants. Et l'Empuse est incapable d'en donner. Elle ne comprenait pas ce besoin. Pour elle, les enfants n'étaient qu'un contre-coup du sexe. Les hommes n'assumaient leurs progénitures que quand ça les arrangeaient, sans s'en occuper. Qu'avaient ces enfants de si spécial, pour qu'elle se fasse reléguer en arrière-plan dès qu'un poupon naissait ?
La nuit, elle allait voir ces nouveaux-nés.
Si l'envie lui venait de rester la favorite un peu plus longtemps, le nourrisson mourrait d'une maladie inconnue.
19xx ans C'est à cette époque que l'Empuse voit réellement un tournant dans les moeurs et chez les femmes. La parole se libère, les métiers se féminisent, les vêtements épousent mieux les formes, la naissance du "glamour" et du "chic" est là. Une esthétique qu'elle finira par garder chère à son coeur même des années plus tard. Le terme "femme fatale" lui colle à la peau, et elle aime ça. Fini de jouer les timides prudes et chastes. Il lui aura fallut presque deux millénaires, mais elle avait trouvé son charme. Elle se sentait bien dans sa peau et s'assumait. Son regard par rapport à elle-même s'était changé. Les personnes qu'elle côtoyait l'intéressait davantage. Elle ne se précipitait plus pour manger, elle savourait.  
Elle réalise aussi qu'elle peut s'attacher à des personnes. Des amants, comme des amis. C'est un sentiment qui ne lui est pas familier. Elle n'aime pas cela. Lorsqu'elle sent une forme d'attachement, elle s'arrange pour dévorer la personne, parfois violemment. Il lui est déjà arrivé d'avoir pitié de certain.e.s demi-dieux, mais jamais longtemps. Elle ne se laisserait pas cette faiblesse, elle se le refusait.
19XX Elle se fait approcher pour rejoindre l'ordre du Lotus. L'idée ne l'enchante pas particulièrement au début. Elle voit les autres monstres comme de la compétition pour les mêmes proies.
Un jour, l'un de ses amants meurt. Pas de ses mains, un bête accident de voiture. Il laisse derrière lui une petite fille. Elle l'observe, de loin. Elle ne comprend pas bien pourquoi, elle essaye de se dire que c'est par curiosité.
La petite grandit, devient femme. Un jour, elle tombe enceinte.
La vingtaine à peine et vierge, personne ne la croit, quand elle jure sur tous les dieux que c'est une grossesse miracle. L'Empuse a déjà vu ce phénomène auparavant, se doute qu'Hypnos l'a engrossé.
Meryem fini par les prendre en pitié. Elle se dit que ce sera uniquement pour garder l'enfant et le dévorer. Se convainc que ce n'est pour rien d'autre.
An 2000 La mère meurt en couche. Meryem assiste à son dernier souffle quand le bébé prend le sien. Elle l'observe, à travers la vitre de la nurserie de l'hôpital. N'ayant aucune légitimité sur l'enfant, elle se doit de prendre son mal en patience et de le traquer de loin. C'est un pari fou, car le parfum n'est pas encore présent sur l'enfant, elle n'est pas convaincue à 100% qu'il s'agisse d'un héritier d'Hypnos. Pourtant, à force de ruse et de pots de vin, elle finit par adopter l'enfant seule. Il n'a que la chair sur les os, il sera plus délicieux en grandissant, en devenant plus puissant.  
Elle lui offre un toit, le nourrit, s'assure de ses besoins. L'enfant ne parle pas beaucoup, s'est fait trimballé de familles en familles avant d'arriver chez elle. Il n'est pas bavard, mais prend ses marques. Un routine s'installe, suffisamment pour qu'il ne soit pas inconfortable. C'est tout nouveau, pour Meryem, de s'occuper d'un enfant. Les livres l'aident tant bien que mal à essayer d'avoir l'air un minimum normal. Autrefois, elle se contentait de les tuer ou les effrayer. Elle s'essayait à une nouvelle méthode.  
An 2011 L'enfant est réclamé par un satyr pour rejoindre Nausikaa. Sa disparition est soudaine, de ce qui lui semble être du jour au lendemain. Dans une enveloppe, elle reçoit un long courrier de sa part. Il lui explique qu'il a été au mauvais endroit au mauvais moment, qu'il avait croisé un sang-mêlé qui se faisait poursuivre et qu'un satyr les avait récupéré de justesse, dans la précipitation. Meryem fume de rage, que son propre bétail lui ait été arraché de la sorte. Mais elle lui répond. Lui répète qu'il pourra revenir ici, quand il serait plus grand.
Quand il sera plus grand, elle le mangera. Elle ne laissera personne d'autre le lui prendre.
An 2018 L'enfant n'en n'est plus un. Il prenait soin de lui adresser des lettres de temps à autres. Elle répondait à chacune. Pour qu'il revienne me voir un jour et que je le tue à son apogée. Pourtant, les Norn en ont décidé autrement. Son cycle de vie se termine précipitamment. Elle s'était trouvée au mauvais endroit au mauvais moment, lors d'un braquage. Il est mis au courant.
An 2020 Meryem guette, en attendant que son mouton revienne dans la bergerie. Pendant un temps, elle oublie l'enfant, bien que lui ne l'oublie pas. Elle apprendra, par le biais d'un infiltré sur l'île, que l'enfant est mort des suites d'un entraînement qui a mal tourné, près du labyrinthe. Le sentiment qui l'envahit alors est désagréable, il brûle et la dévaste.
Pendant plusieurs jours, elle se gorge de victimes pour oublier ce sentiment. Elle se gave, à s'en faire vomir. Echidna finit par la repérer et l'approcher pour lui parler de son projet, le Lotus. Echidna l'ensorcelle de ses mots, lui promets monts et merveilles, et surtout, de ne plus jamais avoir à ressentir la douleur. Tout cela était la faute d'Hecate. Tout cela était la faute des dieux.
Un jour, elle parviendra à en dévorer un.
Un jour, elle dévorerai sa mère.
An 2023 La chasse reprend. Pour préparer les actions du Lotus, elle se fait discrète. Prend un métier ni trop compliqué, ni trop voyant. Cavale dans les rues de New-York dans l'espoir de traquer les téméraires qui se risquaient à quitter leur île paradisiaque pour les boîtes de nuit. Et elle s'assurait qu'ils ne reviendraient jamais.
Les dieux tomberaient un jour.
Qu'elle en soit témoin.